Urbanisme.
Si les publicités provocatrices pour les résidences de luxe
s’étalent dans les journaux, la pauvreté dans certains
quartiers, certes plus discrète, n’en est pas moins
choquante.
L’envers du décor
Ici,
l’expression « l’Egypte d’en bas », au sens littéral comme
au figuré, prend tout son sens. Des tours de bétons sur ce
qui devait être une déchetterie ! Voilà ce que l’on trouve à
Aziz Ezzat, îlot de pauvreté en plein cœur du quartier
populaire d’Imbaba, dans la banlieue cairote. Plus d’une
centaine de familles s’entassent dans les sous-sols de ces
habitations délabrées dans des conditions de vie inhumaines.
Les occupants des lieux vivent enterrés dans des « tombeaux
collectifs » comme ils les appellent eux-mêmes. A Ard Aziz
Ezzat, ces habitants de chambres souterraines souffrent
simplement d’être toujours en vie. Il ne s’agit pas de
simples logements pour les pauvres comme c’est le cas pour
des centaines d’autres. La situation ici est strictement
différente.
Ce terrain a été bâti il y a près de 25 ans pour servir de
logements à titre provisoire pour les personnes qui n’ont
pas de moyens, en attendant que le gouvernement leur procure
un domicile plus décent. En dessous de chaque bâtiment, des
entrepôts ont été construits afin d’y ranger des cartons de
papiers ou de livres mais l’humidité et la présence d’eaux
souterraines ont empêché le projet d’aboutir. Donc en guise
de remplacement, le gouvernement a décidé d’y placer des
citoyens sans domicile, ou d’autres dont les logements se
sont effondrés ou menaçaient de le faire. Am Magdi, l’un des
habitants des caves, affirme d’un ton moqueur : « Nous
valons beaucoup moins pour le gouvernement que les cartons
et les papiers qu’il stockait autrefois ici. Ces détritus ne
pouvaient pas supporter de telles conditions alors que nous
y sommes obligés », lance-t-il.
A l’extérieur, les ruelles sont lugubres, non goudronnées et
très cabossées. Le peu d’espace entre chaque immeuble laisse
difficilement passer les rayons du soleil. Les enfants
jouent au foot, pieds nus, au milieu des ordures et des
excréments d’animaux. Chevaux, chèvres, moutons et poules
côtoient la population, ce qui accroît l’odeur nauséabonde
qui se dégage de ces lieux. Parfois des cerfs-volants de
fortune, fabriqués à l’aide de sacs en plastique, se
prennent dans le linge, qui sèche à même la rue. Ici les
charrettes et les tok-toks ont remplacé les voitures, et
seul le vrombissement d’une moto se fait entendre de temps
en temps. Tout autour du quartier, des magasins aux
devantures multicolores égayent un peu l’endroit vétuste,
duquel ressort une impression ténébreuse. Si le paysage
extérieur est choquant, les conditions de vie en sous-sols
sont pires. Situé à 4 mètres de fond, un couloir étroit
distribue une vingtaine de petites pièces, d’une dizaine de
m2, dans chacun des 9 bâtiments. Elles font office de foyer
pour près de 200 familles, oubliées du développement.
Pourtant, ces locaux renferment généralement des familles
nombreuses qui comptent en moyenne entre 5 et 8 enfants.
Manquant de place, ils sont obligés de dormir à même le sol.
En effet, l’équipement sommaire reste dans le fond le point
commun de toutes ces chambres. Un ou parfois deux lits aux
couvertures usées et trouées, de temps en temps une chaise
avec une table, sur laquelle est placé un petit poste de
télévision que certains ont pu acheter d’occasion. Et comble
du luxe, un ventilateur comme seul moyen d’aérer les lieux,
qui n’ont accès à l’extérieur qu’à travers de minuscules
lucarnes. « Le plus souvent, nous sommes obligés de bloquer
ces ouvertures afin d’empêcher les insectes mais aussi les
rats et même les serpents d’entrer chez nous », déplore
Fériale Al-Sayed. « Nous les fermons aussi pour des
questions d’intimité. Il arrive fréquemment que des drogués
regardent dans nos chambres à coucher », ajoute-t-elle
consternée. Là-bas, les jours se suivent et se ressemblent.
Deux ou trois fois par semaine, les chambres sont inondées
par des écoulements venus des égouts. Là, un travail commun
commence. Il faut vider les lieux de cette eau sale qui leur
arrive parfois jusqu’aux genoux. L’intervalle de temps, trop
court, entre chaque inondation, ne permet pas aux murs de
sécher. Il suffit de les toucher pour qu’ils s’effritent.
Ce
quotidien oblige les femmes à effectuer toutes les tâches
ménagères en dehors de leurs taudis. Chaque matin, elles se
rassemblent en groupe, s’asseyant à l’extérieur pour
cuisiner. « C’est simplement parce qu’il n’y a pas de place
à l’intérieur de nos demeures pour placer une cuisinière et
c’est beaucoup trop dangereux d’y utiliser même un petit
réchaud », lance Samira Ahmad. Cette soi-disant culture de
vie commune se poursuit même jusque dans les salles de bain.
Elles sont placées hors des logements. En avoir une,
personnelle, serait trop luxueux. Comme pour les
habitations, le même schéma se répète : un corridor divise
une dizaine de cabines de toilettes que doivent se partager
toutes les familles des souterrains. Une situation très
délicate, notamment pour les femmes et les filles de Aziz
Ezzat. Les cas de viols ou d’agressions par les drogués sont
monnaie courante. « Dans la journée, à chaque fois qu’une
femme se rend aux toilettes, un homme de sa famille doit
faire le guet pour veiller à sa sécurité. Mais après 18h,
pas question pour les femmes d’y mettre les pieds», explique
Am Magdi.
Morts précoces
Une insalubrité et un état de délabrement qui ne sont pas
sans conséquences sur la santé des habitants du quartier. A
Aziz Ezzat, rares sont ceux qui dépassent l’âge de 55 ans,
soit 10 ans de moins que la moyenne d’âge en Egypte ! « Tous
mes enfants sont malades. Ma fille qui a huit ans a déjà un
rhumatisme au cœur et mon fils de trois ans souffre d’une
allergie au poumon. Mais ce n’est pas aussi pire que mes
voisins », raconte Samira Ahmad, en montrant tristement du
doigt ses deux enfants.
Sur les visages, le désespoir se lit surtout depuis que les
nombreuses plaintes sont restées lettre morte. Le maire du
quartier, leur représentant au Parlement et même le Conseil
national des droits de l’homme, demeurent sourds à leurs
doléances. Bien au contraire, lorsque le Centre du droit à
l’habitat a tenté de les aider, en menant des procès ou en
présentant leurs demandes vers la présidence, les tentatives
n’ont jamais abouti. D’après Mohamad Abdel-Azim, avocat du
centre et responsable du quartier de Aziz Ezzat, « la mairie
ne cesse de faire des promesses pour reloger ces gens le
plus vite possible. Et voilà que 25 ans se sont écoulés et
qu’ils n’ont pas bougé de leur place », où le provisoire
dure depuis 25 ans … .
Chaïmaa Abdel-Hamid
Côme Gallet