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Egypte-France .
La visite ce mercredien Egype
du président Jacques Chirac vient illustrerdes relations
spéciales entreles deux pays qui, en dépit d’un recul
danscertains domaines, continuent de converger sur le plan
politique.
La spécificité de l’atout culturel
Peau
blanche, cheveux blonds et yeux colorés ... Originaire de
Mansoura ? Ah, ça s’explique : Louis IX et les Français sont
passés par cette ville. Des propos assez courants témoignant de
la place qu’occupent les Français dans l’imaginaire égyptien,
même le plus populaire. Réflexion humoristique qui fait aussi
penser à l’expédition de Napoléon Bonaparte. Occupation
militaire certes, mais qui est également perçue par les
historiens égyptiens comme une ouverture vers le monde, une
fenêtre sur la modernité. « Les Egyptiens n’ont jamais pensé à
la France comme étant un pays colonial », explique l’historien
Younan Labib Rizq. D’après lui, « l’expédition de Bonaparte n’a
duré que trois ans et elle a été immédiatement suivie de
l’occupation britannique ». Ce sont les Anglais alors qui se
sont vu attribuer cet affront, alors que les Français ont dans
la plupart du temps joui d’une image favorable. Une image
souvent liée à la culture, à point que les Egyptiens vont
jusqu’à parler d’impérialisme culturel français, contre une
colonisation économique et politique britannique. Il faudrait
peut-être penser aux anciens films noirs et blancs égyptiens. Un
lexique qui n’était qu’un mélange entre l’égyptien et le
français ... Un bonjour et un au-revoir quasi présents.
L’historien Milad Hanna pense que cet ancrage profond de la
France en Egypte « est dû en premier lieu à l’intérêt que les
Français ont toujours accordé à l’Histoire et à l’archéologie
égyptiennes ». Un héritage riche. On pense immédiatement à La
Description de l’Egypte, à Mariette et plus encore à Champollion
qui a déchiffré les hiéroglyphes à travers la pierre de Rosette.
C’est un Français qui a fait revivre cette ancienne langue
égyptienne. Aujourd’hui encore, cette présence est assez
remarquable. La France est le premier partenaire de l’Egypte en
matière d’archéologie avec plus de 45 missions de fouilles par
an. Les Français sont allés jusqu’à créer une filière
d’égyptologie à l’Université égyptienne (lire page 5). D’autres
filières et universités, des centres de culture ou de recherche,
des festivals et foires ont vu le jour. Malgré cette présence,
l’Hexagone est de plus en plus absent. Un centre-ville
haussmanien a perdu presque la totalité de ses enseignes et
affiches françaises. Si un siècle auparavant la plupart des
missions avaient pour destination la France : Tahtawi ou Taha
Hussein, « à nos jours, les Egyptiens préfèrent les Etats-Unis
ou la Grande-Bretagne ou encore le Canada », explique Rizq. La
culture anglo-saxonne prend-elle la relève ? Une prédominance de
la culture du pétrodollar est sans équivoque. Il y a bien des
années, l’élite de la société et les familles de la haute ou de
la moyenne bourgeoisie inscrivaient leurs enfants dans des
écoles françaises. Celles-ci sont toujours là : le Collège de la
Salle, les Jésuites, la Mère de Dieu, mais les établissements à
coloration anglophone les devancent de loin. Les familles optent
pour un américanisme étendu depuis la seconde guerre mondiale.
Boutros Boutros-Ghali, le grand, ancien
secrétaire général de l’Onu, a lui suivi une formation
complètement française, son neveu Youssef Boutros-Ghali,
ministre des Finances, a, quant à lui, fait des études en
Angleterre. « Un recul évident », dit Rizq qui rappelle
qu’autrefois les romans et les livres égyptiens étaient traduits
en français. Les Français voient peut-être les choses autrement.
Ils parlent en chiffre : plus de 45 000 élèves dans des
établissements francophones et 80 000 Egyptiens utilisant de
manière régulière le français. « Très peu, par rapport à un
passé prestigieux », pense Milad Hanna. Il est vrai que le
Centre français de culture et de coopération, implanté dans le
quartier populaire de Mounira, cherche à ressusciter un passé
fait de coopération riche, mais sa mission est extrêmement
difficile. Ce n’est pas une inhabileté de la part de la France,
mais une vérité qui fait que la francophonie est en perpétuel
recul.
Preuve en est que dans d’autres domaines,
surtout politique, le poids de la France se fait remarquer par
les Egyptiens, même si ces derniers n’ont jamais oublié aux
Français leur offensive militaire avec les Britannique et les
Israéliens en 1956. Ils n’ont plus laissé tomber de leur mémoire
que c’est grâce aux Français qu’Israël s’est procuré l’arme et
la technique nucléaire. Peut-être la condamnation de Charles de
Gaule de l’agression israélienne de 1967 a atténué en partie
cette trace. L’ancien président français s’est vu attribuer le
nom du boulevard de l’ambassade de France à Guiza au détriment
de Mourad pacha ... Celui qui avait combattu l’expédition de
Bonaparte.
Un changement de nom qui n’est pas fortuit.
Toutes les relations entre l’Egypte et la France sont en effet
vues sous l’angle d’une politique gaulliste. Le général serait
bien lui qui a lancé ce qu’on appelle « des attitudes
équilibrées et positives vis-à-vis des questions arabes », comme
l’explique Amr Al-Chobaki, chercheur au Centre d’Etudes
Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. C’est devenu une
tradition en France, que ce soit la gauche ou la droite qui est
au pouvoir. En Egypte et dans le monde, on loue souvent des
attitudes françaises en leur faveur. La guerre contre l’Iraq ne
serait peut-être que le dernier exemple. Paris a tenu tête à
Washington sans pourtant pouvoir dissuader les Américains. C’est
dire que les plans américains pour cette région trouvent une
opposition dans l’Hexagone, à l’instar du projet du Grand Moyen-Orient,
précise Chobaki. « Paris a alors adopté une position plus proche
des points de vue arabes. C’est-à-dire rejetant un changement
intervenant de l’extérieur ». Un point de vue qui ne lui a pas
épargné des critiques de la part des ONG de la région qui
accusent la France de « complaisance à l’égard des régimes en
place ».
Des liens personnels
Les relations entre les deux présidents,
Moubarak et Chirac, sont curieusement très étroites et assez
anciennes. Il plaît au président égyptien de rappeler que son
amitié avec Chirac remonte à l’époque où il était encore maire
de Paris et venu inaugurer le métro du Caire. Une fois à
l’Elysée, Chirac avait reçu Moubarak comme premier hôte étranger.
Depuis, les accolades entre ces deux chefs d’Etat sont devenues
des plus célèbres. Singulièrement, les Egyptiens s’ils ont
retenu des noms de chefs d’Etat étrangers, bien sûr outre celui
de Bush, c’est Chirac et Mitterrand. La rue semble retenir que
ce dernier était un fan de l’archéologie égyptienne et de la
ville d’Assouan, où il passait le plus souvent ses vacances de
Noël. En dépit de cette fidélité à la tradition gaulliste,
Chobaki relève que le rôle de la France est cependant en
perpétuel recul, « du moins en grande partie. La France aussi
bien que l’Allemagne se sont retirées au profit de l’Union
européenne. L’essentiel de leurs efforts et moyens se déploient
à travers l’Europe et non plus à titre individuel ». Le vieux
continent a été cependant incapable de contrebalancer une grande
puissance et un pouvoir américain prédominant. Du coup, l’apport
de la France s’est trouvé réduit ... Par sa visite, à plusieurs
reprises reportée, et qui se concrétise finalement ce mercredi,
le président Chirac tentera de donner un nouvel essor à la
présence française en Egypte. Son séjour doit déboucher sur la
création d’un conseil égypto-français, présidé par les deux
chefs d’Etat eux-mêmes.
Samar Al-Gamal |

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« Les préoccupations de la France enversle
Proche-Orient sont toujours les mêmes »
Frédéric Charillon,
professeur en science politique,
estime que le rôle français dans la région n’a pas reculé.
Interview.
Al-Ahram Hebdo : Etes-vous pour ce qu’on
appelle la persistance de la tradition gaulliste dans la
politique française à l’égard du monde arabe ?
Frédéric Charillon :
Il y a évidemment une sensibilité de
la France au monde arabe avec une place particulière pour
l’Egypte. Ce voyage de Jacques Chirac intervient à quelques
jours du dixième anniversaire de son discours à l’Université du
Caire. Un discours important qui refondait une politique arabe
de la France. Il a toujours eu des propositions françaises pour
le conflit israélo-arabe et une grande activité française au
sein de l’Union Européenne (UE) pour des partenariats en
Méditerranée.
— Cette politique a-t-elle évolué ou reculé ?
— Je crois qu’on ne peut pas vraiment dire
qu’elle a beaucoup évolué. Parce que les relations entre Paris
et Le Caire sont traditionnellement bonnes. Des relations de
confiance qui datent d’avant-Chirac, avec Mitterrand aussi. Ce
qui a évidemment changé, c’est le contexte de la région. La
situation change, mais la concertation est toujours la même.
Tout le monde a reculé d’une certaine manière. Même les
Etats-Unis, aujourd’hui on ne peut pas dire que leurs intérêts
ont beaucoup avancé. C’est une région qui est compliquée et dans
laquelle il reste des conflits importants.
— Cependant, on estime que le rôle de la
France a beaucoup reculé en faveur de l’UE ?
— Vous avez raison en partie. L’UE est un
instrument supplémentaire qui ne remplace pas le souci
spécifiquement français pour cette zone. L’activité diplomatique
autour du Liban et la résolution 1 559 était plus spécifiquement
française. Cela ne veut pas dire que sur d’autres dossiers la
France n’agit pas avec l’Europe parce que l’UE est son
environnement politique naturel et son groupe de partenaires de
référence. Mais je le vois en tant qu’outil supplémentaire de la
diplomatie française et non pas un recul. Les préoccupations de
la France envers le Proche-Orient sont toujours les mêmes. En
revanche, des fois, les moyens d’agir collectivement lui
manquaient, aujourd’hui elle en dispose.
— Quel serait l’intérêt de créer un conseil
égypto-français ?
— Je suis sceptique sur l’idée. Ce genre de
conseil est une idée très anglo-saxonne et souvent il est vécu
par les Français comme une sorte de club qui sert à mettre des
proches pour les récompenser. Et dans ce sens, il n’est pas tout
à fait utile. Un tel conseil pourrait en revanche être
intéressant à condition qu’il soit bien géré et sort du cadre
protocolaire. C’est-à-dire si on rassemble des gens qui ont
l’habitude de travailler ensemble pour élaborer des stratégies
et des initiatives politiques communes. Je crois que le
président Chirac sait qu’il existe peu de chance pour que ses
successeurs accordent autant d’importance que lui pour la région.
En prenant cette initiative, Chirac voudrait créer des
structures qui permettront à ses successeurs de tisser des liens
permanents avec le Proche-Orient. |
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