Justice.
Zakariya Abdel-Aziz,
président du Club des juges et vice-président de la Cour de
cassation, fait le point sur la crise opposant le club au
nouveau ministre.
«
Le club des juges restera indépendant »
Al-Ahram
Hebdo : La période actuelle témoigne d’une tension entre
l’ensemble des juges représentés par leur Club, dont vous êtes
le président, et le nouveau ministre de la Justice Mamdouh
Mareï. Y a-t-il une issue ?
Zakariya
Abdel-Aziz :
Le gouvernement a coupé tous les canaux de communication avec
les juges. Lors de notre dernière crise avec le pouvoir au
moment des délibérations de la loi sur l’autorité judiciaire,
l’ancien ministre de la Justice, Mahmoud Aboul-Leil, était en
contact permanent avec nous, même dans les moments les plus
difficiles. Il avait même rendu visite au juge Hicham
Al-Bastawissi à l’hôpital. Malheureusement, l’attitude du
nouveau ministre est tout à fait différente.
— Beaucoup
d’observateurs estiment que le bras de fer qui vous a opposés
à l’Etat n’a pas abouti à plus d’indépendance dans les textes
de la loi sur l’autorité judiciaire récemment adoptée ...
— Pour nous,
la nouvelle loi sur l’autorité judiciaire est une victoire
pour l’ensemble des juges qui militent depuis des décennies
pour obtenir leur indépendance. Bien sûr la loi n’est pas
parfaite et le chemin est encore long, et c’est pour cette
raison que nous avons commencé l’élaboration d’un nouveau
projet de loi encore plus ambitieux en matière d’indépendance.
L’on espère que cette fois, notre avis sera pris en compte par
les autorités.
— Des
rumeurs circulent dans les couloirs du ministère de la Justice
selon lesquelles un projet de loi visant à placer,
officiellement, le Club des juges sous sa tutelle serait en
préparation. Quelle sera votre réaction si de telles
informations sont confirmées ?
— Le Club n’a
reçu aucune information officielle de la part du ministère sur
un tel projet de loi. Quoi qu’il en soit, le Club va continuer
à défendre son indépendance et il rejettera naturellement
toute loi prévoyant de donner au ministère le droit de
superviser les affaires financières et administratives du
Club. Le Club des juges restera indépendant et ne sera tenu
que par les décisions de son assemblée générale.
— Lors de
sa dernière réunion, l’assemblée générale du Club a pris un
certain nombre de décisions relatives aux relations avec le
ministre de la Justice et le règlement de la crise financière
du Club ... Où en êtes-vous sur ces deux questions ?
— L’assemblée
générale des juges a décidé d’intenter un procès contre le
ministre de la Justice Mamdouh Mareï qui a refusé de verser au
club son budget habituel, afin de maintenir le Club en état de
dépendance financière. Les modalités de ce procès sont en
cours de préparation. L’autre décision porte sur le montant de
cotisation mensuelle, passée de 2 à 20 L.E. Cette deuxième
décision, qui vise à pallier les effets de la crise financière
du Club, a été très bien accueillie par l’ensemble des juges,
dont certains ont versé à l’avance la somme annuelle.
— Près d’un
mois s’est écoulé depuis la tenue de cette assemblée générale,
n’y a-t-il toujours pas de perspective de rapprochement entre
le Club et le ministère ?
— Il n’existe
malheureusement aucune perspective encourageante. Le ministre
de la Justice a refusé de nous rencontrer malgré les demandes
officielles que nous avons adressées et insiste sur son refus
d’allouer au club son budget. L’embargo financier reste donc
en vigueur et les dernières déclarations du ministre ne
permettent pas de prévoir une solution imminente.
— L’une des
recommandations de cette dernière assemblée générale du Club
est le refus de voir la femme occuper le poste de juge. Cette
position que partagent la majorité des juges vous a fait
perdre le soutien de certains segments de la société, qui
sympathisaient jusqu’ici avec votre cause ...
— D’abord, il
faut souligner le fait que les juges respectent le rôle de la
femme dans la société, personne ne peut le contester. Cela
dit, le métier de juge reste très ingrat pour être exercé par
une femme, cela ressemble un peu au travail de la police et de
l’armée. La vie d’un juge est pleine de voyages et de
déplacements dans tous les gouvernorats et jusqu’aux plus
petits villages. Notre point de vue est que la femme, par sa
nature sensible, ne peut s’adapter à ce mode de vie.
Maintenant, si la femme devient juge, le principe d’égalité
sera mis en question, cette fois au grand malheur des hommes,
parce que les femmes n’assumeront que la partie facile du
travail, laissant les dures besognes à leurs collègues mâles.
Disons enfin que l’Etat a bien su utiliser cette position
contre nous pour ternir notre image ...
— Le Club
des juges a accueilli il y a quelques semaines une délégation
du Parlement européen. Etait-ce une tentative d’obtenir un
soutien extérieur dans votre bataille pour l’indépendance ?
— L’assemblée
générale du Club, qui s’était réunie juste avant cette visite,
avait pris la décision d’éviter d’aborder nos problèmes avec
la délégation du Parlement européen. Nous avons préféré parler
de la situation au Proche-Orient et des efforts de l’Union
européenne pour l’apaisement de la situation en Palestine, au
Liban, en Iraq, au Soudan et en Afghanistan. Pourtant, les
membres de la délégation ont insisté pour discuter de la
relation entre les juges en Egypte et le pouvoir, et nous
avons senti qu’ils étaient très au courant de tous les détails
concernant l’évolution de ce dossier. Ils ont suivi les
derniers événements, notamment la parution des deux
magistrats, Hicham Al-Bastawissi et Mahmoud Mekki, devant un
conseil disciplinaire, la promulgation d’une nouvelle loi sur
l’autorité judiciaire, et les relations tendues entre les
juges et le ministre de la Justice. De notre côté, nous leur
avons donné l’impression que les points de désaccord étaient
en voie d’être résolus.
— Pourquoi
n’avez-vous pas saisi cette occasion pour faire connaître vos
revendications et les faire parvenir à l’opinion publique
internationale ?
— Comme je
viens de le dire, l’ensemble des juges ont décidé de ne pas
aborder des problèmes internes, d’autant plus qu’il s’agit
d’une situation opposant le pouvoir judiciaire aux pouvoirs
législatif et exécutif. Nous avons estimé qu’il n’était pas
opportun d’en parler avec une délégation étrangère. Cela dit,
nous avons saisi l’occasion pour demander aux membres de la
délégation parlementaire de prendre des positions en faveur du
respect des droits de l’homme et de l’indépendance de la
justice à l’échelle internationale et pas seulement en Egypte.
— Votre
réserve lors de cette rencontre n’est-elle pas plutôt le fruit
d’une conviction selon laquelle il est interdit aux juges
d’aborder des questions strictement politiques ?
— Aucune loi
n’interdit aux juges de parler politique. La loi sur
l’autorité judiciaire de 1943 nous interdit de suivre une
carrière politique en parallèle, entendre par là l’adhésion à
un parti ou un mouvement militantiste. Sinon personne ne peut
demander aux juges de s’isoler de la société ou de rester
indifférents à ses problèmes, ce serait les priver de leur
droit de citoyenneté. Un juge a tout à fait le droit de
critiquer et de se sentir concerné par les affaires de son
pays sans que cela ne dérange en rien son travail.
— De
manière globale, le pouvoir judiciaire est-il indépendant en
Egypte ?
— Je veux
distinguer entre l’indépendance de la magistrature et celle
des juges. Ces derniers sont certes indépendants et
n’obéissent qu’à leur conscience. Quant à l’indépendance de la
magistrature, je crois qu’elle n’existe pas en Egypte.
— Serait-il
possible de l’atteindre un jour ?
— Pour une
magistrature indépendante, il faudrait que le Procureur
général ne soit pas nommé par le chef de l’Etat, il faudrait
assurer une indépendance financière aux juges et il faudrait
que le contrôle judiciaire revienne au Conseil suprême de la
magistrature et non au ministère de la Justice, qui est un
organe exécutif. Enfin, pour avoir une magistrature
indépendante, le ministre de la Justice doit cesser d’offrir
des crédits « avec facilités de remboursement » à certains
juges car cela peut être vu comme un moyen de pression.
—
Qu’espérez-vous de la réforme constitutionnelle annoncée ?
— Je suis pour
une limitation du nombre de mandats du président de la
République, ainsi que de ses prérogatives constitutionnelles,
je suis en faveur de l’établissement d’une démocratie
parlementaire, et pour un contrôle judiciaire plus étendu sur
tout le processus électoral .
Propos
recueillis par Ola Hamdi