Al-Ahram Hebdo,Dossier | L’envers du décor
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 6 au 12 août 2008, numéro 726

 

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Dossier

Urbanisme. Si les publicités provocatrices pour les résidences de luxe s’étalent dans les journaux, la pauvreté dans certains quartiers, certes plus discrète, n’en est pas moins choquante. 

L’envers du décor 

Ici, l’expression « l’Egypte d’en bas », au sens littéral comme au figuré, prend tout son sens. Des tours de bétons sur ce qui devait être une déchetterie ! Voilà ce que l’on trouve à Aziz Ezzat, îlot de pauvreté en plein cœur du quartier populaire d’Imbaba, dans la banlieue cairote. Plus d’une centaine de familles s’entassent dans les sous-sols de ces habitations délabrées dans des conditions de vie inhumaines. Les occupants des lieux vivent enterrés dans des « tombeaux collectifs » comme ils les appellent eux-mêmes. A Ard Aziz Ezzat, ces habitants de chambres souterraines souffrent simplement d’être toujours en vie. Il ne s’agit pas de simples logements pour les pauvres comme c’est le cas pour des centaines d’autres. La situation ici est strictement différente.

Ce terrain a été bâti il y a près de 25 ans pour servir de logements à titre provisoire pour les personnes qui n’ont pas de moyens, en attendant que le gouvernement leur procure un domicile plus décent. En dessous de chaque bâtiment, des entrepôts ont été construits afin d’y ranger des cartons de papiers ou de livres mais l’humidité et la présence d’eaux souterraines ont empêché le projet d’aboutir. Donc en guise de remplacement, le gouvernement a décidé d’y placer des citoyens sans domicile, ou d’autres dont les logements se sont effondrés ou menaçaient de le faire. Am Magdi, l’un des habitants des caves, affirme d’un ton moqueur : « Nous valons beaucoup moins pour le gouvernement que les cartons et les papiers qu’il stockait autrefois ici. Ces détritus ne pouvaient pas supporter de telles conditions alors que nous y sommes obligés », lance-t-il.

A l’extérieur, les ruelles sont lugubres, non goudronnées et très cabossées. Le peu d’espace entre chaque immeuble laisse difficilement passer les rayons du soleil. Les enfants jouent au foot, pieds nus, au milieu des ordures et des excréments d’animaux. Chevaux, chèvres, moutons et poules côtoient la population, ce qui accroît l’odeur nauséabonde qui se dégage de ces lieux. Parfois des cerfs-volants de fortune, fabriqués à l’aide de sacs en plastique, se prennent dans le linge, qui sèche à même la rue. Ici les charrettes et les tok-toks ont remplacé les voitures, et seul le vrombissement d’une moto se fait entendre de temps en temps. Tout autour du quartier, des magasins aux devantures multicolores égayent un peu l’endroit vétuste, duquel ressort une impression ténébreuse. Si le paysage extérieur est choquant, les conditions de vie en sous-sols sont pires. Situé à 4 mètres de fond, un couloir étroit distribue une vingtaine de petites pièces, d’une dizaine de m2, dans chacun des 9 bâtiments. Elles font office de foyer pour près de 200 familles, oubliées du développement. Pourtant, ces locaux renferment généralement des familles nombreuses qui comptent en moyenne entre 5 et 8 enfants. Manquant de place, ils sont obligés de dormir à même le sol. En effet, l’équipement sommaire reste dans le fond le point commun de toutes ces chambres. Un ou parfois deux lits aux couvertures usées et trouées, de temps en temps une chaise avec une table, sur laquelle est placé un petit poste de télévision que certains ont pu acheter d’occasion. Et comble du luxe, un ventilateur comme seul moyen d’aérer les lieux, qui n’ont accès à l’extérieur qu’à travers de minuscules lucarnes. « Le plus souvent, nous sommes obligés de bloquer ces ouvertures afin d’empêcher les insectes mais aussi les rats et même les serpents d’entrer chez nous », déplore Fériale Al-Sayed. « Nous les fermons aussi pour des questions d’intimité. Il arrive fréquemment que des drogués regardent dans nos chambres à coucher », ajoute-t-elle consternée. Là-bas, les jours se suivent et se ressemblent. Deux ou trois fois par semaine, les chambres sont inondées par des écoulements venus des égouts. Là, un travail commun commence. Il faut vider les lieux de cette eau sale qui leur arrive parfois jusqu’aux genoux. L’intervalle de temps, trop court, entre chaque inondation, ne permet pas aux murs de sécher. Il suffit de les toucher pour qu’ils s’effritent.

Ce quotidien oblige les femmes à effectuer toutes les tâches ménagères en dehors de leurs taudis. Chaque matin, elles se rassemblent en groupe, s’asseyant à l’extérieur pour cuisiner. « C’est simplement parce qu’il n’y a pas de place à l’intérieur de nos demeures pour placer une cuisinière et c’est beaucoup trop dangereux d’y utiliser même un petit réchaud », lance Samira Ahmad. Cette soi-disant culture de vie commune se poursuit même jusque dans les salles de bain. Elles sont placées hors des logements. En avoir une, personnelle, serait trop luxueux. Comme pour les habitations, le même schéma se répète : un corridor divise une dizaine de cabines de toilettes que doivent se partager toutes les familles des souterrains. Une situation très délicate, notamment pour les femmes et les filles de Aziz Ezzat. Les cas de viols ou d’agressions par les drogués sont monnaie courante. « Dans la journée, à chaque fois qu’une femme se rend aux toilettes, un homme de sa famille doit faire le guet pour veiller à sa sécurité. Mais après 18h, pas question pour les femmes d’y mettre les pieds», explique Am Magdi.

 

Morts précoces

Une insalubrité et un état de délabrement qui ne sont pas sans conséquences sur la santé des habitants du quartier. A Aziz Ezzat, rares sont ceux qui dépassent l’âge de 55 ans, soit 10 ans de moins que la moyenne d’âge en Egypte ! « Tous mes enfants sont malades. Ma fille qui a huit ans a déjà un rhumatisme au cœur et mon fils de trois ans souffre d’une allergie au poumon. Mais ce n’est pas aussi pire que mes voisins », raconte Samira Ahmad, en montrant tristement du doigt ses deux enfants.

Sur les visages, le désespoir se lit surtout depuis que les nombreuses plaintes sont restées lettre morte. Le maire du quartier, leur représentant au Parlement et même le Conseil national des droits de l’homme, demeurent sourds à leurs doléances. Bien au contraire, lorsque le Centre du droit à l’habitat a tenté de les aider, en menant des procès ou en présentant leurs demandes vers la présidence, les tentatives n’ont jamais abouti. D’après Mohamad Abdel-Azim, avocat du centre et responsable du quartier de Aziz Ezzat, « la mairie ne cesse de faire des promesses pour reloger ces gens le plus vite possible. Et voilà que 25 ans se sont écoulés et qu’ils n’ont pas bougé de leur place », où le provisoire dure depuis 25 ans … .

Chaïmaa Abdel-Hamid 
Côme Gallet

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Micro-trottoir 

« La promotion des produits et services excessivement chers a un impact négatif et renforce la division, voire la frustration dans une société où le chômage touche la majorité des jeunes. Les riches ont le droit de vivre tel qu’ils le veulent, mais n’ont pas le droit d’amplifier les causes de frustration ».
Aymane
Zohri,
expert en exode et immigration.

 

« Ces publicités d’appartements, de villas ou de maisons, soit dans les nouvelles villes ou au bord de la mer, me provoquent. Les prix exorbitants de ces logements me poussent à m’interroger sur les acheteurs ? Qui sont-ils ? Cette disparité ne représente-t-elle pas un danger pour la société ? Les Egyptiens finiront soit par devenir criminels soit par quitter le pays ».
Ahmad Chawqi,
serveur dans un café-resto.
 

« Chacun est libre, les propriétaires de ces projets sont libres de faire des campagnes publicitaires et les riches sont libres d’acheter ces appartements. Je crois que la situation interpelle beaucoup de gens car le gouvernement adopte une politique aidant les riches à s’enrichir et les pauvres à s’appauvrir ».
Ahmad Sabri,
ingénieur.
 

« Je crois que ces nouveaux villages touristiques sont vraiment chers, personnellement je ne me sens pas concerné, je suis encore libéré de ce fardeau, puisque je ne suis pas responsable d’une famille ».
Mina Hagrass,
étudiant à l’Université américaine.
 

« Est-ce que ça existe vraiment tous ces immeubles ? Les Egyptiens ont-ils vraiment des millions de livres pour s’acheter un appartement ? Je crois que c’est une farce ».
Gamal Eid,
fonctionnaire.
 

« Ces immobiliers luxueux se multiplient, laissant penser qu’ils sont accessibles à tout le monde et non pas à une certaine classe sociale».
Riham Ali,
banquière.
 

« Au début, j’étais optimiste parce que je voyais le pays s’embellir, mais j’ai réalisé que seule une classe sociale très restreinte profite de ce progrès et que le fossé entre riches et pauvres s’élargit de plus en plus. Il y a des Egyptiens qui ne trouvent pas le pain et d’autres qui achètent des maisons à des millions de livres égyptiennes ».
Imane Emari,
journaliste.
 

 




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