Société. Dans sa
localité du Delta, la nouvelle de sa nomination défraie la chronique. Amal
Soliman est la première femme en Egypte et au Moyen-Orient à avoir postulé pour
devenir maazoun (notaire), un métier réservé aux hommes.
Un autre monople bousculé
Il y a
quelques mois, personne ne la connaissait. Aujourd’hui, elle est devenue une
véritable star et son domicile est visité comme un musée. A Naqayet, une ville
située à 15 kilomètres de Zagazig, dans le gouvernorat de Charqiya, Amal
Soliman, 32 ans, a quelque peu dérouté tout le monde. Elle est la première
femme à avoir postulé pour devenir maazoun (personne qui conclut les mariages).
Un métier jusque-là exclusivement réservé aux hommes, et un défi dans une
société conservatrice et traditionnelle. Dès que l’on pénètre la petite
localité, les habitants s’affairent pour indiquer son domicile depuis que la
nouvelle de sa nomination a défrayé la chronique. « C’est grâce à Qassem Amin,
s’il n’était pas intervenu, nous serions encore des femmes au foyer sans
responsabilités professionnelles », lance Amal en souriant à ses proches, amies
et voisines venues la féliciter ou l’encourager. D’autres encore, scandalisées,
sont venues pour s’assurer de la véracité de cette nouvelle. Chose impensable
pour elles ainsi que pour tout le monde. « Allez-vous vraiment nommer une
maazounza ? ».
«
Sûrement pas. Aucune n’est capable d’assumer ce poste », lui répond une autre
femme. Commentaire assez sec. Des jeunes filles qui se sont même présentées
pour lui faire part de leur souhait d’avoir un acte de mariage signé par elle.
Mariée
depuis 9 ans, Amal a trois enfants et n’a jamais travaillé bien qu’elle soit
licenciée en droit. Etre femme au foyer ou devenir avocate n’étaient pas dans
ses ambitions. Elle continue ses études et décroche deux diplômes, l’un en
droit général et l’autre en droit pénal, passe son magistère avec succès, puis
présente sa demande pour devenir enseignante de charia dans un des instituts
dépendants d’Al-Azhar tout près de chez elle. Malheureusement, elle ne trouvera
pas de poste vacant, pas même un autre boulot convenant à ses études. Tout a
commencé quand l’oncle de son mari, le maazoun de Naqayet, est mort. C’est lors
d’une discussion avec son mari sur sa succession que l’idée de le remplacer a
germé.
« Un
maazoun doit être licencié en droit ou charia. Toi-même tu peux le devenir »,
lui lance son mari. Cette phrase a provoqué le déclic chez elle et pourquoi
pas, puisqu’elle possède les diplômes nécessaires pour occuper ce poste. «
Pourquoi n’y a-t-il pas en Egypte de femme maazoun ? La Constitution égyptienne
ne stipule-t-elle pas l’égalité entre les hommes et les femmes ? Arriverai-je à
exercer ce métier dans une société aussi traditionnelle ? ». Une série de
questions qui ne trouvent pas de réponse trotte dans la tête d’Amal. Pourtant,
elle décide de franchir le premier pas et se rend au tribunal de la famille
pour connaître les modalités de recrutement. Son dossier, constitué de sa
licence, son acte de naissance et sa carte d’identité, ne pouvait suffire pour
compléter sa demande, puisqu’il fallait un papier prouvant que le candidat au
poste a accompli son service militaire avec un témoignage à la police de 10
personnes affirmant sa bonne réputation. Amal ne baisse pas les bras et fait ce
qu’on lui demande puis va remettre ce dossier complet au tribunal de la
famille. Et là, ce fut le grand choc. Le fonctionnaire, pensant qu’il
s’agissait d’une demande d’un de ses proches, parcourt le dossier, puis lève la
tête et la regarde avec des yeux de merlans frits. « Ce n’est pas un poste pour
les femmes, vous êtes en train d’enfreindre la loi coranique », lui a lancé le
fonctionnaire en rejetant sa demande.
Amal a
même eu droit à des réflexions désobligeantes de la part des candidats venus
déposer leurs demandes. Elle essaie de faire comprendre au fonctionnaire
qu’elle a le droit tout autant que les hommes de se porter candidate à ce poste
et qu’il n’a aucun droit de rejeter sa demande. Mais le fonctionnaire, ne
pouvant imaginer une femme maazoun, ne veut rien entendre.
Scandalisée
du fait que sa demande soit rejetée sous prétexte que le poste n’est pas
accessible aux femmes, Amal refuse donc de céder. Elle décide donc d’attaquer,
se basant sur la Constitution qui garantit l’égalité des sexes. Elle s’adresse
au procureur général du tribunal pour lui trouver une solution. Ce dernier a
été plus compréhensif, contrairement aux autres, et ne trouvait aucun
inconvénient d’accepter son dossier. « Aujourd’hui, la femme a accédé au poste
de juge et procureur général, mais je ne sais pas s’il existe une loi
interdisant une femme maazoun. Je vous conseille de vous rendre au département
chargé des maazouns au Caire pour mieux vous informer », lui dit le procureur. Obstinée,
Amal ne perd pas espoir. Sa détermination demeure intacte. Elle décide de
lutter pour réaliser son rêve. Elle sait qu’elle a les atouts que les autres
candidats ne possèdent pas, vu que le critère essentiel est la compétence et
non pas le sexe.
«
Parmi les onze candidats, je suis celle qui a le plus de diplômes et donc la
plus qualifiée pour occuper ce poste. De plus, rien n’interdit à la femme
d’être maazoun, puisqu’il n’existe pas un texte religieux qui le prohibe. Autrement
dit, ce métier purement administratif, qui consiste à enregistrer et à signer
les contrats de mariage et de divorce, est tout nouveau et ne date que d’un
siècle. De plus, il ne contredit nullement la religion », souligne Amal tout en
ajoutant que pour qu’un mariage soit légal, il suffit de la présence de deux
témoins et du tuteur de la mariée et de divulguer la nouvelle, sans avoir
besoin d’un maazoun.
Un
métier plutôt créé récemment par la société à un moment où la corruption
battait son plein et ce, pour garantir les droits de l’épouse.
Un métier administratif
Mais
les choses ne sont pas si simples. Comme tout nouveau métier, la femme a du mal
à se frayer une place et gagner sa bataille. Amal a rencontré bien des
réticences vu que c’est la première fois qu’une femme demande à devenir
maazoun. Etre femme signifie porter le fardeau de plusieurs siècles d’héritage
religieux empreint de préjugés ancestraux. Bien que plusieurs habitants de la
localité aient approuvé l’idée qu’Amal soit une maazoun, d’autres le rejettent
et pensent que c’est une transgression à la charia. Le cheikh Mohamad Mahmoud
Hachem, doyen de la faculté de préceptes religieux (ossoul al-dine) à
l’Université d’Al-Azhar à Zagazig, rejette complètement l’idée qu’une femme
soit nommée à ce poste alors qu’il reconnaît l’inexistence d’un texte religieux
l’interdisant. Selon lui, il serait bon qu’un homme accède à ce poste. « Ce
n’est pas une discrimination envers les femmes, car l’islam appelle à l’égalité
entre l’homme et la femme, surtout en ce qui concerne la foi et les bons actes.
Aujourd’hui, les femmes ont tendance à imiter l’Occident et à transgresser la
loi islamique. Elles ne cessent de s’affranchir des contraintes sociales »,
explique-t-il tout en ajoutant que le rôle du maazoun est d’officialiser
l’union entre une femme et un homme et ce, en présence des témoins et du tuteur
de la femme. Comment peut-on accepter la présence d’une femme au milieu
d’hommes ? Une situation qui pourrait provoquer une fitna (intentions ou
regards malveillants).
Avec
son regard vif, son visage plein de détermination, et de féminité à la fois,
Amal impose le respect à son entourage. Chacune de ses paroles est mesurée,
précise. Dès le premier regard, on sait que l’on a affaire à une femme à forte
personnalité. Elle parle de son expérience, refuse de féminiser son titre de
maazoun en arabe classique sous prétexte que dans la profession, la distinction
n’a lieu d’être. Pour dire que le maazoun au féminin contredit la tradition et
pas la religion. Rien ne l’interdit, ni la Constitution ni aucune loi, ni même
le Coran.
Assise
entourée d’un groupe d’hommes en présence de son mari, Amal trouve réponse à
chaque question posée et donne des arguments tirés du Coran et de la Sunna. «
Rien dans la charia islamique n’interdit la présence de la femme lors d’un
rassemblement masculin. Jadis, une femme a osé donner son point de vue en
présence du calife Omar Ibn Al-Khatab et devant toute une assemblée d’hommes. Ce
dernier a reconnu qu’il avait tort et elle raison ».
D’autres
pensent qu’une femme en période de menstruation n’a pas le droit de rentrer
dans une mosquée ni de lire les versets du Coran que l’on dit au cours du
mariage. « Les versets du Coran ne constituent pas l’un des éléments essentiels
pour faire un mariage. Les témoins, le tuteur de la mariée et l’annonce du
mariage sont indispensables. Nous n’avons pas besoin d’aller à la mosquée, mais
si une famille l’exige et que je sois en période de règles, je ferai appel au
cheikh de la mosquée pour me remplacer », poursuit Amal.
Or, si
Amal a pu obtenir le témoignage des hommes de sa localité pour prouver sa bonne
réputation, c’est bien grâce au soutien de son mari et la popularité de l’oncle
de ce dernier. « Avant d’encourager ma femme, j’ai questionné l’imam de la
mosquée qui m’a affirmé que ce n’est pas illicite pour une femme d’exercer un
tel métier. Le problème est que c’est tout nouveau et que les gens comprennent
mal la tâche du maazoun. Ils ont toujours en tête le maazoun azhari portant sa
emma (turban) qui vient lire un verset du Coran avant de joindre les deux mains
du couple en posant un mouchoir et sa main dessus pour finaliser l’union. Une
tradition qui date de belle lurette, mais qui n’a rien avoir avec la charia »,
explique Taha Al-Ghamri, mari d’Amal et chercheur dans une société
d’investissement, fier de sa femme qui fait front aux hommes et tente d’enrayer
quelques traditions ancestrales.
Aujourd’hui,
Amal attend le verdict pour trancher sur son sort, car c’est au tribunal de
décider si oui ou non elle pourra être maazoun. Elle sait qu’elle est soutenue
par beaucoup de femmes qui attendent impatiemment sa nomination. Elles ne
voient pas seulement cela comme un acquis de plus pour la femme, mais elles
pensent aussi que la femme maazoun pourrait mieux briller qu’un homme. Nadia,
une de ses voisines, est persuadée qu’en cas de divorce, une femme maazoun
possédant du talent peut comprendre les moindres détails d’un conflit entre un
homme et une femme et par la suite trancher pour empêcher un divorce. « De
plus, dans notre société, la femme a plus de facilité d’entrer chez la future
mariée et apprendre si elle est d’accord ou pas avec ce mariage. Très souvent,
on oblige les filles alors qu’elles ne sont pas consentantes », poursuit Nadia
qui attend avec impatience d’être mariée par son amie Amal.
D’autres
femmes attendent encore qu’elle leur ouvre le chemin pour devenir des maazouns.
Un métier qui rapporte de l’argent et qui ne nécessite pas que la femme se
déplace de chez elle pour l’exercer. « Il suffit d’accueillir les gens au salon
l’après-midi après avoir terminé de m’occuper de ma famille. Un métier qui
conviendrait mieux aux femmes plutôt qu’aux hommes », conclut Amal tout en
attendant impatiemment de signer le premier contrat de mariage.
Chahinaz Gheith