Peinture .
Névine Al-Guindi a suivi l’écrivain pendant plus d’un an afin
de mieux capter le personnage et réaliser une série de
portraits de lui.
Les
21 visages de Mahfouz
«
21 portraits, tous de la même personne ! ». « C’est suicidaire
! ». La dernière exposition de Névine Al-Guindi lui a valu
tant d’éloges et d’exclamations. Elle a choisi, en effet, de
l’inaugurer le jour même de l’anniversaire de Naguib Mahfouz,
c’est-à-dire le 10 décembre, afin de rendre hommage au prix
Nobel qui nous a quittés cette année. Ainsi expose-t-elle une
série de portraits de Mahfouz à la galerie Hanaguer. L’artiste
avoue qu’elle n’avait jamais pensé entreprendre une telle
initiative jusqu’au jour où un ami, l’écrivain Naïm Sabri, l’a
invitée à passer un lundi à l’hôtel Novotel où se
rencontraient Naguib Mahfouz et un nombre d’écrivains ou
d’intellectuels. « J’ai eu un déclic. Et j’ai dit à Mahfouz :
j’ai envie de vous peindre. Alors, il a donné son consentement
», se souvient Névine Al-Guindi, disciple d’un maître de l’art
du portrait, Sabri Ragheb, qui a par ailleurs étudié entre
autres l’Histoire de l’art à l’Université américaine du Caire.
L’expérience valait quand même de prendre le risque. Et il a
fallu que l’artiste suive l’écrivain comme son ombre, durant
ses réunions hebdomadaires. Car Mahfouz avait l’habitude de se
réunir avec ses amis et disciples dans 6 lieux différents tout
au long de la semaine, ne prenant congé que le samedi. Ceci
dit, les portraits d’Al-Guindi sont une bonne occasion de
suivre de près le quotidien de Mahfouz au bord du Nil, dans
Farah Boat et Falafilo. Aux hôtels Shepheard, Sofitel, Novotel
et dans la maison du psychiatre Yéhia Al-Rakhawi, au Moqattam.
« Un jour, j’ai eu vraiment honte, lorsqu’une personne de son
entourage m’a lancé : Ne pensez-vous pas que cela suffise ? Au
début, j’allais pleurer et puis j’ai décidé de laisser chacun
penser ce qu’il veut. Peindre Mahfouz était devenu une
obsession pour moi », raconte l’artiste.
En manteau blanc et entourée d’intellectuels, Névine Al-Guindi
a réussi à s’adapter aux diverses ambiances et occasions.
Finalement, elle a accouché de ces 21 portraits à l’huile, à
l’issue de 21 séances. « J’ai appris à être très véloce, car
il fallait achever un portrait par séance. Naguib Mahfouz
était quelqu’un qui changeait constamment à mes yeux. Je ne
pouvais pas commencer aujourd’hui et terminer la peinture une
semaine plus tard. C’était un personnage difficile à cerner.
Du coup, je ne pouvais pas adopter avec lui la même technique
appliquée lors d’autres portraits de Boutros-Ghali, Yousriya
Sawirès ou Névine Sémeika ».
D’ailleurs, l’artiste constate que 21 portraits sont
insuffisants afin de saisir la personnalité de Mahfouz,
qu’elle a côtoyé pendant un an et huit mois. En d’autres
termes, nous avons des portraits de lui à l’âge de 93 et 94
ans. « En dépit de sa simplicité, de son calme, de son humour
et de sa modestie, Mahfouz cachait un homme rationnel et
inépuisable. D’une seule phrase, il pouvait conclure une
affaire ou mettre un terme à une discussion ». Cette
personnalité oscillant entre simplicité de forme (allure
physique) et sommité de fond (culture et pensée) a beaucoup
inspiré Al-Guindi, dont la palette mélange couleurs pâteuses
et denses. L’artiste passait souvent de l’impressionnisme à
l’expressionnisme, pour mettre souvent un Mahfouz à la tête
inclinée. Loin des détails minutieux, c’est le côté humain et
la présence d’esprit de l’écrivain qui prennent le dessus.
Flou, distorsion, ambiguïté émanent de l’ensemble des
portraits exposés. Lorsqu’elle a voulu produire d’autres
portraits de lui, il lui a répondu d’un air gai, plaisantant :
« Attends que je vieillisse un peu plus ».
Névine
Lameï