Anthologie.
A travers l’écriture autobiographique de nouvellistes,
romancières et poétesses arabes, un nouvel ouvrage permet de
découvrir différentes facettes de l’identité féminine.
Existences en parallèle
A
l’heure où le féminisme est en perte de vitesse, à l’heure
où les femmes en Occident occupent désormais toutes les
positions sociales : de chef d’Etat ou ministre jusqu’aux
marines présents en Iraq, le salut de cette théorie semble
pour beaucoup résider dans les mains de la femme « arabe
libérée ».
La transposition de cette doctrine des années soixante vers
les pays du Moyen-Orient apparaît comme un but noble,
presque humanitaire, prônant une voie féminine indépendante
devant sortir du carcan qui l’emprisonne pour se dévoiler au
grand jour.
C’est contre cette simplification extrême, voulant imposer
un discours féministe aux grandes figures littéraires et
artistiques du monde arabe féminin que se dresse le recueil
d’essais dirigé par Nawar Al-Hassan Golley : Arab Women’s
Lives Retold (une relecture de la vie des femmes arabes).
Qu’elles écrivent en français, en anglais ou en arabe,
qu’elles soient égyptiennes, algériennes, iraqiennes ou
palestiniennes, exilées, colonisées ou emprisonnées, elles
n’ont qu’un but : écrire leur histoire, la raconter avec
leurs propres mots.
Et ce sont bien leurs mots qui sont analysés dans ce recueil
par un ensemble de professeurs renommés. Le livre peut
d’ailleurs rebuter par sa rhétorique universitaire et ses
références peu accessibles à ceux qui ne sont pas familiers
avec Foucault, Fanon ou Irigaray, mais reste l’essentiel :
un ouvrage de référence introduisant un vaste panel d’œuvres
contemporaines par des femmes déjà reconnues et appréciées
dans leurs pays d’origine comme à l’étranger.
Sans préjugés, mais avec une certaine rigueur, l’ouvrage
nous explique, entre autres, le monde silencieux de Nina
Bouraoui : « C’était la guerre. Le FLN. L’OAS. Les attentats
(…). Des corps d’hommes sans têtes. Et des têtes sans corps.
Qui n’a rien vu ? ». Benaouda Lebdai nous montre le chemin,
il analyse, décortique, politise les mots de l’auteur,
précise que Nina Bouraoui, qui écrit en français, est cette
tête coupée de ses racines algériennes. Comment son corps
imprégné de rythmes et de mélodies algériennes peut-il
s’exprimer au travers du français, langue sans accent et
saccadée à laquelle il manque une douceur mélancolique et un
aspect chantant ?
Que la trame soit autobiographique ou fictionnelle, c’est
bien de la vie de 14 femmes artistes qu’il s’agit. Ces
femmes habitées par une déchirure profonde font légion dans
les premières parties de l’ouvrage. Cette déchirure peut
avoir plusieurs causes : elle peut être linguistique, (Assia
Djebar, Nina Bouraoui) géographique, (Leïla Ahmad, Etel
Adnan, Raimonda Tawil) ou religieuse (Leïla Abouzeid), mais
elle est toujours réelle, bien vivante dans la mémoire de
l’auteur. Mais être déchiré en changeant de langue,
d’identité, d’histoire ou de culture, c’est aussi la
possibilité de se réconcilier soi-même, de trouver des voies
permettant l’hybridité sans le reniement. La division
d’abord, puis la réconciliation par l’union, rendue possible
par l’écriture.
Changer de pays, s’exiler, c’est aussi l’occasion de
retrouver sa culture dans un univers différent, parfois très
proche de son pays d’origine. Leïla Ahmad, par exemple,
retrouve son « harem cairote » dans le pensionnat pour fille
de Cambridge, Girton College, en Angleterre. Là-bas, les
femmes « font et sont l’autorité, (…) perçoivent le monde
par leurs propres yeux et non par ceux des hommes »,
permettant ainsi l’émergence d’un discours uniquement
féminin, d’un discours qui n’emprunte pas à celui des
hommes, bref, un discours inconsciemment féministe, qui se
retrouve d’ailleurs largement dans l’œuvre de Fatima
Mernissi : Rêves de femmes : une enfance au harem.
La fiction aussi possède sa part d’autobiographie : « Madame
Bovary, c’est moi », disait Flaubert. Si Ahdaf Soueif ne se
met pas elle-même en scène dans son roman Dans l’œil du
soleil, le contexte est, quant à lui, un reflet fidèle de la
réalité. Entre ces deux genres (autobiographie et fiction),
la frontière est floue, parfois aussi fine qu’un fil de
soie. Lorsque Mohja Kahf écrit : « Oui, je parle anglais.
Oui, je porte des explosifs. Ils se nomment les mots. Et si
vous n’effacez pas vos préjugés, Ils vous chasseront au loin
», est-ce d’elle dont il s’agit ? Des Arabes américains ? De
tous ? Car qui ne porte pas d’explosifs ?
D’un bout à l’autre de la Méditerranée, d’Europe aux
Amériques, de la rue algérienne aux Palaces royaux de
Jordanie (lire Souvenir d’une vie inattendue de Reine Noor)
tous les milieux sociaux et tous les contextes sont évoqués
dans les différents essais qui forment le recueil publié par
Nawar Al-Hassan Golley. Pour se retrouver dans cette large
diversité, la Relecture de la vie des femmes arabes
constitue un excellent guide, à la fois précis et abordable,
pour s’initier à la littérature et à la poésie féminine
arabe.
Alban
de Menonville