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 Semaine du 6 au 12 février 2008, numéro 700

 

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Opinion
 

La place de l’écrivain dans la société

Mohamed Salmawy

Le roi Carl XVI Gustaf de Suède m’a dit : « Si j’étais écrivain, j’abdiquerais le trône et je ne ferais qu’écrire ». L’écrivain est le symbole de la nation. On ne peut pas le former comme un médecin ou un ingénieur, mais il naît avec ce don. C’est pourquoi les nations civilisées sont celles qui savent découvrir l’écrivain dès sa plus tendre enfance. Elles le parrainent jusqu’à ce qu’il devienne écrivain et qu’il relève leurs prestiges.

Le progrès des nations ne se mesure pas en fonction du nombre de politiciens, mais en fonction du nombre d’écrivains et de la place qu’ils se taillent dans la société.

Ceci a eu lieu en décembre 1998 durant les cérémonies de la remise du Nobel Mahfouz à la capitale suédoise Stockholm. Le roi et son épouse avaient l’habitude d’accueillir après la fin des cérémonies chaque lauréat, l’un après l’autre, à titre individuel. Au cours de ce tête-à-tête, la reine Silvia s’est mise à discuter avec les deux filles de notre grand homme de lettres et avec mon épouse. Le roi a choisi, lui, de mener une discussion avec moi à propos de la valeur de l’écrivain dans la société. J’ai été étonné par la place privilégiée qu’accordait le roi à l’écrivain et à laquelle nous avons appelé il y a bien longtemps. Je me suis demandé combien de dirigeants de par le monde réalisent cette place ? Quel est l’impact que les écrivains ont sur leurs sociétés, et quel est le regard que leur porte le monde, notamment ici dans notre monde arabe ? D’autant que l’écrivain se trouve souvent en confrontation hostile avec son gouvernement, qui pourrait le mener, au pire des cas, à l’incarcérer, l’ignorer et à le marginaliser, dans le meilleur des cas.

Si nous observons notre état en Egypte, nous trouverons que la place de l’écrivain a beaucoup régressé au cours des dernières décennies. D’ailleurs, l’exemple le plus simple est la manière avec laquelle la presse et les médias traitent l’écrivain et qui reflète en général le recul du regard porté à lui et à son importance. D’aucuns pourraient s’étonner, s’ils passent en revue l’un des anciens numéros de nos journaux, de voir que la publication d’une poésie signée par Ahmed Chawqi, surnommé Prince des poètes, était l’événement de l’édition à une époque donnée. Elle était publiée à la une du journal et était traitée comme une manchette politique. Il était normal de voir les grands noms de la presse à l’exemple de Abbass Mahmoud Al-Aqqad ou Mohamed Hussein Heykal pacha débattre des grandes causes nationales sur les pages des journaux, depuis l’occupation britannique, jusqu’à la corruption de la royauté, en passant par la cause palestinienne et les abus des partis.

D’étroites relations d’amitié liaient nos écrivains à leurs homologues de par le monde. Nous avons vu par exemple Taha Hussein présenter Jean Cocteau lorsqu’il était en visite en Egypte et nous avons vu André Gide écrire sur Tewfik Al-Hakim.

D’autres pourraient d’emblée dire : mais où sont donc aujourd’hui Taha Hussein, Al-Aqqad ou Tewfik Al-Hakim ? A mon avis, la question aurait dû être posée autrement : Qui a formé Taha Hussein, Al-Aqqad, Tewfik Al-Hakim et les autres qui étaient les symboles de leurs époques ? N’étaient-ce pas leurs propres sociétés ? Si aujourd’hui, il n’y a pas d’Ahmed Chawqi ou d’Al-Aqqad, ceci veut dire que la société a ignoré la valeur de l’écrivain. Combien sont nombreux les talents en herbe dans notre société actuelle, qui auraient pu devenir des géants de la littérature et de la pensée ? Mais la société ne s’est pas tournée vers eux et notre système éducatif n’a pas contribué à les découvrir. Ils se sont alors orientés vers l’étude de l’informatique ou bien leur rêve est devenu de travailler auprès d’une banque étrangère ou dans des hôtels touristiques.

La Révolution de Juillet a été consciente de l’importance de l’écrivain et de la culture de la société. Elle a alors privilégié les intellectuels. Elle leur a même fondé un ministère de la Culture, outre toute l’infrastructure sur laquelle il repose aujourd’hui. Depuis l’Académie des arts jusqu’à l’Orchestre symphonique du Caire et de l’Institut du cinéma qui a produit les plus importants films de l’histoire du cinéma égyptien, jusqu’aux palais de la culture, que l’on retrouve dans tous les villages et dans tous les recoins du pays. La fête de la science est devenue une occasion régulière pour honorer les grands artistes, les écrivains et les intellectuels. Depuis Oum Koulsoum jusqu’à Youssef Idriss et de Abdel-Wahab jusqu’à Zaki Naguib Mahmoud. Ainsi, une nouvelle génération a émergé dont les noms et les idées ont été liés à la nouvelle ère regroupant les célébrités comme Noamane Achour, Youssef Idriss, Ehsan Abdel-Qoddous, Youssef Al-Sebaï, Alfred Farag, Youssef Al-Charouni, Naguib Sourour, Bahaa Taher, Gamal Al-Ghitani et autres.

On pourrait répondre également que les écrivains qui ont enregistré des réussites à l’époque de la Révolution étaient le produit de l’éducation qu’ils ont obtenue à une époque antérieure à celle-ci. Ceci s’applique sur la génération de Taha Hussein et d’Al-Hakim. Mais il revient toujours à la Révolution le mérite d’avoir parrainé ces sommets littéraires et de leur avoir accordé la place qu’ils méritaient dans la société. Taha Hussein a alors obtenu le plus grand hommage et Al-Hakim a été considéré comme l’inspirateur de la Révolution.

La Révolution a donné naissance à une nouvelle génération d’écrivains qu’on ne pourrait pas attribuer à des époques antérieures. La pensée qu’ont exprimée Youssef Idriss, Naguib Sourour, Noamane Achour et Gamal Al-Ghitani est celle de la Révolution et non pas celle de l’avant-Révolution ou de la société royale.

Maintenant, ne faut-il pas nous demander : où sont les écrivains de notre époque dont on sera fiers et à propos desquels nous dirons : tels étaient nos écrivains au début du XXIe siècle ? Comme nous disons aujourd’hui, tels étaient les écrivains des années 1960 et dont les apports restent gravés jusqu’à maintenant.

J’ai récemment visité une école secondaire privée. Ses étudiants présentaient ma pièce de théâtre d’un seul acte « Le suivant ». Dans une rencontre avec eux, j’ai demandé : qui d’entre vous souhaitait devenir écrivain ? Personne n’a alors levé la main. Mais après quelques minutes embarrassantes l’un d’entre eux à levé la main avec timidité et m’a dit : « J’écris de la poésie, mais je voudrais travailler dans une compagnie étrangère de pétrole ». J’ai rétorqué : « Et la poésie ? ». « Je l’écrirais, dans mes heures libres », a-t-il répondu. Je lui ai demandé alors s’il ne voulait pas devenir poète. Il a répondu par la négative et m’a affirmé que la poésie ne pouvait pas être considérée comme une profession.

Cet étudiant avait raison. La poésie dans notre société actuelle ne peut pas devenir une profession pour un gagne-pain et ne façonne pas une place pour son auteur dans la société. Cette place dont m’a parlé le roi de Suède et pour laquelle il était prêt à abdiquer son trône. Un ami à moi m’avait dit qu’un jeune écrivain était venu demander sa fille en mariage. Il lui a bien sûr demandé quelle était sa profession. Lorsqu’il a su qu’il était au chômage et qu’il s’adonnait totalement à l’écriture, il est venu me demander à propos de lui et personnellement je ne savais rien à son propos. Ce n’est pas la faute du jeune écrivain, mais plutôt celle de la société. Comme l’étudiant de l’école secondaire qui a décidé de faire de la poésie et de se chercher une profession pour le gagne-pain pour pouvoir trouver une place dans la société. Alors qu’à l’ombre d’un autre système éducatif et d’une autre société, ce même étudiant aurait été élevé pour devenir prince des poètes qui ferait la gloire de son pays. Une gloire qui ne verra pas le jour par l’intermédiaire d’un fonctionnaire des compagnies de pétrole, ou des banques étrangères ou encore des hôtels.

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