Mohamad Al-Achri
est un romancier qui sait décrire autant l’aridité du désert
que les affres et les passions de l’amour. Dans
Halet al-nour,
il se meut aisément avec profondeur et finesse entre ces
deux espaces.
L'aura de lumière
B
(…)
Je la vis pour la première fois sur le chemin. Je me
retournai. Je la regardais pensif. Elle rit en fermant ses
cils courts. Mon cœur se mit à battre fort. Il se réveilla
par la suite et éclata dans ma poitrine après un long
silence tellement que je l’avais cru mort. Je pensais que
personne ne pourrait le faire sortir de son sommeil. Les
branches des feuilles se levèrent rapidement et se
colorèrent d’un rouge épanoui. Je cueillais une fleur d’un
marchand ambulant. Je la plaçais en face d’elle. Son visage
se colora de rouge pourpre de timidité. Elle balbutia. Je
m’approchai vers elle d’un pas. Je rapprochais mes deux
paumes. La fleur du sourire s’ouvrit entre nous et laissa
planer sa senteur rafraîchissante.
***
Je pensais longtemps pieusement aux ambitions des amoureux
alors qu’ils descendent avec les parachutes spacieux de
l’amour dans les affres de la passion. Ils arrivaient à
éteindre le feu alors que leurs cœurs se remplissaient
d’amour. Je voyais mon cœur devenir de plus en plus grand et
ombrager l’univers et me faire descendre dans le cœur de la
vie. Alors que je traversais la ligne limite entre
l’imagination et la vérité, je comprenais que le fait de
puiser de la senteur du miel des cœurs enflammés n’avait pas
besoin qu’on s’arrête et qu’on hésite, mais simplement de
s’élancer avec la plus grande rapidité des cellules et de
s’accrocher à sa poitrine quelles que soient la douleur de
la brûlure et les piqûres de la réalité. La vie même, si
elle se prolonge, est courte comme un clin d’œil, et la vie
mérite qu’on la vive et qu’on l’arrache des mâchoires du
temps qui ne s’arrête pour personne. Car la vie remplie de
liens contient des joies qui désaltèrent des milliers de
déserts arides et les métamorphosent en jardins.
***
Je n’attendis pas longtemps. Je décidais de vivre
l’expérience jusqu’au bout et de suivre les signes, de
creuser avec une perche chaude dans les pieds des arbres
vétustes, de faire de mes pas des traces à tous les endroits
où les anges de l’amour apparaissaient, de m’approcher du
vieux fleuve pensif et de laisser — uniquement — sur son
bord tendre ma soif pour qu’elle sombre au fond.
***
Au second pas, nous devînmes proches. Nos doigts collés sur
la tige de la fleur pleine d’amour savourant les piqûres de
ses tiges enflammées.
***
Je l’invitais à s’éloigner des gens. Nous nous faufilâmes
dans un endroit à la lumière tamisée aux arbres étendus au
bord du Nil. Je la surpris par un baiser furtif sur sa joue
droite. Sa main trembla dans la mienne. Elle me suivit en
silence essayant de paraître normale.
Je sortais de ma poche les coupures de
papier sur lesquelles j’avais inscrit un seul mot. Je
remplissais mes paumes puis je les levais en l’air et les
laissais tomber sur sa tête comme des gouttelettes de pluie
rafraîchissante qui rafraîchissent le sol sous nos pas. Elle
rit, mignonne, comme une gamine. Elle se baissa pour
ramasser quelques petits bouts dispersés sous nos pieds.
Elle lut un bout de papier et s’étonna. Elle lut un autre et
son étonnement augmenta et son rire aussi. Puis elle lut
encore un troisième, un quatrième et un dixième …
***
Le seul mot que j’avais dessiné avec précaution d’une
couleur verte rayonnante sur tous les papiers sortait d’un
petit cœur dessiné en rouge. Il l’incita à se libérer de ses
ailes et à me prendre dans ses bras pour insister avec une
joie enfantine :
— Je veux l’écouter de ta bouche, sorcier.
Sa demande me poussa au silence, en comprenant que le
silence de la passion face aux amoureux enflamme l’amour et
plante dans les cœurs les fleurs de l’amour. J’entourais son
cou de mes bras et elle sourit. Elle m’entoura la taille de
sa main droite et nous avançâmes à pas lents, dans la
profondeur des arbres alors que les feuilles pleines de
rosée se réveillaient sous nos pas. Je fus alerté par sa
grande attention alors qu’elle s’attendait à être entourée
de plein de caresses et de mots d’amour.
Je me retournais en souriant et en regardant ces bouts de
papier qui nous suivaient. Ils avaient couvert nos épaules
et notre poitrine comme une volée de pigeons qui voulait se
reposer. Je l’entendis qui me chuchotait à l’oreille et qui
répétait heureuse dans un chant limpide que je touchais
parmi les feuilles des arbres dont les branches pendaient et
qui se posait sur mes épaules :
« Je t’aime … Je t’aime ».
***
Lorsqu’elle s’approcha de moi, à ce point, je sentis que les
branches s’étendaient et qu’elles sortaient de moi. Empli de
feuilles denses, je me métamorphosais en un arbre plein
d’oiseaux dans la nuit. Son approche douce ressemblait au
coup de feu d’un chasseur effrayant les oiseaux endormis.
Ils s’évadèrent les uns derrière les autres.
Le silence qui me mit dans un état second après que le
plaisir m’eut touché, me sembla étrange et je me posais la
question :
Qui suis-je ?
Suis-je vraiment moi-même ?
Ou suis-je l’arbre ?
Suis-je son ombre ?
J’avais l’envie d’être habité par les oiseaux, d’être secoué
par le coup de feu du chasseur d’un moment à l’autre. En
quelques secondes, je pouvais me départir de tout, perdre
mes feuilles, faire voler mes oiseaux, être tout nu ayant
besoin de chaleur, d’une enveloppe vivante contenant l’âme
égarée.
***
Une nouvelle fois, je touchais de mes doigts de petites
âmes, je sortis les petites coupures et les dispersais en
l’air. L’amour qui sortait de ma poche ressemblait à des
oiseaux gais qui regardaient hors de leurs nids mettant en
avant des cous sans plumes. Ils remplissaient l’espace de
gazouillis. Ils invitaient des volées d’oiseaux à les
accompagner dans leurs fêtes. Les ailes scandaient les airs
et masquaient les nuages.
Je revins plein de fierté, la joie me tirant par le bras.
J’escaladais les marches de l’escalier les unes derrière les
autres comme si je jouais sur un énorme piano qui lançait sa
musique dans tous les recoins du bâtiment vétuste. Il
distribuait la musique avec harmonie. Elle montait des
ouvertures alors que le chœur scandait mes chansons de
derrière la lumière existant sur les murs capitonnés de bois
coloré. La musique dansait devant mes yeux. Toutes les
choses à cause de l’amour s’étaient converties en une
couleur rosée qui incitait à la joie et à monter avec la
musique vers la joie de l’âme.
***
La joie sauta de mes yeux et je souris à la réception de
l’hôtel alors que j’avançais la main pour prendre la clé de
la chambre du réceptionniste bariolé de couleurs qui avança
la main pour la poser dans la mienne. Sans prononcer un seul
mot, je lui donnais le dos. Je nageais avec légèreté dans la
direction de ma chambre. Je m’allongeais sur le lit, heureux
de moi-même. Je dis : Même les grands inventeurs ne font que
des choses très simples que les autres considèrent comme des
miracles.
Je ne savais pas que le fait d’inventer un petit stratagème
pour exprimer les battements du cœur suffisait à lever le
ciel très haut sur un piédestal et que cela m’avait ouvert
soixante-dix-sept portes dans la direction du trône.
Traduction de Soheir
Fahmi