La tragédie de Gaza
Wahid Abdel-Méguid
La scène dans la bande de Gaza est pénible et attristante
pour n’importe quelle conscience humaine. Et ceci s’applique
sur les 365 km2 et non pas uniquement aux environs du point
de passage de Rafah. Rafah qui a vu la sortie des milliers
de Palestiniens fuyant une tragédie sans pareille dans le
monde d’aujourd’hui.
La situation à Gaza est difficile, même sans blocus.
Imaginons alors ce qu’elle peut être lorsque la bande se
transforme en une prison, au sens propre du terme. On répète
depuis des années que Gaza compte environ un million et demi
d’habitants. Mais il est fort probable que ce nombre frôle
aujourd’hui les deux millions ou au moins un million et 800
000. Difficile d’imaginer que cette population vit dans «
une boîte », d’autant plus que la longueur de la bande ne
dépasse pas les 40 km pour une largeur de 10 km.
En plus de cette densité démographique, l’une des plus
élevées à l’échelle mondiale, la population vit sur une
terre quasiment sans ressources. Seuls quelques lopins de
terres sont cultivés, il y a aussi de petites usines qui
pour la plupart sont plutôt des petits ateliers dont le
nombre ne dépasse pas 300. Il était donc tout à fait naturel
que le résultat de cette équation, qui est incontestablement
symbole de misère, soit un taux très élevé de chômage et de
pauvreté, des plus hauts du monde.
Puisque le secteur de Gaza depuis son occupation en 1967 n’a
jamais connu une vie normale, cette équation paraît plus
misérable encore, que ce soit dans ses composantes ou dans
ses résultats. Combien de feddans (1 feddan = 0,42 ha)
cultivés ont été rasés par les forces d’occupation ? Même
les fameux oliviers de la région ont été complètement
anéantis. Comme si les forces d’occupation trouvaient du
plaisir à porter préjudice à tout ce que Dieu a béni. Les
petits ateliers sont également
devenus la cible des campagnes et des raids féroces
d’Israël.
L’Egypte ne peut pas devenir l’acteur d’un blocus
C’est dans ce contexte que s’inscrit la position courageuse
de l’Egypte lorsqu’elle a assumé la responsabilité humaine
et nationale de sauver Gaza en ouvrant la frontière de Rafah
et en permettant le passage d’un grand nombre de ses
habitants. Ce après qu’Israël eut isolé Gaza et interdit
l’accès des marchandises, des médicaments, des carburants et
de l’électricité.
Sur le plan humain, l’Egypte ne peut pas devenir l’acteur
d’un blocus qui se transformera en un crime contre
l’humanité au cas où il persisterait. Sur le plan national,
la bande de Gaza est reliée à la sécurité égyptienne. Si la
cause palestinienne représente l’une des facettes de
l’intérêt national égyptien et ne s’inscrit pas uniquement
dans le cadre de l’engagement de l’Egypte aux causes
nationales arabes, le secteur de Gaza se trouve
géographiquement et historiquement au cœur même de cet
intérêt. En plus du Soudan bien sûr.
L’Egypte était directement responsable de ce secteur entre
1948 et 1967. Des relations d’un type que l’on retrouve
rarement se sont alors tissées entre les Egyptiens du Sinaï
et leurs frères de Gaza.
Le rideau ne peut jamais tomber pour annoncer la fin de
cette histoire, parce qu’il s’agit d’une cause noble et liée
à des constats et des réalités géographiques. Si les
relations géographiques fabriquent l’Histoire dans ce cas
particulier, elles déterminent également les destins.
Le plus douloureux dans la scène que vit actuellement la
bande de Gaza est l’absence de règlement de la cause noble,
qui a engendré toute cette situation et qui pourrait
entraîner le pire.
La tragédie humaine de Gaza fait pleurer le monde entier à
un moment où la catastrophe politique, dans la bande comme
en Cisjordanie, n’est pas moins pénible aux yeux des
sympathisants de la cause palestinienne. Cette cause, qui a
préoccupé les opinions publiques des décennies durant, s’est
perdue dans les méandres de la tragédie humaine pesante à
Gaza. Espérons qu’elle ne sera pas oubliée, à l’heure où le
facteur humain prédomine aujourd’hui et éclipse tous les
autres dossiers. S’il est vrai que le facteur humain prend
le dessus ou suspend le politique, la chose ne doit pas être
vue sous cet angle dans le cas palestinien. Surtout que
depuis toujours le facteur humain et le facteur politique
sont les deux facettes d’une même monnaie pour ce qui est de
la cause palestinienne. Je dirais alors que la douleur
engendrée par la tragédie humaine a été la même que celle
ressentie avec l’anéantissement jour après jour de la cause
noble de la Palestine.
Nous ne devons pas ignorer toutes ces réalités, même si nous
sommes plongés dans la douleur de la tragédie de Gaza. Il
n’y a pas moyen de sauver nos frères de Gaza, tout comme de
Cisjordanie, sauf si nous luttons contre la disparition de
la cause noble principale. Il n’y a pas moyen de sauver la
situation sauf si les leaders de Gaza et de Cisjordanie
ainsi que les deux principaux mouvements, le Hamas et le
Fatah, assument leurs responsabilités nationales. Ces
responsabilités tombées dans l’oubli lorsqu’ils se sont
noyés dans leurs conflits sur le pouvoir, l’influence, les
intérêts et les fonds.
Plus le règlement du conflit palestinien interne prend du
retard, plus il se complique. Il prendra progressivement
mais rapidement un aspect proche du conflit libanais dont le
règlement s’avère impossible sans une entente
régionalo-internationale. Si ce scénario prévaut, il est
inéluctable que la cause palestinienne se dissipera. Ce qui
nécessitera une action arabe rapide pour la sauver de ceux
qui sont supposés être ses parrains.
Entre-temps, il est vital de déconnecter immédiatement Gaza
d’Israël, surtout en ce qui concerne la fourniture
d’électricité et de carburant. Il est clair qu’Israël est
capable d’étouffer les habitants de ce secteur même au cas
où ils parviendraient à une solution quant aux points de
passage. Il est alors probable que le fait d’intégrer Gaza
dans le projet d’alimentation électrique de l’est et du sud
de la Méditerranée soit un pas dans ce sens. Ainsi sera-t-il
possible de sauver les Palestiniens et la Palestine même. La
Palestine, cette cause qui se dissipe devant nous jour après
jour.