Corruption
. Pour la
première fois en Egypte, un prix est attribué à ceux qui luttent contre ce
fléau. Une initiative qui marque le début d’une campagne de pression à
l’intention du régime.
Et le vainqueur est ... l’intégrité
Une première, mais simple. L’idée commence par une annonce dans la presse. Deux
journaux uniquement : le quotidien Al-Masri Al-Yom et l’hebdomadaire
Al-Dostour. Une demi-page en rouge, blanc et noir, couleurs du drapeau
égyptien. « Egyptiens contre la corruption ». Ils sont appelés à voter, sur
Internet ou par SMS, pour élire « le combattant » et « le site Internet » qui
ont le plus lutté contre la corruption en 2005-2006. Le mouvement Shayfeen.com
(on vous surveille) né dans la foulée des législatives, pour dénoncer les
fraudes électorales, se rallie alors à l’Organisation afro-égyptienne des
droits de l’homme pour accorder ce prix inédit. Et pour sélectionner les
candidats, une commission est formée. « Pour éviter d’être corrompus,
nous-mêmes, c’est un magistrat qui a présidé cette commission et surveillé le
dépouillement et l’annonce des résultats », explique Ghada Chahbandar,
présidente de Shayfeen.com. Des voix de l’opposition en font partie, Ibrahim
Issa ou Waël Al-Ibrachi, ces deux journalistes poursuivis en justice pour avoir
dévoilé des affaires de corruption. Dans un premier temps, cinq noms sont
avancés, parmi eux les deux juges réformateurs : Noha Al-Zini et Hicham
Bastawissi, mais au bout des premières 24h, ils demandent que leurs noms soient
retirés de la compétition. « Nous sommes là pour tenter de répandre la justice,
et donc dévoiler l’injustice fait partie de notre mission ; on ne doit pas être
primé pour notre travail », explique Bastawissi.
Quatre jours de vote seulement, et les résultats doivent être annoncés lors
de la Journée mondiale contre la corruption. Dans le
quartier de Doqqi, non loin du Shooting Club, s’établissent les petits locaux
de Shayfeen.com. L’entrée est calme, juste une affiche, « la corruption tue,
alors combattez-la », mais l’intérieur est bourré de monde. Des caméras de
télévision, des journalistes, des militants, des magistrats, etc. Saïd
Al-Gamal, le président de la commission, annonce les résultats. L’économiste et
journaliste Ahmad Al-Naggar recueille le plus grand
nombre de voix, environ 49 % des 4 500 voix valides. Al-Naggar devient ainsi le
« premier combattant égyptien », notamment pour « ses écrits sur la corruption
et le détournement de fonds publics dans le groupe de presse Al-Ahram et pour
avoir saisi le procureur général de l’affaire ». Yéhia Hussein, celui qui avait
révélé au grand jour et saisi aussi le procureur dans l’affaire de vente de
Omar Effendi, vient en deuxième position. Le « site combattant » n’est autre
que la « conscience égyptienne », misrdigital.blogspirit.com. Il obtient 47 %
des 1 000 voix, devançant le fameux mouvement Kéfaya. C’est le site qui avait
rapporté les histoires du harcèlement sexuel du centre-ville lors de la fête.
On célèbre, thé et gâteau circulent … l’optimisme prime en dépit de ce taux
de participation assez ridicule. « L’important n’est pas le chiffre, mais la
démarche. Beaucoup d’Egyptiens ne sont pas satisfaits ou sont déçus, ils
pensent que les choses ne vont jamais bouger. Mais à force de voir des
personnes se sacrifier, les obstacles tombent, la peur aussi », estime
Bastawissi. C’est pourquoi le prix deviendra annuel et l’année prochaine, les
primés seront des gens ordinaires, « de petits fonctionnaires qui ont lutté
contre la corruption et subi des ennuis par la suite, des gens qui ne sont pas
comme nous protégés par les projecteurs », explique Waël Al-Ibrachi. L’idée
serait d’établir une carte de la corruption en Egypte, ses domaines, ses
endroits et les cas où le pouvoir et la corruption ne font qu’un. Le symbolique
de cette année devient concret l’année suivante et « le combat mené par des
individus devient une affaire de toute une société », espère Al-Naggar. Le prix
n’est que le début d’une campagne pour forcer le régime à appliquer la
convention des Nations-Unies contre la corruption. L’Egypte l’a signée en 2002
et l’a ratifiée en 2005, et paradoxalement, elle n’est pas entrée en vigueur
car n’étant pas publiée dans le journal officiel Al-Waqaïe al-masriya. Conséquence
: l’Egypte occupe la 70e place sur 160 pays avec 3,3 points sur 10, dans le
classement de corruption de 2006. Mais loin des chiffres et à part les 5 000
L.E. offertes au site élu, tous les gagnants ont obtenu une reproduction
argentée et dorée d’une œuvre d’art du célèbre sculpteur égyptien, Mahmoud
Mokhtar. Une partie de son œuvre, en effet, à savoir le couvercle d’une olla
(gargoulette) coiffée de la fameuse statue du Réveil de l’Egypte, qui, une fois
arrachée, tout le reste est démasqué .