Al-Ahram Hebdo, Visages | Samir Hassan, Le cri d’un fils du Nil
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 5 au 11 Mars 2008, numéro 704

 

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A 65 ans, Samir Hassan, président du Comité de suivi des revendications nubiennes, ouvre un dossier longtemps resté silencieux : le souvenir de ses ancêtres. Un autre défi pour cet ouvrier qui a toujours refusé le calme des eaux stagnantes.

Le cri d’un fils du Nil

Rebelle comme les effluves du Nil, doux comme sa quiétude, Samir Hassan Al-Arabi, activiste nubien, semble être un fils légitime du fleuve. Un sourire amer trahit pourtant ses traits pacifiques. Il change de tempérament aux premières assertions qui lui déplaisent. Exil, souffrance et solitude ont forgé la personnalité de cet activiste. Il est une figure de proue de la communauté nubienne, décidant de briser le ghetto qui lui a été imposé et faire entendre à tout le monde le cri d’un peuple qui a payé de sa vie pour la modernisation de l’Egypte.

Son village Danoud a disparu suite à l’instauration du Bassin d’Assouan en 1902, et sa famille, descendante d’Al-Kenouz, a émigré au Caire lors de la deuxième guerre mondiale (1939-1945). Cependant, elle ne renonce pas au retour un jour sur sa terre, bordant le Nil. Mais après les différentes élévations du bassin des années 1930 et la construction du Haut-Barrage en 1964, l’ancienne Nubie a été rayée de la carte. La dispersion du peuple nubien aux quatre coins de l’Egypte commence alors.

Né en 1943 au Caire, Samir n’a jamais vu son village Natal. Pourtant, il ne parvient pas à se fondre dans les masses de la capitale. Son sentiment d’émigré hante son âme et grandit avec lui. Le silence passé sur les droits perdus de sa communauté l’exaspère et attise sa décision de lutter. Il entame sa lutte à l’âge de 50 ans, et s’avère aujourd’hui un activiste farouche prêt à payer de sa vie pour le dossier nubien. Il ne rate aucune occasion de présenter sa cause, gagner la sympathie de l’opinion publique et accéder aux responsables. « L’expérience m’a appris que la cinquantaine d’ONG nubiennes présentes sur le terrain œuvrent pour la solidarité sociale et la préservation du patrimoine. Mais elles négligent la revendication du droit à la citoyenneté. Le cumul de la peur et de l’hésitation au fil du temps leur a inculqué l’oubli. D’ailleurs, l’acte social nubien est marqué parfois par la divergence ethnique (vadiq-Kenouz). Il est l’heure alors d’unir le rang nubien sous une nouvelle vision de l’acte civil conforme aux droits de l’homme », assure Al-Arabi.

A 65 ans, ouvrier à la retraite, il ne baisse pas les bras et décide d’entamer un branle-bas de combat. Il fonde donc le comité chargé de porter les revendications nubiennes au plus haut niveau gouvernemental. Un travail qui consiste à revigorer les instances de ce comité, fondé dans les années 1960 pour défendre les droits nubiens, et qui s’est éteint à la suite de la dernière vague d’émigration après Nasser. Ce nouveau comité place son action dans 5 gouvernorats où se trouve une agglomération nubienne importante, l’amenant à cautionner son objectif de faire accéder ses réclamations et ses voix à la large population. Et ce, par des moyens méthodologiques et scientifiques afin d’unir et coordonner les efforts déployés. Dans cette bataille, Samir investit son savoir et son activité syndicale qui lui a valu 5 fois d’incarcération pour dissidence avec le régime et le renvoi deux fois de son travail. Il ne tarde pas à faire le tour des ONG qui œuvrent pour les droits de l’homme. Il fouille partout à la recherche d’un document qui assure le droit nubien. Il va aussi jusqu’à se référer aux conventions internationales signées entre le gouvernement égyptien dans les années 1960 et la FAO, garantissant le droit des Nubiens à habiter les rives du lac Nasser, une fois que le niveau de celui-ci devient stable. Il se déplace également pour exprimer sa solidarité aux 250 femmes qui habitent encore la région nubienne sinistrée et les aider à contacter le Conseil de la femme, les ONG et les députés pour faire valoir leur droit à demeurer sur leur terre. Il obtient aussi l’empathie des écrivains, des journalistes et des intellectuels. « Nous avons beaucoup souffert. On a sacrifié nos terres, nos maisons ainsi que les cimetières de nos aïeux. Une promesse de nous indemniser, formulée depuis plus de 40 ans, n’a jamais été concrétisée, et le droit nubien a été bafoué. De plus, le gouvernement veut attribuer les nouvelles terres du sud aux investisseurs, alors qu’elles reviennent de droit aux Nubiens. Il suffit d’invoquer le recensement de 1964 qui assure qu’ils ont besoin de 5 521 logements alors qu’ils n’habitent que le tiers de ce quota, aujourd’hui », s’indigne Al-Arabi tout en ajoutant que les anciens émigrés ont été obligés de s’installer dans une région distante de 50 km de l’eau potable, alors qu’ils étaient accoutumés à avoir le Nil à leur portée. « Dans des conditions lamentables, 1 500 enfants ont trouvé la mort durant la première année qui a suivi l’émigration. Dans un lugubre sentiment, nous avons baptisé un jardin d’enfant et un cimetière, tant le nombre d’enfants qui y sont enterrés était colossal »,déplore-t-il sur un ton amer. Ce calvaire, Hassan l’a très tôt éprouvé dans sa propre chair.

Ses parents ont essayé de lui occulter certaines vérités pour ne pas intensifier sa haine. Mais le petit Samir lisait dans le regard de sa mère la douleur qu’elle dissimulait. Cette grande dame, fille d’un maire qui possédait une île, se trouva étrange et pauvre dans la capitale. Elle a perdu un de ses frères lors du conflit avec les Anglais, alors qu’un autre a choisi de partir au Soudan après l’émigration, et ses sœurs ont été essaimées dans les différents gouvernorats d’Egypte. Sa douleur transparaissait dans les airs tristes qu’elle chantait, pour tremper son ennui. Ses chansons inculquaient à sa progéniture l’amour de la langue nubienne et la nostalgie des histoires d’un beau passé. « Dans l’absence de la terre, d’un village natal, la mère est pour l’individu le symbole de ces origines, ses racines. j’ai vécu la mort de la mienne comme une terrible rupture avec mes attaches ethniques », dit-il. A l’instar de la plupart des Nubiens, le père de Samir était contraint d’accepter un travail marginalisé pour pouvoir vivre au Caire. Chauffeur, il a dû refuser un bel habitat pour loger dans une pièce exiguë sur le toit d’un immeuble au centre-ville. Il éprouvait incessamment un sentiment d’insécurité qu’il partageait avec la majorité de sa communauté. Cependant, ce logement précaire leur servait d’alibi ; le déplacement de leurs terres ne serait que provisoire. Au quartier d’Abdine qui rassemblait la plupart de la communauté, Samir se sentait entouré par sa grande tribu. Souffrant de la discrimination des siens par ses camarades d’école, il choisissait ses amis parmi ses coregionnaires. Ses camarades se moquaient de son teint foncé, lui ôtaient son tarbouche, le surnommant Hobo hobo (mot familier et raciste qui signifie cendre). Plus tard, il voulait protéger les filles de sa tribu de cette vision péjorative. Il se marie avec une cousine, mais se garde bien d’élever ses filles dans les idées issues des vieilles traditions. « Bien que je sois un farouche combattant de la cause nubienne, je lutte contre les traditions rétrogrades qui exigent que les Nubiens se marient entre eux pour conserver les liens tribaux ». Une de ses filles est aujourd’hui une journaliste émancipée.

Dans les couloirs, du club nubien qu’il a présidé plusieurs fois, il arrive à comprendre l’essence de l’histoire nubienne. Le chagrin, la nostalgie et le rêve du retour constituent le sujet principal de toute rencontre. Ce chagrin a développé en lui l’esprit d’artiste. Il estime que chaque Nubien est un artiste d’instinct. L’architecture nubienne fut une source d’inspiration pour l’architecte Hassan Fathi. La musique nubienne a donné au chanteur Mohamad Mounir sa particularité. Le patrimoine nubien a caractérisé les œuvres de l’écrivain de renommée Haggag Adoul. « La nature pittoresque où est né cet individu et qui unit ce contraste eau, désert et verdure a longtemps creusé son talent », ajoute Samir qui croit bien dans l’importance de l’art pour changer la réalité. « Lorsque j’ai lu le roman Al-Chamandoura, je me suis rendu compte à quel point les Nubiens ont souffert. Cet ouvrage raconte exactement ce qui a eu lieu. Et depuis j’ai décidé de changer mon itinéraire pour consacrer mes efforts au potentiel de notre lutte », explique-t-il. Ce roman fait partie de 6 000 autres titres qui forment sa bibliothèque. « Je m’intéresse vivement au patrimoine nubien qui explique les secrets de l’identité nubienne. Encore jeune, la chanson orientale ne me ravisait pas. Je préférais les chœurs répétés dans les cérémonies nubiennes ».

Pourtant jusqu’à 1990, selon lui, la communauté nubienne ne disposait pas d’une documentation sur son patrimoine. Il fallait donc qu’il se lance dans une autre bataille pour préserver les arts nubiens à travers le club nubien. « Les anciens chanteurs qui maîtrisaient la chanson nubienne sont partis aux pays du Golfe. De retour, ils ont fait de l’argent et ne voulaient plus poursuivre leur carrière ». Pendant deux ans, Samir devait tenter de les convaincre de l’importance du retour. « Je leur répétais que Nasser a fait disparaître nos maisons et vous, à votre tour, allez enterrer nos arts ». Enfin, il marque un score et organise le premier festival pour les arts nubiens qui a duré six jours en 2005.

Entre le chagrin de l’artiste et la colère du rebelle, Hassan reste un grand rêveur. Il aspire encore à regagner son village natal sur les rives du Nil afin d’y achever sa vie. « Lorsque les maisons des villes situées sur le Canal de suez ont été détruites après la défaite de 1967, ses habitants ont regagné de nouveaux logements une fois que la guerre de 73 était terminée. Alors pourquoi devrait-on attendre toutes ces années avant de regagner les nôtres. Sommes-nous des citoyens de second degré ? Il est vrai qu’on a pu réaliser quelques bénéfices, mais le trajet reste encore long … », conclut-il.

Dina Darwich

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Jalons 

1943 : Naissance.

1961 : Bac égyptien.

1963 : Diplôme de l’nstitut supérieur pour les industries militaires.

1998 : Elu comme directeur du club nubien.

2005 : Membre fondateur du Comité de suivi des revendications nubiennes.

 




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