Samira, femme de 40 ans, commence son boulot
à 20h et le finit le lendemain matin à 8h. Elle a toujours obéi
au doigt et à l’œil et sans rechigner. « Nous nous sommes
habituées à affronter les pires situations, il est devenu normal
pour nous de comprendre sans parler », précise-t-elle. Un grand
silence trahit l’angoisse qui règne dans la salle. Un malade est
pris d’un malaise. Samira court vite chercher le médecin. Un
quotidien stressant et rythmé par des tâches éreintantes que
mène ce personnel soignant exposé souvent à des risques. « Le
mois dernier, une de mes collègues travaillant dans un hôpital
public s’est faite piquer par inadvertance, alors qu’elle venait
de faire une injection à un malade. Elle a contracté le virus C
et souffre actuellement d’une hépatite virale. Son état
s’aggrave de jour en jour, pourtant, elle ne bénéficie d’aucune
aide financière ou assurance sociale », rapporte Samia. Et ce
n’est pas le seul cas. En effet, beaucoup d’infirmières sont
exposées quotidiennement à des maladies contagieuses et
travaillent souvent sans moyens de protection. Et si ce
personnel soignant est accablé par le poids de tâches épuisantes,
il est aussi accablé par le poids d’une autorité excessive sans
compter que beaucoup de personnes discréditent ce métier. Selon
l’écrivain Anis Mansour, la maladie et l’infirmière sont les
deux grands soucis en Egypte. Le malade se méfie souvent de
personnel soignant et au fil des années, ce manque de confiance
a pris de l’ampleur. Hani, 56 ans, qui a subi une greffe du foie
il y a trois ans, confie avoir rejeté l’idée de se faire greffer
en Egypte craignant que le personnel paramédical ne soit pas à
la hauteur. « Je ne peux pas oublier les moments difficiles
passés après ma greffe faite en France. L’infirmière est restée
des heures à mon chevet, intervenant aux moments les plus
critiques et me prodiguant les soins nécessaires pour alléger ma
souffrance. J’ai été séduit par son professionnalisme et cette
attention qu’elle accordait aux malades. Je me suis rendu compte
à quel point ce service était important et complémentaire à la
mission du médecin pour arriver à mettre sur pied un malade »,
explique Hani.
Et pour offrir un service adéquat, plusieurs
hôpitaux privés recrutent des infirmières étrangères et leur
versent des salaires en devises pour tranquilliser les malades
et s’attirer de la clientèle. Les infirmières venant d’Asie de
l’Est sont particulièrement recherchées. Payées à des salaires
modérés, elles ont la qualité d’être très patientes avec les
malades.
Toutes dans le même pétrin
Les chiffres prouvent qu’il y a un manque
d’infirmières. Dans toute l’Egypte, on n’en compte que 3 000 en
exercice. Pourtant, ce métier est très sollicité et il existe 11
instituts d’où sortent chaque année entre 150 et 200 infirmières
diplômées. Mais la profession est très mal payée à l’exception
des hôpitaux privés. Et c’est ce qui explique ce grand manque.
Au chevet d’un malade, dans un service de
soins palliatifs d’un hôpital public, l’infirmière ne cesse de
ronchonner. Le patient souffre et elle ne se presse pas pour lui
prodiguer les soins nécessaires. « On nous a surnommées les
anges de la compassion », lance-t-elle avec dérision. « Mais on
oublie que cet ange doit aussi subvenir aux besoins de sa
famille. Mon salaire ne dépasse pas les 200 L.E., alors que ma
tâche est éreintante. Pour une journée de garde, je perçois une
prime de 1,50 L.E. et pour la nuit seulement 3 L.E. sans compter
les réprimandes des médecins », ajoute cette infirmière.
En Egypte, il existe trois niveaux dans ce
métier. Le premier réunit les 96 % d’infirmières en exercice.
Celles-ci ont suivi trois années d’études après la troisième
préparatoire. Le second comporte des diplômées des instituts
techniques et le troisième niveau est le plus compétent : ce
sont celles qui sont suivi quatre années d’études à la faculté
d’infirmières. Selon le Dr Basmate Omar, doyenne de cette
faculté, il n’existe aucune comparaison entre une infirmière de
premier niveau et les deux autres.
Autrement dit, on peut rencontrer aussi des
jeunes filles de 16 ans manquant souvent de formation et de
maturité. « Pourquoi laisser de telles personnes manquant
d’expérience exercer ce métier lié à la vie des individus ? »,
dit le Dr Basmate qui pousse plus loin en réclamant la fermeture
de certains instituts comme un premier pas pour améliorer ce
service. Quant aux diplômées de la faculté d’infirmières, elles
ont passé plusieurs tests pour évaluer leur niveau et suivi des
stages dans des hôpitaux pour mettre en pratique leurs
connaissances. Elles ont appris à utiliser les termes médicaux
pour mieux communiquer avec les médecins et suivre leurs
indications.
Conséquence : personne ne parvient à faire la
différence entre les trois niveaux. Imane, infirmière dans un
hôpital privé, est écœurée de voir des parents de malades
traiter les infirmières comme des serpillières. Elle trouve
aussi indécent que, dans le cinéma, les infirmières sont des
femmes qui déploient leur charme pour tenter de se marier avec
des médecins. « On oublie que la première promotion
d’infirmières était pour la plupart issue de grandes familles.
Les conditions de notre travail sont de plus en plus pénibles.
On ne prend jamais en considération notre double rôle de mère »,
dit-elle tristement. Fayza, 37 ans, habite Imbaba et travaille
dans un hôpital situé aux abords de la ville du 6 Octobre. Elle
confie terminer son boulot vers minuit et a des difficultés à
trouver un moyen de transport convenable ou approprié à son
porte-monnaie. « Ajoutez à cela les tracas quotidiens pour
placer mes enfants chez mes parents ou une voisine. Il est temps
que nos employeurs tiennent compte de la nature particulière de
notre boulot. Et dire que beaucoup d’hôpitaux se trouvent à des
endroits éloignés du centre-ville », commente Fayza.
Autre point important : le comportement de
certaines infirmières coupables de négligence professionnelle a
coûté cher à certains malades et a porté préjudice à ce métier.
Il suffit de lire les pages des faits divers dans les journaux
pour le constater. Il y a quelques mois, un enfant est mort
d’une overdose de vaccin injectée par une infirmière travaillant
dans un hôpital public. Suivant la loi du ministère de la Santé,
une infirmière n’a pas le droit de faire des injections.
Pourtant, la majorité le font provoquant parfois des
catastrophes. Selon Effat Kamel, présidente de l’Association des
amis de l’infirmière, il est temps de réviser cette loi en
déterminant avec précision le rôle de l’infirmière et selon des
normes internationales. « Bien que l’Egypte ait été l’un des
premiers pays membres du Conseil international des infirmières
établi à Genève ayant pour but de faire évoluer cette profession
et d’imposer ses critères et ses éthiques, le Parlement n’a pas
promulgué de loi dans ce sens jusqu’à l’heure actuelle »,
explique Effat tout en poursuivant qu’il est temps de constituer
un haut conseil pour cette spécialisation, composé des leaders
du métier afin de ne pas laisser ce personnel soignant sous le
joug des médecins.
Dina Darwich
Chahinaz Gheith