Delphine Minoui,
journaliste de 33 ans, installée au Moyen-Orient depuis 10
ans, vient de publier un livre sur la femme iranienne, Les
Pintades à Téhéran. Correspondante du Figaro en Iran, depuis
2002, elle a couvert la chute des Talibans, celle de Bagdad
et les années Ahmadinejad.
La frondeuse de Téhéran
Une silhouette fine, des taches de rousseur qui encadrent
par petites touches des yeux noisette au regard doux. C’est
ce que l’on retient au premier coup d’œil de Delphine Minoui,
journaliste de 33 ans, lauréate en 2006 du prix Albert
Londres, l’une des plus hautes distinctions dans le métier.
La première impression est trompeuse : il se dégage de cette
jeune femme une fragilité, une douceur qui laisse rapidement
place à des traits de caractère très différents : cette
femme est une frondeuse, une journaliste de l’extrême qui a
pendant 8 ans relayé l’information iranienne, iraqienne et
afghane, parfois au péril de sa vie. Avec clarté et fermeté,
elle fait voler en éclat un à un les préjugés, nombreux,
qu’Occidentaux comme Orientaux multiplient lorsqu’il s’agit
de l’Iran. « Parfois, il est plus facile d’être une femme
journaliste en Iran, car mes interlocuteurs sont plus
diversifiés que ceux de mes collègues masculins. Mon voile,
ou visa comme j’aime à l’appeler, fiché sur la tête, me
permet de me fondre dans la masse et je ne suis plus pointée
du doigt comme une étrangère. Rien ne m’empêche d’aller
interviewer un ayatollah enturbanné de la ville sainte de
Qom, ainsi que de pénétrer dans la sphère féminine »,
explique-t-elle, un long pashmina bleu acier négligemment
jeté sur les épaules. Ça, c’est un luxe qu’elle ne peut
s’offrir en Iran. La police des mœurs rôde, arpente les
grandes artères comme les ruelles, pour s’assurer que les
cheveux sont bien dérobés aux regards, et la peau du visage
dénuée de maquillage. Quid de l’esthétisme au féminin ?
Détrompez-vous, l’Iranienne a plusieurs tours dans son sac à
main clouté pour détourner avec élégance les lois
répressives des Mollahs. « Les Iraniennes sont extrêmement
coquettes, elles sont des adeptes des mèches peroxydées et
des queues de cheval qui dépassent allègrement du foulard,
lui-même coloré et assorti à la tenue. Parfois quand je
retourne à Paris, je me surprends à faire du lèche-vitrine,
avec une attention particulière pour les châles qui iraient
bien avec mon mantô ». Car avant de s’installer à Téhéran,
il y a 8 ans, la jeune femme, mi-iranienne, mi-française
était une Parisienne certifiée. Elle y est née, y a grandi,
et a fait ses études dans la capitale française. Toute
petite, avant 1979, date de la révolution islamique qui a
donné les rênes du pouvoir aux religieux, Delphine
accompagne son père en Iran. Elle y retourne en 1996, et là
c’est le déclic. Elle réalise que le climat géopolitique de
l’Iran et l’intérêt émergent que lui portent les médias à
travers le monde lui offrent une opportunité
professionnelle. Elle la saisit. La communauté
internationale se tourne vers l’Iran qui vient d’élire un
nouveau président, Khatami, religieux modéré pétri de
velléités réformistes. Sans oublier la fascination qu’a
immédiatement exercée sur elle l’Iran, ses contrastes, sa
schizophrénie, qu’elle décrira avec beaucoup de finesse
saupoudrée d’humour dans Les Pintades à Téhéran. Mais pour
le moment, elle a 22 ans. Fraîche émoulue d’une des plus
prestigieuses écoles de journalisme de France, le Celsa,
elle s’envole en 1997 pour l’Iran. Elle réalise des
reportages pour la grande famille de Radio France : France
Culture, France Inter et France Info. « A l’époque, je
faisais des aller-retour, et puis à force, j’ai décidé de
poser mes valises et d’y rester pour de bon »,
explique-t-elle. Elle plonge, elle s’immerge, elle
s’imprègne du pays, se familiarise avec la langue persane,
qui, d’un babillage hésitant dans les taxis collectifs,
deviendra maîtrisée, souple. Et cela grâce à une jeune
étudiante iranienne, « blogueuse chevronnée » comme aime à
la décrire Delphine, qui lui enseigne le persan grâce aux «
journaux intimes numérisés » qui envahissent la toile
iranienne. « L’avantage du blog, c’est que c’est une langue
parlée écrite, et donc beaucoup plus facile à apprendre que
le classique »
Quelques temps après son installation à Téhéran, l’actualité
s’emballe, la région est à feu et à sang : la chute des
Talibans déstabilise la zone et offre des possibilités de
reportages à la jeune journaliste, qui n’hésite pas une
seconde : « sur un coup de tête, j’ai pris l’avion
Téhéran-Machad, j’ai loué une voiture pour traverser la
frontière jusqu’à Herat, et j’ai couvert l’après-chute des
Talibans », dit-elle, avec simplicité. Elle y retourne
régulièrement et s’investit même pendant quelques mois dans
une ONG qui dispense des cours de radio aux jeunes
journalistes afghans, afin de les familiariser avec les
principaux outils du travail de journaliste : le micro et
l’ordinateur. Et puis, de fil en aiguille, c’est le pays
frontalier à l’Est, l’Iraq, qui en mars 2003 entre dans une
guerre effroyable. C’est par le Kurdistan, semi-autonome
depuis 1991, que Delphine Minoui pénètre sur le territoire
iraqien où elle assiste en direct à la chute de Bagdad. Elle
y retourne régulièrement, en passant par Tikrit et Kirkouk,
avec ses collègues journalistes. Tous évitent de se
retrouver isolés, l’odeur des liasses de dollars leur colle
trop à la peau. Ils sont les cibles privilégiées des
kidnappeurs, c’est pourquoi ils s’envoient toutes les heures
des SMS pour se rassurer entre confrères. En Iran, la jeune
femme se déplace seule, parfois en bus, parfois la nuit. «
L’Iran est un pays sûr dans la région, par contre, c’est
très différent pour l’Iraq et l’Afghanistan où les
conditions sécuritaires sont plus difficiles », dit-elle.
Correspondante régulière du quotidien Le Figaro depuis 2002,
Delphine Minoui est au plus près des évolutions politiques,
sociales et économiques qui donnent le ton de l’Iran
d’aujourd’hui. Et cela déplaît à certains. Un groupe
d’Iraniens opposants au régime, expatriés en France, baptisé
« Iran-Resist », l’accuse d’être la « porte-parole du régime
des Mollahs dont nous mettons régulièrement à jour les
manipulations journalistiques » et son blog a été la victime
des hackers. Elle ignore leur identité, mais pour elle,
certaines choses sont très claires : « ce sont des gens qui
n’ont pas remis les pieds au pays depuis la révolution de
1979 et qui regardent l’Iran d’aujourd’hui avec des
œillères. Le régime iranien est répressif. En revanche, il y
a une société civile qui pousse toujours vers le changement
et la démocratie, et qui est prête à payer le prix fort. Des
journaux réformistes voient le jour, les blogs abondent, des
ONG se créent … du coup, les membres d’Iran-Resist
m’accusent de donner la parole à des gens qui prouvent que
l’Iran n’est pas seulement un pays réprimé ».
Et cette sève de liberté qui coule dans les veines des
Iraniens, et plus particulièrement des Iraniennes, est
croquée avec esprit et finesse par Delphine Minoui dans Les
Pintades à Téhéran, un recueil de tranches de vie à la sauce
iranienne aux éditions Jacob-Duvernet. Cet ouvrage s’inscrit
au sein de la collection Les Pintades qui picore sur le vif
la vie des femmes dans les grandes métropoles. La pionnière
fut New-York, puis Londres, et enfin Téhéran … étonnant,
voire déroutant de mettre Téhéran là où on attendait
l’inévitable Paris ! Et pourtant, la vie des Iraniennes a
passionné, le livre depuis sa publication en juin dernier
connaît un vrai succès en librairie. « Sous le tchador, le
string musical », voilà une formule qui vient à l’esprit
après la lecture de ce portrait duel, schizophrénique de la
femme iranienne qui, sans s’opposer aux lois
ultra-répressives de la République islamique, les
contournent avec brio et beaucoup d’humour. Les cheveux
doivent être cachés sous le foulard … soit, on optera donc
pour le foulard miniature, qui laissera s’échapper de
nombreuses mèches. Le mantô est obligatoire ? Alors, on le
portera cintré, en jean, assorti au voile, qui se décline
dans des nuances très fashion.
Depuis 3 mois, Delphine Minoui réside à Beyrouth. Depuis
qu’on lui a retiré son permis de travail en Iran, pour une
raison qui lui est encore, à ce jour, obscure. « En tant que
journaliste en Iran, on risque, et ce n’est pas si rare,
d’être arrêtée en pleine rue par des hommes en civil, qui
vous interrogent, on reçoit des coups de fils anonymes, on
est sans arrêt intimidée, on reçoit des cailloux contre les
fenêtres de son appartement en pleine nuit … et c’est vrai
que ces derniers mois, la tendance s’est encore accentuée »,
révèle-t-elle, l’air grave.
Pour les mois et peut-être les années à venir, cette
spécialiste de l’Iran officiera depuis le Liban, tout en s’y
rendant très régulièrement. Elle continuera à aller au-delà
de l’actualité, au-devant du combat, afin de rapporter des
outils indispensables à la bonne compréhension des enjeux
iraniens, et à nous donner des clés pour appréhender
l’actualité de la région.
Louise Sarant