Al-Ahram Hebdo,Arts | La démocratie à Sparte
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 Semaine du 19 à 25 avril 2006, numéro 606

 

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Arts
Théâtre. Si la démocratie nous était contée … il faut être Américains ou autres terroristes pour en faire engendrer des guerres ! Visite d’un monde chaotique où la terreur est emblématique dans Otages, de Ezzeddine Gannoun.

La démocratie à Sparte

Otages est un spectacle sublime. Un spectacle qui a su raconter et montrer le désordre anarchique de notre monde actuel ; alors qu’une idée courante tente de nous faire croire à l’impossibilité de transposer au théâtre l’horreur et l’effroi qui nous entourent comme étant plus dramatiques que le théâtre même. En effet, la plupart des pièces qui ont essayé de nous renvoyer une image des atrocités quotidiennes ont eu souvent recours — presque obligé — à des moyens non théâtraux (comme le cinéma et la vidéo) pour rejoindre la réalité. Ainsi, ont été mises en avant les limites de l’écriture scénique. Mais avec Otages, Leïla Toubel (dramaturgie) et Ezzeddine Gannoun (mise en scène) ont réussi le pari, celui de ne pas succomber aux images toutes faites et d’échapper aux stéréotypes faciles.

Otages se passe — comme le titre l’évoque — en huis clos. Un lieu spatio-temporel indéfini, d’où la généralité du thème. D’ailleurs, les terroristes parlent une langue que personne ne comprend ; choix délibéré pour confirmer la dimension cosmique de tous enlèvements et captures organisés par des salauds. Et pourtant, leur langue incompréhensible se réfère à une identité : le mal, que va traduire l’impressionnant Rabii Zammouri par une musique concrète bien plus éloquente que tout le verbalisme du monde, faite de bruitage, de sirènes, d’ambulances, de mitraillettes. C’est la voix du terrorisme, une « internationale » à l’envers, comme hymne à la torture !

Avant de rédiger le texte pré-dramaturgique d’Otages qui s’est développé tout le long des improvisations, Leïla Toubel voulait aborder le thème de la liberté. Mais n’est-ce pas que la prise d’otages est l’expression de l’absence de liberté ? Elle n’a donc pas, en fait, quitté totalement son projet initial. Au contraire, elle l’approfondit en focalisant son sujet sur l'une des situations les plus inhumaines. Car, quand un individu perd sa dignité, il ne lui reste plus rien et sa vie n’a plus de sens.

Ici et maintenant, c’est-à-dire partout aujourd’hui, règne un état d’incohérence telle, donc d’incompréhension totale qui ne peut plus régir les Etats ni les peuples. Et dans tout ce fouillis, il n’en demeure pas moins que les histoires des gens, en l’occurrence des otages, restent un témoignage essentiel pour une lecture ultérieure de l’histoire de l’humanité.

Qui sont ces otages ? Toubel l’explique ainsi : « Ce sont des personnages ordinaires qui se retrouvent dans une situation extraordinaire. Leur rêve était de prendre le large et non pas de monter l’échelle comme tout fonctionnaire étriqué. Il y a la maniaco-dépressive, celle qui veut devenir star, le footballeur, la petite secrétaire qui part tous les ans acheter une partie de son trousseau ». Toubel, l’actrice, qui nous a toujours surpris par son jeu de lionne sur scène, garde fortement ancrée — quand elle écrit — son expérience de comédienne. Elle commence par esquisser le profil de chacun des personnages et laisse la porte ouverte pour un échange permanent entre la scène et l’auteur, car, comme elle le confirme : « L’écriture ne peut plus être un acte isolé. Ce texte n’aurait jamais existé sans la démarche de Gannoun et vice-versa. Avec le parti pris de la mise en scène, il fallait écrire ce texte et pas un autre ».

Dans sa mise en scène, tel que le nous révèle l’acteur Wahid Ajmi, Gannoun ne dépend pas d’un texte abouti, il travaille sur une écriture pré-dramaturgique qui lui permet de créer à partir de la scène, il compte aussi sur les propositions des comédiens qui sont pour lui l’axe central du travail. « Ils seraient pour le plateau ce que la plume est pour la feuille ». Gannoun ne cesse pas de « mettre en examen attentif » (l’idée est de Brecht) le matériau brut. Ensuite, à partir d’une dialectique constante, il construit petit à petit les personnages et le déroulement des situations, y compris le rythme et tous les autres éléments de la pièce (avec les créateurs, lumières, costumes, maquillage, etc.) qui viennent s’y greffer presque naturellement. Dans sa mise en scène, il a demandé aux acteurs de défendre le texte avec chacun sa dynamique, sa prise de conscience de soi et de l’autre, et de l’espace. Le point de départ n’est jamais le jeu psychologique, il n’aime pas non plus l’acteur cérébral ; par contre, il cherche les situations où, sous le familier, on peut découvrir l’insolite. Et Ajmi pour continuer : « Gannoun donne aux comédiens — quand ils doivent confronter des difficultés — des pistes, des suggestions, des directives pour ensuite les laisser chercher eux-mêmes dans cet espace de liberté qu’est la scène. Car l’acteur, c’est comme un clavier de piano qui crée des mélodies à l’infini ».

Otages est l’expression des desiderata de personnes à la dignité bafouée, aux mains ligotées et aux yeux bandés. Mais comment se fait-il que nous, spectateurs — libres et circulants — puissions nous sentir, à notre tour, les otages de toute une vie qui passe et qui ne nous permet pas de réaliser nos rêves ? C’est que la pluralité des sens cachés de la dramaturgie, la magie des mots, les acteurs passeurs du texte et la mise en scène envoûtante nous renvoient des images qui s’adressent directement à notre vécu.

Alors, nous adhérons et nous avons envie nous aussi de construire de petits bateaux à l’aide d’une feuille arrachée à notre ancien cahier de classe, quand les rêves étaient possibles.

Menha el Batraoui

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Otages, une production du théâtre Al- Hamra, Centre Al-Hanaguer, les 21-22 avril, en tournée à Damas (27-28-29 avril), à Alep les (2-3 mai) et à la Bibliotheca Alexandrina (le 7 mai).

 




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