Al-Ahram Hebdo, Dossier | L'état d'urgence dans un gant de velours

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Mamdouh El-Wali
 
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 Semaine du 19 au 25 septembre 2012, numéro 940

 

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Dossier

Libertés. Trois mois après l’expiration de la loi d’état d’urgence, en vigueur sous Moubarak, le ministre de la Justice propose une autre version de la loi plus « civilisée ». Elle donne elle aussi aux autorités le droit de procéder à des arrestations arbitraires. 

L'état d'urgence dans un gant de velours 

« Nous avons réformé l’ancienne loi (...) la nouvelle loi comporte d’innombrables garanties pour les libertés (...) le mot urgence existe dans le Coran (...) tous les pays civilisés ont des lois d’urgence ». C’est ainsi que le ministre de la Justice, Ahmad Mekki, fait la promotion de sa nouvelle version de la loi d’état d’urgence. Mais il peine à convaincre. La simple mention du mot « urgence » réveille dans l’esprit des Egyptiens le souvenir encore vivace de l’Etat policier qui a régné brutalement sur l’Egypte au cours des trois dernières décennies, et dont l’outil de répression était la loi d’état d’urgence.

Décrétée par Soufi Abou-Taleb, l’ancien président de l’Assemblée du peuple, deux heures après l’assassinat d’Anouar Al-Sadate en 1981, cette loi qu’on a qualifiée à l’époque de « provisoire » (elle a été décrétée pour une période de trois ans) a été sans cesse prorogée par Moubarak et n’a jamais été levée.

Historiquement, cette loi date de 1952 (loi n° 162 de 1952). Elle a été appliquée à plusieurs reprises : après l’incendie du Caire en 1952, et jusqu’en 1956, puis au lendemain de la défaite de juin 1967 et jusqu’en 1980 où elle a été annulée par Sadate quelques mois seulement avant sa mort.

L’argument présenté aujourd’hui par Mekki en faveur d’une nouvelle version de la loi ressemble à ceux avancés par les ministères de l’Intérieur du régime déchu, à savoir « protéger l’ordre public ».

Une formule qui déguise une réalité bien plus cruelle, car cette loi a été utilisée par le régime pour briser les opposants politiques. Détentions arbitraires, civils jugés par des tribunaux militaires à huis clos, restrictions des libertés publiques, interdiction des grèves et des manifestations, tout était permis au nom de la protection de l’ordre public. Les Frères musulmans, principale force d’opposition à cette époque, en savent quelque chose.

Abdel-Moneim Abdel-Maqsoud, avocat de la confrérie, donne aujourd’hui des chiffres qui montrent l’impact de cette loi sur les seuls Frères musulmans : 32 000 détenus, 1 400 entreprises fermées, 3 200 dirigeants des Frères interdits de sortie du territoire, 11 000 travailleurs licenciés.

Malgré la contestation populaire et les pressions extérieures, cette loi, par essence temporaire, a été prorogée par le Parlement à chaque fois qu’elle arrivait à expiration. Sa dernière prorogation sous le régime de Moubarak date de mai 2010, neuf mois avant la chute du dictateur, où elle avait été modifiée au niveau de la forme uniquement.

Après la révolution, le Conseil militaire, malgré des promesses début 2011 de mettre fin à l’état d’urgence, non seulement le maintient, mais en plus l'utilise largement durant la période de transition. Les ONG recensent des milliers de détenus arrêtés en vertu de cette loi d’exception durant cette période. Et la publication en janvier 2012 par le maréchal Tantawi d’un décret limitant son application aux hors la loi ne met pas fin à la contestation. Finalement, le 31 mai 2012, date d’expiration de cette loi soi-disant « provisoire », le Parlement, à majorité islamiste, refuse de la renouveler.

 

La loi d’urgence remise à jour

La nouvelle mouture de la loi d’état d’urgence présentée par Mekki soulève une grande polémique. Le président Morsi avait promis dans son programme électoral de ne plus revenir à cet état d’exception. Mais il garde à présent le silence. Quant à son parti, Liberté et justice, opérant un virage à 180°, il fait maintenant la propagande active du nouveau texte, arguant que « la loi est bonne, mais l’ancien régime en a fait un mauvais usage, ce qui a provoqué des troubles ».

Mekki essaye en vain d’assurer qu’il a entamé cette démarche « sans la recommandation du président », et qu’il préparait déjà ce projet de loi « avant même d’être nommé ministre de la Justice ». Il se défend en affirmant que cette loi est destinée à avoir un effet préventif, mais ne peut pas convaincre lorsqu’il dit que cette version amendée met « des entraves pour le régime et non pas pour le citoyen ».

Encore et toujours, la définition de « danger pour l’ordre public » reste floue. La liberté d’expression reste menacée dans la loi de Mekki comme dans les précédentes. Les quelques points positifs que Mekki avance comme des « garanties pour les libertés » ne peuvent guère calmer ni les soupçons, ni la crainte majeure de voir cette loi utilisée pour réprimer, cette fois, les opposants des Frères musulmans.

« Il y a tant d’autres dossiers ouverts et bien plus urgents avec lesquels Mekki aurait dû commencer sa carrière de ministre de la Justice », s’insurge Gamal Eid, directeur exécutif du Réseau arabe d’information sur les droits de l’homme. Selon Eid, dans cette nouvelle version comme dans l’ancienne, l’Etat garde la mainmise totale sur les libertés des citoyens. « Il aurait fallu d’abord qu’ils procurent plus de pouvoir à la justice », continue-t-il. Et d’ajouter : « Toutes les mesures prévues par cette loi d’état d’urgence, comme la supervision du contenu des journaux, devraient rester dans les mains de la justice, afin d’assurer que rien ne porte atteinte à la liberté du citoyen ».

Pour Nasser Amin, directeur du Centre de l’indépendance de la justice, certains articles de la version de Mekki vont dans le bon sens. Par exemple, le fait que le ministre de l’Intérieur doit présenter un rapport mensuel au Parlement, au Conseil suprême de la magistrature et au Conseil national des droits de l’homme, renfermant les noms des détenus, ainsi que la raison et le lieu de leur détention.

Selon Amin, l’état d’urgence ne devrait pas être instauré pour une durée fixe de plus de six mois, et ce, après l’approbation du Parlement. Sa prolongation éventuelle ne devrait pas être possible que par référendum. Le suspect devrait avoir la possibilité de faire appel après une semaine, et les verdicts des tribunaux devraient être appliqués aussi en cas d’innocentement. « Sans réformes radicales de l’appareil sécuritaire qui est grandement défaillant, les libertés seront profondément affectées », conclut Nasser Amin.

Aliaa Al-Korachi

 

 

 

 

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