Initiative .
Longue patience est un projet musical égypto-suisse ayant le
dialogue comme mot d’ordre. Une occasion de transcender les
barrières, en mélangeant les notes.
Accord
parfait
Dire
que l’Orient et l’Occident ne peuvent guère se rencontrer
s’avère une vaine palabre lorsqu’il est question de dialogue
musical, allant au-delà des mots suggestifs qui sous-tendent
de multiples, et parfois de fausses interprétations. Du moins,
c’est ce qu’a démontré le projet musical égypto-suisse «
Longue patience », lequel s’est déroulé après un an de
préparation, grâce à l’idée et l’effort du professeur de
musique populaire Essam Al-Mallah, de l’Université de Munich.
D’ailleurs, les premiers concerts ont fait le tour des villes
suisses, il y a environ deux semaines de cela.
L’idée du
projet, exécuté par l’institut culturel suisse ProHelvétia,
consiste à produire des morceaux musicaux où se mêlent les
mélodies occidentales et les improvisations orientales pour ne
faire qu’un. Le dialogue intérieur entre ces genres musicaux
et leurs divers instruments atteint alors son climax.
Ainsi a-t-on
regroupé dans ce projet des compositions suisses, avec
partitions à l’appui, et d’autres égyptiennes élaborées par
des générations distinctes. Du côté suisse figurent des
compositeurs tels Alfred Zimmerlin, Paul Giger, Eric Goudibert
et Mischa Kaser. Et du côté égyptien, il y a surtout Abdou
Dagher, le soliste de violon réputé notamment en Europe pour
ses improvisations orientales vertigineuses, jouées sans
partition. Participent également le compositeur et violoniste
Attiya Charara et le jeune talentueux Mohamad Saad Bacha,
professeur assistant au Conservatoire du Caire. Ce dernier a
signé deux morceaux où les instruments orientaux et
occidentaux se répondaient dans la plus grande dextérité,
engageant un dialogue entre Regula Schneider à la clarinette,
Ahmad Arnab à la kawala (variation de flûte orientale) et
Fekri Qénawi au rébab ou entre Amal Ayad au qanoun (instrument
à cordes, proche du sitar) et Paul Giger ou Anna Spina au
violon.
Les
répétitions prouvaient une fois de plus que le dialogue ne
s’opère pas uniquement au niveau des instruments, mais s’étend
au plan humain. Les musiciens Fekri Qénawi et Ahmad Arnab sont
analphabètes, mais parviennent à s’entendre parfaitement avec
leurs homologues suisses. Les anecdotes et les blagues
n’arrêtaient pas de part et d’autre. Anna Spina a surpris tout
le monde en poussant un youyou de joie spontané lorsque ses
collègues égyptiens jouaient leur partie proprement orientale.
La traduction d’Amal Ayad venait de temps en temps sauver la
situation ou ajouter une petite mise au point. Le jeune
percussionniste Khaled Abou-Hégazi faisait la joie de tous,
assurant parfois lui aussi la traduction.
« Zones
inhabituelles »
Sur le plan
musical, la clarinettiste Regula Schneider compare cette
expérience au jazz, notamment à ces expériences mêlant des
musiques très différentes. « J’ai redécouvert le qanoun, mon
instrument, en jouant des notes qui m’étaient inhabituelles »,
exprime Amal Ayad. Justement, les compositions choisies visent
le recours à des « zones inhabituelles » comme l’a effectué
Abdou Dagher qui a apprivoisé les instruments occidentaux dans
l’une de ses compositions à la mélancolie très orientale. Pour
mieux comprendre l’essence de cette musique, les musiciens
suisses ont passé trois semaines au Caire en juin dernier,
s’entraînant, dans la maison de Dagher, à jouer sans
partition, à sa manière. Ils ont également appris
l’improvisation à l’orientale, selon la violoniste Anna Spina.
Parfois, les
Suisses devaient opérer un retour à leur propre musique
folklorique où certains usages se révélaient proches de la
musique orientale ; c’est d’ailleurs ce qui a inspiré Paul
Giger dans sa composition.
Bref, une
musique qui nous place à mi-chemin entre l’émotion européenne
et la raison orientale et vice versa, afin de rapprocher les
goûts. Non seulement on apprend à redécouvrir son instrument,
mais aussi cela peut nous permettre de transcrire certaines
notes égyptiennes jusqu’ici improvisées et retenues
auditivement. Car nous sommes dans une tradition contraire à
celle de l’Occident, où l’on s’est intéressé depuis le Moyen
Age à enregistrer les notes de son patrimoine musical.
Probablement, les Suisses qui ont retenu par cœur la
composition d’Abdou Dagher ne tarderont pas à transcrire ses
notes, après le projet, partant à la recherche d’autres
horizons pour leur propre musique.
Un premier
concert a été donné dans la commune suisse de Boswil,
précisément dans son église ancienne. Le concert a fait salle
comble et le public a réclamé le retour de Dagher sur scène,
clamant son interprétation de génie. D’ailleurs, il y avait
des fans venus exprès d’Allemagne et de France pour le voir.
Fekri Qénawi, le joueur de rébab, a marqué aussi les gens par
une présence exceptionnelle sur scène. Essam Al-Malah,
concepteur du projet, se félicite : « La preuve de notre
réussite c’est qu’on avait à l’origine commencé par six
compositions. Vers la fin du projet, le nombre de celles-ci a
atteint onze. Car les musiciens et compositeurs, pris par leur
propre jeu, voulaient faire plus ». Outre les concerts tenus à
Zurich, Bâle et Lucerne (en Suisse) et à Rothenburg (en
Allemagne), un atelier s’est déroulé autour de la musique
populaire égyptienne, avec la participation des musiciens
Fekri Qénawi et Ahmad Arnab qui ont fait une petite
démonstration en public, révélant les secrets de la kawala et
du rébab. Un petit aperçu de leurs origines et modes de
fabrication a été également fourni, s’agissant d’instruments
millénaires.
Ibrahim
Farghali