Al-Ahram Hebdo, Enquête | L’équation difficile de la sécurité

  Président
Abdel-Fattah El Gibali
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

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 Semaine du 5 au 11 septembre 2012, numéro 938

 

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Enquête

Droits de l’Homme. Un projet de loi élaboré par le ministère de la Justice pour « restaurer l’ordre » soulève des inquiétudes dans les milieux politiques.  

L’équation difficile de la sécurité 

Le projet d’une loi d’urgence élaboré par le ministre de la Justice, Ahmad Mekki, suscite l’inquiétude de l’opposition et des militants des droits de l’homme qui craignent un retour à la répression sous prétexte de combattre le banditisme et la criminalité. Le projet de loi a été soumis pour examen au Conseil suprême de la magistrature en prévision de sa ratification.

La loi permet au président de la République de décréter l’état d’urgence « si la sécurité du pays est en péril », notamment en cas de guerre, de troubles internes, de catastrophes naturelles ou écologiques. L’état d’urgence est alors instauré pour une durée de six mois après l’approbation de l’Assemblée du peuple. Sa prolongation éventuelle n’est possible que par référendum.

Le nouveau texte accorde aux autorités le pouvoir d’interpeller et de placer en détention préventive les criminels jugés dangereux, de mener des perquisitions sans mandat, d’imposer des restrictions sur les déplacements et les réunions. Les journaux sont soumis à une censure et risquent la fermeture s’ils commettent des infractions liées à la sécurité nationale.

Ahmad Mekki a expliqué que la lutte contre la criminalité était « une revendication populaire » et que le chef de l’Etat disposait du droit de décréter l’état d’urgence pour combattre la criminalité et restaurer la sécurité dans la rue.

Depuis la révolution du 25 janvier, les crimes se multiplient en Egypte en raison de l’absence totale de sécurité et de l’inertie de la police qui s’est sentie particulièrement visée par la colère de la population l’accusant d’avoir servi d’outil de répression au service de l’ancien régime. Certains manifestants s’étaient déchaînés contre les policiers pendant la révolution mettant à feu plusieurs commissariats. Après la révolution, l’Egypte a connu une vague de criminalité qu’elle n’avait jamais connue auparavant, avec notamment une multiplication des vols à main armée, des braquages de banques et de fourgons convoyeurs de fonds. Les enlèvements de ressortissants étrangers et de touristes sont devenus monnaie courante et le racket a gagné en ampleur. Des heurts, parfois meurtriers, ont éclaté pendant les matchs de football sans que la police intervienne efficacement pour prévenir les débordements des supporters.

« Le chaos sécuritaire actuel et l’usage fréquent des armes à feu montrent qu’il est nécessaire de rétablir l’état d’urgence pour neutraliser les criminels », estime un ancien ministre adjoint de l’Intérieur. C’est l’opinion de beaucoup d’officiels dans le secteur de la sécurité.

Bien qu’une bonne partie de la population pense que la police doit être soutenue dans sa tâche de rétablir la sécurité, certains partis d’opposition et figures de la société civile sont défavorables au retour de l’état d’urgence. « La promulgation de cette loi soulève des doutes et des suspicions. Pourquoi mettre en place des lois exceptionnelles alors que nous avons connu des élections libres et démocratiques », réagit Amr Moussa, ancien chef de la diplomatie et ex-secrétaire général de la Ligue arabe.

« C’est un projet de loi liberticide », s’insurge, à son tour, le parti du Rassemblement (gauche). « Ce nouveau projet de loi sur l’état d’urgence est susceptible de restreindre les libertés des Egyptiens et de les priver de leurs droits de manifester, de se réunir et de s’exprimer. Il leur ôte également toute protection juridique contre la répression du régime. Nous appelons tous les Egyptiens à le rejeter », indique le parti dans un communiqué.

Affichant sa désapprobation, le président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, Hafez Abou-Saeda, estime, lui, que la situation qui prévaut en Egypte n’exige pas qu’on déclare l’état d’urgence. « Invoquer le problème de la sécurité pour décréter l’état d’urgence traduit une incapacité à mettre en place des politiques sécuritaires efficaces durant cette période de transition politique », explique-t-il. « Amender la loi d’urgence est une chose et décréter l’état d’urgence en est une autre … n’empêche que, dans la pratique, les libertés risquent d’être transgressées », précise-t-il.

Le parti des Conservateurs (centre droite, officialisé au lendemain de la révolution) réagit dans le même sens. « Pour rétablir la sécurité dans la rue, il n’y a nul besoin d’un état d’urgence. Nous avons besoin d’un travail dévoué de la part des policiers. Cette loi est dirigée contre l’opposition et les libertés publiques. Elle ne profite qu’au pouvoir exécutif », lit-on dans un communiqué de ce parti.

Plusieurs avocats ont également rejeté cette nouvelle version de la loi d’urgence y voyant un retour à l’ère Moubarak. L’ancien président avait maintenu tout au long de sa présidence une loi d’urgence décrétée en 1981 après l’assassinat du président Anouar Al-Sadate. « Rien ne peut justifier l’existence de cette loi pour combattre le banditisme, il suffit d’appliquer et de faire respecter les dispositions du code pénal », affirme l’avocat Mohamad Chaltout.

Pour l’expert en droit constitutionnel, Sarwat Badawi, il est important de faire la différence entre l’état d’urgence et la loi sur l’état d’urgence. « L’état d’urgence est une mesure provisoire pour faire face à des conditions exceptionnelles, sa durée et l’endroit précis où il entre en vigueur sont annoncés préalablement, alors qu’une loi sur l’état d’urgence est simplement destinée à restreindre les libertés publiques », souligne-t-il.

Pour le militant des droits de l’homme, Baheiddine Hassan, le régime en place avance les mêmes prétextes que l’ancien régime. « Les révolutionnaires ont choisi le 25 janvier, qui coïncide avec la fête de la police, pour protester contre les pratiques inhumaines de la police et la répression. Tant qu’elle ne fera pas l’objet d’une réforme, l’institution policière restera incapable d’assurer l’ordre sans se doter de prérogatives exceptionnelles », affirme-t-il

Pour tenter d’apaiser les craintes, Mekki a précisé que son projet de loi enjoignait le ministre de l’Intérieur de présenter un rapport mensuel à l’Assemblée du peuple, au Conseil suprême de la magistrature et au Conseil national des droits de l’homme, comportant le nom des détenus ainsi que la raison et le lieu de leur détention. Le procureur général devra présenter lui aussi au Conseil suprême de la magistrature un rapport mensuel sur les conditions d’emprisonnement des détenus. « Les médias ont insidieusement fait croire aux Egyptiens que la loi sur l’état d’urgence promulguée en 1958 avait été abolie. En réalité, c’est l’état d’urgence et non la loi d’urgence qui a été levée le 31 mai dernier », a précisé le ministre de la Justice. « Le président Mohamad Morsi ne promulguera pas la nouvelle loi sur l’état d’urgence si elle ne bénéficie pas d’un consensus national, l’Etat tentera alors de trouver une alternative juridique pour combattre le chaos sécuritaire », a-t-il ajouté. Selon lui, la nouvelle version de la loi offre davantage de « garanties juridiques » aux citoyens. Il reste à savoir comment dans la pratique le nouveau président parviendra à réaliser cette équation difficile qui consiste à rétablir la sécurité sans toucher aux droits fondamentaux des Egyptiens.

Mohamed Abdel-Hady

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