Liban.
Le sit-in des partisans du Hezbollah et de Michel Aoun mêle
flamme politique et jeu de scène. Reportage.
La passion du Sayed Nasrallah
Beyrouth,
De notre correspondant —
Ce
soir, les rues de la capitale ont été désertées de ses
habitants. Tous ont pris le chemin des deux places, Riyad
Al-Solh et les Martyrs pour écouter le discours de Hassan
Nasrallah, le chef du Hezbollah. Ceux qui ne sont pas venus
ont préféré rester chez eux pour la même raison. Une semaine
de sit-in est déjà passée et tout le monde guette une nouvelle
démarche du chef, un développement qui mettrait fin à
l’attente et briserait cette monotonie de la scène. Un
changement qui toucherait, en particulier, le palais
gouvernemental, juste limitrophe. De Beyrouth ouest à la
place, le trajet ne dure normalement en voiture que 10
minutes, cette fois-ci il a fallu au moins 3/4 d’heure. Les
rues vidées de leurs piétons sont envahies par des voitures
filant en direction du grand rassemblement. Sur les deux
côtés, des militaires et policiers avec leurs armes qui sont
loin d’être discrètes. On dirait qu’ils sont prêts à tirer à
n’importe quel instant, mais la frustration, la difficulté de
la mission et son caractère imprédictible se lisent sur leurs
visages. Personne ne leur adresse un mot, juste un regard de
compassion et peut-être une interrogation, ces soldats
interviendront-ils entre ce peuple d’une seule nation ? Une
nation qui glisserait par la suite dans le gouffre ? Ou,
peut-être, la crise se terminera avant une nouvelle
recrudescence.
Le cortège se
poursuit, on passe devant le ministère de l’Intérieur. Là, le
dispositif de sécurité est encore plus important. Mais le
trajet n’est pas modifié, ni devant quel autre ministère. Seul
Baabda, le palais présidentiel, où vit Emile Lahoud, et le
palais gouvernemental, où résident Fouad Siniora et les
ministres de la majorité qui bénéficient de cette protection.
Des barbelés, pourquoi pas ? On dit que le Liban a importé la
plus importante cargaison de barbelés de son histoire depuis
la multiplication des manifestations après le décès de Rafiq
Hariri. Juste à côté du palais gouvernemental, s’élèvent les
deux ambassades britannique et nipponne. Impossible donc
d’accéder par là. De loin, un court de tennis, calme et frais
qui semble peu se soucier de la chaleur émanant de la foule ou
du bruit émanant des micros.
Les chants
patriotiques ne s’interrompent pas, ils se mélangent
bizarrement à ces vagues incessantes d’êtres humains. Du haut
du pont Fouad, on dirait un carnaval. Des drapeaux de toutes
les couleurs, musique, dabka. Même des vendeurs ambulants qui
étalent leurs produits sur les trottoirs ou autour de leur
chariots. Thé, café, biscuits, sandwichs, journaux, photos des
figures de l’opposition … tout est vendu ici. Ce jeune du
mouvement Al-Marada ne s’était jamais aventuré ici pour
prendre un thé à plus de 6 dollars. Pour la première fois,
dit-il, il « découvre tout cet espace vert du centre-ville ».
Des tentes sont dressées partout. Question ? On désigne un
homme grand de taille, le « responsable de la tente », Diaa,
un enseignant de langue arabe. Il dirige une des tentes
dressées par le Hezb. « Ma mission est d’assurer les besoins
des manifestants et de garantir l’ordre et la stabilité »,
précise-t-il.
Jour et
nuit
Des étudiants,
enseignants et fonctionnaires quittent souvent les lieux le
matin pour se rendre au travail et reviennent dans
l’après-midi. D’autres sont là jour et nuit. Dans les tentes
du Hezb, les filles ne peuvent pas passer la nuit ici, ni
celles du mouvement Amal. Celles du mouvement libre de Michel
Aoun et d’autres partis le font. Même si ici, tout le monde
craint pour elles. Hussein, un des manifestants, affirme : «
Au début, on pensait que le nombre allait baisser d’un jour à
l’autre, mais c’est le contraire qui s’est passé ». « On ne
bougera pas d’ici avant la formation d’un gouvernement
d’union, avec le tiers garant », précise Ossama Haïdar, un des
partisans de Nasrallah. « Je n’ai aucun problème avec les
sunnites, j’ai des amis et des collègues de tous les courants
». Haïdar raconte comment il est allé dans un magasin d’effets
sportifs appartenant à un de ses amis sunnites, il lui demande
un T-shirt orange (couleur de l’opposition), son ami lui
répond que désormais il ne vendait que des bleus (couleurs du
mouvement Future) et tous les deux rigolaient. « Nous savons
tous que c’est un jeu politique. Mais je ne veux pas d’un
gouvernement qui soit dirigé par les deux ambassadeurs
américain et français », avoue Haïdar. Les chants continuent,
l’horloge affiche 20h25, la télévision Al-Manar du Hezbollah
commence à diffuser l’hymne nationale. La foule répète puis
scande des slogans : « gouvernement de la dette … gouvernement
de la corruption … Allez à la réforme, allons ensemble
construire la patrie, musulmans et chrétiens … ». Encore des
chants, des applaudissements et le Sayed fait son apparition.
Nasrallah commence son discours de plus d’une heure devant une
foule en transe. Une dame dans la cinquantaine, une autre dans
la vingtaine : « On t’obéira Nasrallah » et les hommes
répètent derrière elles. Son charisme est inouï. S’il leur
demande de rester encore un mois ici, en plein froid, ils le
feront, certes, sans hésitation.
Maher
Meqled