Boutros Boutros-Ghali,
président du Conseil national des droits de l’homme,
commente l’état des libertés en Egypte.
« Un équilibre entre les droits des citoyens et la stabilité
de l’Etat doit être trouvé »
Al-Ahram
Hebdo : Au moment où l’emprisonnement des journalistes reste
appliqué et que le gouvernement tente d’imposer des
restrictions sur les chaînes satellites par l’intermédiaire
d’une loi qui organiserait la diffusion audiovisuelle,
quelle est la position du conseil en ce qui concerne la
protection de la liberté d’expression ?
Boutros Boutros-Ghali :
Nous attendons de lire le texte de ce projet de loi avant de
dire notre avis. Dans tous les cas, le conseil a déjà abordé
la question de la liberté d’expression de façon générale et
surtout en ce qui concerne les blogs et les bloggueurs. Un
atelier de travail a été organisé en coopération avec le
ministère de l’Intérieur et nombreux organismes officiels et
avec la participation des bloggueurs eux-mêmes. Le but étant
de dialoguer et de mieux comprendre les dimensions de ce
problème. Le conseil organise également une table ronde pour
discuter des législations arabes relatives à cette question.
Un équilibre entre les libertés et les droits des citoyens
et la stabilité de l’Etat doit être trouvé.
— Le conseil est accusé de coopérer avec des institutions et
des organisations civiles spécifiques et d’en négliger
totalement beaucoup d’autres sans raisons claires. Quelles
sont les normes fixées par le conseil en ce qui concerne la
collaboration avec les ONG en Egypte ?
— Depuis sa fondation, le conseil tient à coopérer avec
toutes les ONG. Celles-ci sont considérées comme un outil
indispensable dans la défense des droits politiques, civils,
économiques, etc. Le conseil a organisé six rencontres avec
celles parmi ces organisations qui ont répondu à
l’invitation. De plus, de nombreux protocoles de coopération
ont été signés avec ces organisations. Le conseil accueille
favorablement toute proposition de coopération de la part de
n’importe quelle ONG.
— Le conseil a plusieurs fois recommandé la levée de l’état
d’urgence. Quelle est la position du conseil quant aux
infractions résultant de son application dans les
commissariats de police et les lieux de détention ?
— Depuis sa création en 2004, le conseil a toujours réclamé
la levée de l’état d’urgence. Et quand le gouvernement a
annoncé l’élaboration d’une loi antiterroriste, le conseil a
mis l’accent sur l’équilibre que ce texte devra réaliser
entre les droits et les libertés des citoyens d’un côté et
la sécurité et la stabilité du pays de l’autre. Quant à
l’exploitation de la loi d’urgence dans des actes de
tortures et de maltraitance, elle est naturellement
condamnée dans les rapports du conseil dans les termes les
plus fermes.
— En 2011, les pays membres du Conseil international des
droits de l’homme devront se pencher sur la situation des
droits de l’homme en Egypte. Pourquoi notre pays en
particulier ?
— Chaque pays membre du Conseil international des droits de
l’homme peut passer par cette évaluation qui se décide
suivant un tirage au sort. Pour l’Egypte comme pour les
autres pays, l’évaluation se base sur les documents
présentés au conseil lors de la demande d’adhésion.
— Pensez-vous que le gouvernement est préparé ? Au cas où
des critiques seraient adressées à l’Egypte, le gouvernement
a-t-il le droit de revendiquer le principe de non-ingérence
?
— La Charte des Nations-Unies souligne le principe de
non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Mais
avec l’évolution de la loi internationale, les questions
relatives aux droits de l’homme justifient désormais une
exception, notamment dans les cas mettant en danger la
sécurité et la paix régionales ou internationales. C’est ce
qui s’est passé dans le cas des violations commises au
Darfour où le Conseil de sécurité a transmis le dossier à la
Cour pénale internationale. Dans ce cas, les décisions de la
Cour sont obligatoires. C’est ainsi qu’il devient difficile
dans l’ère de la mondialisation de séparer ce qui est
intérieur de ce qui est extérieur, en particulier en ce qui
concerne les violations des droits de l’homme.
— Le conseil est accusé d’avoir été créé pour embellir
l’image du gouvernement égyptien à l’étranger, surtout que
ses contacts avec les délégations étrangères sont plus
importants que ceux avec les responsables égyptiens ?
— Cette question n’est pas précise, le conseil travaille
avec acharnement sur les dossiers intérieurs et n’importe
qui peut revoir le dernier rapport émis par le conseil pour
prendre connaissance de la quantité de notre travail. Le
conseil est convaincu qu’il doit jouer un rôle important
dans le domaine des droits de l’homme. Il a été le premier à
appeler à la réunion régionale des Conseils arabes des
droits de l’homme et à la tenue de la première réunion
complémentaire des Etats africains sur les droits de l’homme
en 2007. L’objectif était d’échanger les expériences à
propos des problèmes relatifs aux droits de l’homme dans les
Etats arabes et africains.
Rappelons que le Conseil national des droits de l’homme a
été fondé en Egypte de même que dans tous les autres pays
conformément aux recommandations de l’Assemblée générale de
l’Onu, pour que ses conseils puissent présenter des
consultations aux gouvernements dans le domaine de la
protection des droits de l’homme et pour diffuser la culture
des droits de l’homme.
— Alors que les taux de pauvreté sont en hausse continue, ne
pensez-vous pas que le conseil doit jouer un rôle plus actif
et avoir une voix plus haute pour combattre la pauvreté ?
— La hausse des taux de pauvreté est un phénomène mondial,
en particulier dans les Etats du tiers-monde, à cause de
l’augmentation exorbitante des prix des céréales et des
combustibles. Donc, il est tout à fait normal qu’en Egypte,
le gouvernement autant que la société civile s’intéressent à
ce problème qui nécessite un dialogue social auquel
participent les instances officielles, les hommes d’affaires
et les ONG pour parvenir aux moyens de faire face à ce
phénomène. Le conseil, dont le rôle est consultatif, a
organisé dans le cadre de « l’année de la citoyenneté » un
certain nombre d’activités qui ont abouti à des
recommandations importantes pour lutter contre la pauvreté
et qui ont été prises en considération par les instances
concernées. De plus, la question de la lutte contre la
pauvreté concerne tous les secteurs civils qui doivent
conjuguer leurs efforts pour aboutir à un plan stratégique
permettant de régler cette crise.
— Le conseil a dernièrement émis un rapport sur les
événements d’Abou-Fana signalant que les affrontements qui
ont eu lieu entre des bédouins armés et des moines n’étaient
pas de nature confessionnelle. Comment allez-vous répondre
aux critiques de l’Eglise égyptienne à propos de cette
question ?
— Il est vrai que le conflit n’est pas confessionnel. La
vraie question c’est l’application de la loi à tout le
monde. Le Conseil renouvelle son appel à la nécessité de
présenter un projet de loi unifié sur la construction des
lieux de culte. Ceci empêchera que de petits problèmes se
transforment en crises confessionnelles. De plus, je pense
que les hommes de religion doivent s’abstenir d’intervenir
dans les opérations d’achats de terrains consacrées à la
construction de lieux de culte tout en créant un appareil
civil chargé de cette mission pour éviter de tels problèmes.
— En tant que citoyen copte, que pensez-vous des
manifestations qui ont été organisées dans un nombre de
capitales européennes ainsi que du projet actuellement
élaboré au Congrès américain et visant à imposer des
sanctions à l’Egypte à cause du non-respect des droits des
minorités ?
— La citoyenneté est le cadre dans lequel vivent tous les
Egyptiens en Egypte, je refuse donc que la question me soit
adressée en tant que copte égyptien. Le citoyen qui vit à
l’intérieur du pays peut exprimer lui-même ses problèmes et
n’a pas besoin d’aide étrangère. Le conseil a organisé
plusieurs ateliers de travail avant la tenue de la
conférence de la citoyenneté. L’un de ces ateliers portait
sur les problèmes des Egyptiens en général à l’étranger.
Pour ce qui est de l’aide américaine, je n’ai pas
d’informations concernant cette question tout en sachant que
le gouvernement américain a la sagesse et l’expérience de ne
pas tomber dans le piège d’intervenir dans des questions qui
ne sont pas de son ressort.
— En tant que président du comité international chargé de la
campagne de Farouk Hosni pour la candidature à la présidence
de l’Unesco, pensez-vous qu’il remportera ce poste ?
— Oui, je pense qu’il a une grande chance de remporter le
poste. C’est un homme qui a effectué un trajet de 21 ans
dans le domaine culturel. Nous élaborons actuellement un
plan pour remporter ce poste important qui aura de
nombreuses répercussions positives. Farouk Hosni a une large
expérience dans le domaine des organisations internationales
en plus de profondes relations avec des personnalités
éminentes et des organisations civiles importantes. Ce qui
l’aidera à remporter le poste de président de l’Unesco. Les
derniers indices avant la visite qu’il a effectuée la
semaine passée pour l’Italie sont prometteurs, puisque ces
organisations l’appuient à l’étranger. De plus, le comité
international chargé de la candidature de Farouk Hosni
comprend des personnalités mondiales, dont le prince Karim
Agakhan.
Propos recueillis par Magda Barsoum