Politique Etrangère.
Les diverses visites à l’étranger du président
Morsi suscitent des
interrogations sur la nouvelle orientation de l’Egypte après
la révolution. Les changements, même s’ils sont jugés de
pure forme, auront un impact sur l’équilibre de la région.
Les envolées de Morsi
Le
président Mohamad Morsi commence
à tracer les grandes lignes de sa nouvelle politique
étrangère et ne manque pas d’attirer l’attention des
observateurs. Parmi les questions sans cesse posées en
raison de la présence à la tête de l’Etat d’un président
islamiste : « Allons-nous nous transformer en un second
Iran ou une nouvelle Turquie ? ». Ou encore : « L’ancienne
ligne de la diplomatie égyptienne sera-t-elle conservée ? ».
Morsi
s’est déjà rendu en Arabie saoudite, en Ethiopie et se
prépare cette semaine à trois nouvelles visites : Chine,
Iran puis Etats-Unis.
Une diversité de visites qui ouvrent sans doute de nouveaux
horizons tout en appuyant les relations qui existaient aussi
avant la révolution, sous Moubarak. Mais
Morsi suivra-t-il la même
politique que son prédécesseur ?
Pour certains, il est encore très tôt pour avoir une image
précise de la politique de Morsi.
C’est ce qu’affirme le politologue
Ezzeddine Chokri, qui
explique : « Il est encore très tôt pour avoir une vision
précise des nouvelles orientations égyptiennes sous
l’administration de Morsi. A mon
avis, il faudra attendre au moins six mois ou l’apparition
d’événements importants pour analyser la nature de ce
changement. De toute façon, je crois que
Morsi doit s’intéresser en
premier lieu aux affaires internes du pays avant de penser à
l’extérieur ».
Mais la question n’est pas vue du même œil par tout le
monde. En effet, beaucoup d’analystes estiment aussi que les
quelques déplacements du président
Morsi sont des indices très importants cristallisant
la politique étrangère que Morsi
entend suivre.
Les analystes parlent pour le moment de grandes lignes. Avec
déjà trois déplacements, la diplomatie égyptienne marque un
caractère d’indépendance qui fera nécessairement changer
l’équilibre de la région : une position nouvelle, originale
et intéressante sur la Syrie, une visite en Chine, une
participation au sommet des pays non-alignés à Téhéran.
Ayant sans doute la volonté de reprendre le leadership du
monde arabe, lors du sommet des pays islamiques de Riyad qui
s’est tenu les 14 et 15 août dernier,
Morsi, pour tenter de résoudre la crise syrienne, a
proposé la création « d’un groupe de contact » sur la
crise syrienne, qui renfermerait quatre pays, à savoir
l’Arabie saoudite, l’Egypte, l’Iran et la Turquie, pour
résoudre la crise syrienne par des moyens pacifiques. Une
proposition qui a été applaudie par l’Iran, seul pays à
exprimer sa satisfaction à cet
égard (voir encadré page 5).
Morsi
a aussi attiré l’attention avec son déplacement en Chine, le
premier hors de la zone moyenne-orientale. Avec un agenda
bien chargé, il se tourne vers le dragon asiatique pour
soi-disant réaliser son programme électoral intitulé « Al-Nahda (la
renaissance) », où il avait cité l’intérêt de cette force
politique mondiale pour son projet.
Morsi tente de suivre un itinéraire que Moubarak
avait commencé, mais au cours duquel ce dernier n’a pas
réussi à réaliser un grand succès. Reste à savoir si
Morsi sera plus efficace (voir
encadré page 4).
Iran … pour un faible dégel des relations ?
Bien que la visite du président Morsi
à Téhéran vise à participer au sommet du Mouvement des
non-alignés, elle délivre un message important. L’Egypte et
l’Iran s’ignorent depuis la prise du pouvoir à Téhéran par
les islamistes de Khomeiny, en 1978-1979. Moubarak n’a
jamais tendu la main aux Iraniens.
Morsi, lui, tente une approche différente de celle du
président déchu. Il avance avec prudence. Jusqu’à ce que la
préparation du sommet soit entrée dans sa phase finale, la
question de la participation personnelle de
Morsi est restée ouverte.
Pendant quelques jours, la thèse officieuse était que
Morsi n’irait pas à Téhéran, à
la demande pressante des Etats-Unis.
Cette « demande pressante » a sans aucun doute été
exprimée. Mais ne voulant pas rater ce rapprochement avec
l’Iran, Morsi s’est quand même
rendu dans ce pays. Selon Elena Aoun, maître de conférences
à l’Université libre de Bruxelles : « Un rapprochement
irano-égyptien se heurterait aux intérêts de tous les
partenaires du Caire, à savoir les Américains, les
Européens, les pays arabes du Golfe, mais aussi les
Israéliens. Une trop grande proximité avec Téhéran risque
d’indisposer tout ce beau monde alors que les gains pour
l’Egypte ne sont pas évidents. C’est pourquoi, malgré la
tentation de renouer avec Téhéran ne fût-ce que pour montrer
son indépendance, Morsi reste
prudent. Même dans le cas d’un rétablissement des relations
diplomatiques— possibilité évoquée il y a plus d’un an mais
sans suite jusqu’ici —, rien n’indique que les rapports avec
Téhéran se développeront réellement d’autant plus qu’ils
sont concurrents sur le plan
régional ».
On peut donc parler d’un changement de pure forme dans la
politique étrangère égyptienne. Si
Morsi réalise un petit changement dans la politique
de Moubarak en se rapprochant de l’Iran, il se retrouve
obligé de maintenir les grandes lignes de la politique de
son prédécesseur, à savoir maintenir les relations avec les
Etats-Unis et respecter le traité de paix avec Israël.
Maintenir les relations avec Washington et Tel-Aviv
Les liens avec Washington restent vitaux. Et le premier
voyage aux Etats-Unis du président
Morsi survient à l’occasion de la réunion de
l’Assemblée générale des Nations-Unies. Ce voyage a une
importance majeure au niveau des relations bilatérales entre
les deux pays. Comme l’explique le politologue Moustapha
Kamel Al-Sayed, il n’est pas question pour
Morsi de compromettre ses
relations avec les Etats-Unis. En limitant sa présence en
Iran à 4 heures seulement, il a surtout voulu ne pas
mécontenter les Américains (voir interview page 4). Cette
visite va donc cimenter la longue alliance entre les
Etats-Unis et l’Egypte. Les Etats-Unis versent un milliard
de dollars d’aide militaire chaque année à l’Egypte, et ce,
depuis plus de 30 ans.
La situation n’est pas différente en ce qui concerne Israël.
Le président égyptien n’ira pas jusqu’à remettre en cause le
statu quo avec Israël. Si Moubarak est longtemps accusé de
« choyer » les Israéliens, il n’en sera sans doute
pas de même avec Morsi. « Notre
politique à l’égard d’Israël sera basée sur l’égalité,
car nous ne sommes pas inférieurs à eux. Nous
discuterons du droit des Palestiniens, car cela est très
important », avait-il déclaré.
Une attitude plus ferme mais qui n’ira pas jusqu’à la
rupture des relations. Le nouveau président entend réviser
les accords de paix signés avec l’Etat hébreu en 1979, mais
seulement en ce qui concerne la présence sécuritaire dans le
Sinaï. Pour le politologue Hassan Nafea,
« Toutes ces visites, bien qu’importantes, n’apportent
pas de véritables changements ». Et d’ajouter : « Il
faut attendre les résultats pour juger des résultats de ces
visites », conclut-il.
Chaïmaa
Abdel-Hamid