Al-Ahram Hebdo, Littérature | Saad Al-Qerch

  Président
Abdel-Fattah El Gibali
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

Nos Archives

 Semaine du 23 au 29 novembre, numéro 897

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Littérature

Dans son nouveau roman Wachm Wahid, Saad Al-Qerch évoque le despotisme en vigueur lors de la construction du Canal de Suez. Dans un va-et-vient entre passé et présent, il dissèque la persévérance de la personnalité égyptienne.

Le tatouage de Wahid

Wahid porta son père. Il le leva entre ses bras alors que la chaleur de la vie n’avait pas quitté le faible corps.

Il ne croyait pas à ce qui était arrivé. Il avait cru que son père était surmené, qu’il était fatigué par la soif et le fait de porter les sacs de sable avec des milliers d’autres qui creusaient le canal et dont il ne connaissait pas le nombre.

— Eloigne le mort des travaux.

Wahid fut sur le point de tuer celui à la langue froide. Mais sa disparition accorderait à son père le statut de mort. Il crut que le fait d’éloigner son père de la poussière des travaux et le mouvement des creuseurs et des porteurs lui ramènerait un peu de force et qu’il se lèverait.

Yéhia se tenait entre les bras de son fils solitaire et sans âme. Ses yeux n’avaient pas de lueur et il ne faisait aucun geste pouvant stabiliser les grains de sable sur les lignes de son front et autour de ses yeux.

— Mets-le dans le panier et enterre-le près du tas.

Wahid ne fit aucun cas de l’avis du lieutenant. Il lui semblait difficile de rassembler le corps dans un panier de paille et il supporta un fouet qui lui lapida le dos alors qu’il posait son père délicatement dans la charrette.

Il porta son père au loin, un peu plus loin que l’endroit aménagé pour enterrer ceux qui mouraient.

Wahid était sûr que son père était mort. Il devait s’enfuir avec le cadavre vers un endroit sûr que ne pouvaient atteindre les regards des gardiens, afin qu’il puisse revenir à Ozir et l’enterrer là-bas. Ainsi son âme se reposerait, et Wahid reviendrait du même coup vers une ville dont il avait entendu parler et dont il ne retenait aucun trait. Son père lui avait parlé d’un incendie qui avait flambé à Ozir et de son refus de partir avec ses frères Aïcha et Idriss et leurs enfants pour Le Caire, la ville protégée.

Avant d’éteindre l’incendie et avec l’aube, Yéhia retrouva sa femme. Il l’avait reconnue de ses faibles lamentations près de la portière ouest de Ozir. Ils s’appuyèrent l’un contre l’autre jusqu’au village d’Abou-Sir. Il trouva une gargoulette d’eau devant la paille de sa porte entrouverte. Il cala sa femme et lui tendit la gargoulette. Mais elle ne put la tenir. Il pencha la gargoulette sur sa bouche ouverte de soif et sur ce souterrain qui ressemblait à son visage amaigri et ses lèvres défraîchies jusqu’à ce qu’elle se désaltère. Elle prit alors la gargoulette et le fit boire. Elle embrassa ses mains. Il regretta d’être resté à Ozir. Il avait refusé de répondre au conseil de son père Amer de partir avec ses frères. Il fut sur le point de pleurer. Il fut sapé par la faiblesse qui voulait être rassurée. Elle pleurait. Il essaya de reprendre des forces et il rampa à l’intérieur de la cabane en la portant sur ses genoux. Il tira la porte alors qu’il tremblait de froid. Elle ne trouva rien d’autre pour le réchauffer à l’exception de son corps. Il rit ne croyant pas ses yeux en tenant son organe sexuel. Elle, prise de surprise, fut emparée par le désir. Elle soupira de plaisir et de fatigue avec la surprise de celle qui n’avait pas pris conscience. Lorsque Yéhia eut terminé, il lança son dernier soupir alors que les flammes de l’incendie touchaient la djellaba de son père. La fumée l’aveuglait et faisait couler ses larmes silencieuses. Sa femme pleurait d’une douleur qui ne la quitta pas jusqu’à ce qu’elle ait enfanté son fils Wahid dans un village où personne ne les connaissait. La mère mourut ensuite et elle fut enterrée dans un village inconnu. Yéhia ne cessa de rêver au jour où il ramènerait son corps à Ozir, même pendant qu’il transpirait de toutes ses forces en creusant le canal après que les circonstances l’avaient pris là-bas avec ceux qui pouvaient travailler. Il partit dans les sables en traînant son fils orphelin de sa mère.

Dans la tête de Wahid se dessinaient les fresques d’un village qui rassemblait le corps de sa mère. Il ne se souvenait pas de ses traits parfaitement, mais il n’oubliait ni ses années avec son père, ni comment il avait refusé de se marier en se confortant à l’idée d’avoir un fils unique.

Le destin de Wahid était de revenir à Ozir avec le cadavre de son père pour reposer son âme. Là-bas, ils lui indiqueront l’endroit du tombeau de son grand-père Amer et peut-être qu’ils  lui donneront des informations sur l’endroit du tombeau de sa mère dans un village proche. Après avoir rassemblé les morts dans un seul tombeau, il demandera après son oncle Idriss et sa tante Aïcha, même s’il lui faut y passer le restant de sa vie. Il avait entendu son père dire que son grand-père Amer avait conseillé Idriss de partir à la ville protégée du Caire, d’habiter à côté de Sayedna Al-Hussein et de la mosquée d’Al-Azhar, et d’écrire une missive au pacha là-bas pour l’informer de l’état d’Ozir.

— Je t’ai dit de le mettre là-bas et de l’enterrer dans les restes de terre.

Wahid secoua sa tête en signe d’acquiescement alors qu’il cachait un regard plein de refus. L’homme ne lui laissa pas le temps et le lapida avec le fouet :

— Jette l’idiot et enterre-le sous tes pieds.

Il jeta le cadavre de son père. Il l’entoura de sa djellaba et il se baissa pour ramasser le panier vide alors que l’homme le harcelait. Il s’agenouilla comme s’il priait et qu’il s’excusait de son impuissance. Ses yeux s’emplissant d’une poussière venue avec le mois de hathour. Wahid se leva et jeta un peu de sables au visage de l’homme. Ce dernier l’insulta et maudit son père en lui promettant l’enfer en ce bas monde et dans l’au-delà. 

Wahid ne le laissa pas faire et lui jeta le panier à la tête. De ses genoux, il lui asséna un coup entre ses cuisses et le jeta à terre. Il prit le fouet et étrangla l’homme. Wahid n’avait rien calculé. Il avait imaginé que l’homme allait être pris de vertige, ce qui lui donnerait le temps de fuir avec le cadavre de son père. Mais l’homme se releva et se jeta sur le cou de Wahid. Ce dernier était sûr qu’il n’allait pas tarder à mourir. Car il savait que l’humiliation du lieutenant en face de lui était une injure que ne pouvait effacer que sa disparition, afin que l’homme préserve un peu d’amour propre lui permettant de frapper les ouvriers et de les tuer en cas de nécessité.

Wahid comptait fuir et s’éloigner de l’homme. Il pensa qu’il allait le poursuivre. S’il ne pouvait le faire, il prendrait le cadavre de son père. Que pouvait faire Wahid en se sauvant tout seul alors que son père était loin de son village, qu’il était humilié sans tombeau et que son cadavre était à l’air libre sans aucun enterrement digne ? Sans doute que les oiseaux allaient se le partager et il n’y aurait plus de traces de lui lorsqu’il reviendrait à sa recherche.

L’homme l’insulta à nouveau et il le poussa, ce qui le fit tomber sur le cadavre. Il enflamma son dos avec le fouet alors que Wahid ne bougeait pas. L’homme fut assuré qu’il était mort.

Le lieutenant ne trouva pas de différence entre les deux cadavres. Il ne cessa d’injurier et de frapper avec force, ce qui raviva la vie dans le corps de Wahid. Il prit alors le bout du fouet et le lança avec la détermination de celui qui était sur le point de mourir. Il était désespéré et il n’hésita pas. De surprise, l’homme ne résista pas et il tomba dans les bras du jeune homme. Il l’étrangla avec le fouet et il lui arracha sa djellaba et son âme. Il porta son père et courut vers le désert .

Traduction de Soheir Fahmi

Retour au sommaire

Saad Al-Qerch

Est né en 1967. Diplômé de la faculté de communication de l’Université du Caire en 1989, Saad Al-Qerch écrit des articles, des études de critique littéraire et cinématographique dans la presse arabe et égyptienne depuis 20 ans. Il a commencé à publier ses œuvres dans les années 1990, dont deux recueils de nouvelles Marafie al-rahil (les quais du départ, en 1993) et Chagaret al-khold (l’arbre de l’éternité, en 1998). Et cinq romans Hadiss al-gonoud (en 1996), Bab al-safina (la porte du navire en 2002) tous les deux aux éditions Al-Bostani, Awal al-nahar (lever du jour, en 2005),  Leil Ozir (la nuit d’Ozir) et Wachm Wahid en 2011 aux éditions Al-Dar al-misriya al-lobnaniya.

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Howaïda Salah -Héba Nasreddine
Assistants techniques: Karim Farouk- Héba Nasreddine
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.