Hommage.
A l’occasion de la commémoration du décès du prix Nobel
égyptien de littérature Naguib Mahfouz, le 30 août, l’Hebdo
revient sur l’ouvrage du journaliste et écrivain
Ragaa
Al-Naqqache*, intitulé Les
Fils de la médina, entre l’art et la religion.
Les perceptions de Mahfouz
« Le
roman Les Fils de la médina fait appel à la
science, parce que la science réalise le progrès et répand
la lumière dans la vie. Pourtant, elle est capable d’être
méchante et dangereuse. Raison pour laquelle elle doit être
liée à la conscience ou à la foi, afin de demeurer une force
capable de servir l’homme et de le défendre ». Telle est
la conclusion de l’ouvrage Les Fils de la médina,
entre l’art et la religion, du journaliste et écrivain
défunt Ragaa Al-Naqqache,
qui aborde le célèbre roman du romancier égyptien Naguib
Mahfouz, Awlad
haretna (les fils de la
médina).
Ce roman du prix Nobel de littérature reste contesté par
Al-Azhar depuis sa publication dans les pages du quotidien
Al-Ahram en 1959. Sans
oublier qu’il a été la cause principale de l’attentat manqué
contre Mahfouz en octobre 1994. Al-Naqqache
rassemble dans son livre publié par le Conseil suprême de la
culture des articles pouvant constituer une étude, parus
dans la presse. « Nul doute que Les Fils de la médina
a été le roman arabe le plus dangereux du XXe
siècle non seulement pour sa valeur artistique, mais aussi
pour les idées sur lesquelles le roman était basé ainsi que
pour ses personnages », annonce l’écrivain dans sa
préface. Il avance que les extrémistes voulant dominer la
raison arabe et lui imposer des restrictions ont essayé de
trouver dans le roman ce qui prouve que Mahfouz était contre
l’islam et qu’il était un mécréant. A la fin de son étude,
Al-Naqqache est convaincu que la
tragédie réside dans la fausse interprétation des
prescriptions religieuses et le fait d’impliquer la religion
dans des affaires auxquelles elle n’est pas liée. Il insiste
sur le fait qu’il s’agit d’un danger menaçant notre société
d’isolation du monde entier et de restriction de la raison
« pour qu’elle soit une source d’obscurantisme non de
lumière. Alors, nous devons tous faire face à ce malheur,
avec force et conscience », déclare Al-Naqqache
dans les dernières lignes de sa préface.
Retour au monde de l’écriture
Selon Ragaa Al-Naqqache,
ce roman est d’une grande importance dans la littérature de
Naguib Mahfouz. Car d’abord, ce roman a marqué le retour de
Mahfouz au monde de l’écriture après une pause de cinq ans.
« Lui, qui n’avait jamais arrêté d’écrire depuis sa
sortie de l’Université du Caire en 1934 », comme
l’avance l’auteur. Puis parce que le roman Les
Fils de la médina représente la transformation complète
de la littérature de Naguib Mahfouz. La source principale de
l’écrivain a toujours été sociale, reposant sur les
descriptions détaillées d’incidents et de personnages. « Avec
ce roman, Mahfouz a commencé à écrire sur un monde spirituel
plein de transparence, de poétisation, du symbolisme et de
simplification, sans pour autant négliger les problèmes de
la société qui occupent l’homme […], il s’agit d’une
explosion littéraire et morale dans laquelle Mahfouz
s’intéresse aux troubles psychologiques et spirituels causés
par les circonstances sociales et intellectuelles difficiles »,
explique Al-Naqqache, qui voit
que dans cette nouvelle tendance, Mahfouz est allé jusqu’à
obtenir le prix Nobel de littérature en 1988. La 3e
importance de ce roman est qu’il a été la cause de
l'attentat manqué contre Mahfouz. Al-Naqqache
se pose une question à cet égard : pourquoi la question de
ce roman a été suscitée dans les années 1980 et 90 alors
qu’il avait été publié à la fin des années 1950 ?
Deux sociétés de l’Egypte moderne
La réponse, selon Al-Naqqache,
réside dans la différence entre les deux sociétés de
l’Egypte moderne. A savoir la société de Nasser et celle de
Sadate. Dans la première, « bien que les opinions soient
différentes, l’Etat y paraissait comme un Etat fort et il
était impossible de composer des groupes extrémistes, ni de
droite, ni de gauche, ni politique, ni religieux. Ces
groupes n’existaient même pas », selon Al-Naqqache.
Quant à la société de Sadate, c’était tout à fait le
contraire. Selon l’auteur, Sadate lui-même a effectivement
participé à créer une société incohérente. « Sadate était
hostile à toutes les idées gauchistes, dont les idées
nassériennes, et il détestait l’arabisme qui liait le destin
de l’Egypte à celui de la nation arabe. Il craignait, en
fait, toutes ces tendances et pensait qu’il devait les
déraciner. La solution, de son point de vue, était de faire
revivre la tendance religieuse extrémiste violente. Il
pensait pouvoir contrôler cette tendance religieuse. Mais le
destin en a décidé autrement. L’assassinat de Sadate a
été revendiqué par cette tendance ». Al-Naqqache
en déduit alors qu’une tentative d’assassiner Mahfouz
n’aurait pu être commise dans une société comme celle de
Nasser.
Face aux critiques selon lesquelles le roman s’inscrivait
contre la religion, Mahfouz a insisté en vain pour obtenir
une autorisation d’Al-Azhar, afin de publier le roman en
Egypte.
Al-Naqqache a rassemblé dans son
ouvrage les témoignages de quelques islamistes renommés qui
refusaient l’accusation contre Mahfouz. « Celui qui
reconnaît Dieu dans le personnage d’Al-Gabalawi
du roman Les Fils de la médina doit demander
pardon à Dieu et doit revoir la science de l’unicité »,
a défendu l’écrivain islamiste Mohamad
Galal Kéchk. L’auteur n’a
pas hésité à indiquer qu’un grand religieux comme le cheikh
Al-Ghazali était contre ce roman, même après l’attentat
contre Mahfouz. L’auteur avance qu’il ne faut pas lire la
littérature d’une lecture religieuse, car les ouvrages
littéraires possèdent l’imagination. « Si nous
interprétons religieusement tout texte littéraire, nous
renoncerons à une bonne partie des grands ouvrages connus de
l’humanité », affirme Al-Naqqache.
Ce dernier estime que Naguib Mahfouz a voulu prouver par son
roman Les Fils de la médina la théorie selon
laquelle la foi en Allah et la science donnent l’islam. Il
clôt son ouvrage par cette citation de Mahfouz : « Je
possède au fond de mon cœur et de mon âme une foi que ni mes
études de philosophie, ni ma préoccupation continuelle par
les soucis de l’homme et de la société n’ont pu déraciner ».
Rasha
Hanafy