Journée Mondiale de la Femme.
Pour des raisons historiques, politiques et culturelles, la
notion de « liberté de la femme » demeure une idée floue,
voire souvent incriminée.
La réalité et les bonnes intentions
Liberté, émancipation, non discrimination, égalité,
autonomie, des termes différents et des slogans que
brandissent les féministes, les ONG et même le gouvernement.
Au fil des ans, la notion de ces termes a quelque peu été
confuse, au point de freiner leur mise en application. Selon
Nihad Aboul-Qomsane, présidente de l’Association égyptienne
des droits de la femme, il n’existe pas une définition
explicite ni un agenda commun pouvant unifier les efforts
déployés en ce qui concerne la femme et qui expliquent les
procédés utilisés pour changer sa situation en Egypte. «
Nous sommes une société consommatrice d’idées et non pas une
société productrice. Cette situation crée bien sûr une sorte
d’ambiguïté concernant l’agenda de la femme en Egypte,
surtout qu’il change d’une décennie à l’autre »,
estime-t-elle.
Les associations de la société civile semblent travailler en
groupes isolés sur des dossiers différents, à savoir
violence contre la femme, émancipation sociale, politique et
culturelle, obtention de ses droits, etc. Les féministes,
quant à elles, ont une conception de la liberté qui semble
être teintée par leur idéologie et les principes de liberté
en vogue à chaque période. Le Conseil national de la femme,
représentant le gouvernement, a une troisième vision.
« Le but essentiel du Conseil national de la femme est de
parrainer la cause de la femme comme étant une citoyenne qui
a des droits et des devoirs équivalant à ceux de l’homme.
D’autant que les études et recherches ont prouvé qu’elle
constitue la tranche la plus lésée par rapport à
l’éducation, la santé, la culture et le travail bien que le
1/5 des femmes sont chefs de familles ». Tel est l’extrait
du discours de l’épouse du président, Suzanne Moubarak. Un
témoignage qui deviendra plus tard le leitmotiv du conseil.
Bref, il n’existe pas une vision claire, ni une stratégie
concernant la liberté de la femme en Egypte et la manière de
la mettre en pratique. Ceci est dû à ce que le mouvement
féministe en Egypte a connu des périodes de sursauts, de
reculs et des moments d’inertie tout le long de son
histoire.
En effet, les premières tentatives d’émancipation de la
femme en Egypte furent à la fin du XIXe siècle.
L’avant-gardiste Qassem Amin a rédigé deux livres, La
Libération de la femme en 1899 et La Nouvelle femme, la
représentant comme l’égale de l’homme pour améliorer sa
situation et sensibiliser l’opinion à son droit à
l’éducation, à choisir son partenaire et à mettre en cause
le mariage précoce, etc. Et ce, outre certains droits comme
l’héritage et l’indépendance financière que la charia a
recommandés, alors que la société l’en prive parfois.
Or, l’Egypte a connu pour la première fois l’idée de la
libération de la femme en 1924 après le retour de Hoda
Chaarawi de la Conférence internationale des Unions des
femmes qui s’est tenue à Rome et la fondation de l’Union de
la femme égyptienne.
Cette
féministe qui a ôté son voile, symbole de libération des
contraintes sociales, a été rattachée par les conservateurs
à une notion de libération jugée importée de l’Occident
ayant pour but de détruire la culture islamique et d’enrayer
les traditions conservatrices. Et ce qui a aggravé la
situation, c’est que le cinéma a eu un grand impact sur les
mentalités en incarnant des notions de liberté de façon
humoristique et caricaturale, réduisant quelque peu
l’importance de l’idée. Une femme libre était comparée à un
garçon manqué qui ne porte plus de talons ou bien une femme
qui a préféré le célibat au mariage.
Après la
Révolution de 1952, les slogans de la libération de la femme
se sont associés à ceux de la libération de la patrie. Une
idée qui a subi les revers de la défaite de 1967 à
l’exception de certaines initiatives individuelles prises
par Nawal Al-Saadawi, Farida Al-Naqqach et leur génération
de féministes.
Selon
Nihad Aboul-Qomsane, au début des années 1970, l’ex-première
Dame égyptienne, Gihane Al-Sadate, fascinée par le modèle
américain, a parrainé la cause de la femme. Ce qui a
provoqué une rupture entre le mouvement féministe et la rue.
Une occasion exploitée par les courants conservateurs pour
remettre en cause cette notion de libération de la femme.
Résultat : le mouvement féministe a témoigné d’un recul au
cours des années 1980 jusqu’à la tenue de la Conférence
mondiale de la population en 1994. Une nouvelle génération
de féministes ayant une autre conception de la libération
est arrivée.
Selon
Dina Samir, journaliste et spécialiste de la rubrique Femme
dans un journal, chaque génération de féministes a sa propre
vision. Les slogans brandis à chaque période, les
différentes conceptions de l’émancipation et les différentes
aspirations à chaque phase ont fait que la notion de liberté
de la femme est jugée par l’opinion comme étant une idée
importée. Pour elle, l’Occident n’est pas toujours un
exemple à suivre. « Il suffit de citer que certains pays
occidentaux connaissent encore des formes de discrimination
envers la femme en ce qui concerne les salaires et l’accès
aux postes-clés. Il faut donc préciser nos aspirations pour
la femme égyptienne », ajoute la journaliste.
« Il
existe une dualité sur plusieurs niveaux. Entre le discours
officiel et l’expérience pratique. Alors que les hauts
responsables portent leur soutien à la cause, 6 femmes
seulement ont été choisies au Parti national (parti au
pouvoir). De plus, il existe une dualité entre l’idée de la
libération de la femme, qui est en fait une idée importée de
l’Occident, et celle de la non discrimination sur laquelle
travaillent les ONG et le Conseil de la femme et qui
représentent un véritable besoin dans notre société »,
poursuit Imane Beibars, présidente de l’Association de
l’émancipation et du développement de la femme.
Une
dualité qui s’observe aussi au niveau de la terminologie. «
La conception en elle-même n’est pas constante. De plus, les
moyens de la diffuser au sein de la foule doivent être
flexibles pour que la rue ne rejette pas l’idée et ne la
ridiculise pas », conclut-elle.
Dina
Darwich