Haute cour constitutionnelle.
Le président Mohamad Morsi a
officiellement nié toute intention de supprimer cette
instance. Selon l’assemblée chargée de rédiger la nouvelle
Constitution, il s’agit plutôt d’une modernisation.
La réforme, mais dans quel sens ?
Lors
d’une rencontre cette semaine avec des magistrats dont le
président de la Cour constitutionnelle,
Maher Al-Béheiri, le
président Mohamad Morsi a
affirmé que le statut juridique de la Cour suprême restera
« intouchable » dans la future Constitution,
actuellement en élaboration. « Le statut des instances
judiciaires restera inchangé dans la prochaine Constitution »,
a assuré le président.
Cette déclaration fait suite à des rumeurs véhiculées par
les médias selon lesquelles les membres de l’assemblée
constituante, en charge de la rédaction d’une nouvelle
Constitution, auraient suggéré dans une proposition
l’annulation de la Cour constitutionnelle. Des informations
qui n’ont pas de source mais qui, dans les milieux
politiques et judiciaires, avaient suscité des craintes et
des accusations selon lesquelles les Frères musulmans,
majoritaires dans l’assemblée constituante, chercheraient à
prendre leur revanche en détruisant cette instance qui avait
inversé le 10 juillet dernier la décision du président
Morsi de réinstaurer le
Parlement dissous.
De son côté, le secrétaire général de l’assemblée
constituante, Amr Darag,
également cadre du Parti Liberté et justice (bras politique
de la confrérie des Frères musulmans), a confirmé les propos
du président en niant toute intention de supprimer la Cour
constitutionnelle. « La plupart des informations que font
circuler les médias en ce qui concerne ce sujet sont
erronées. Aucune proposition n’a été faite dans ce sens par
les membres de l’assemblée. Il serait dangereux de toucher
aux institutions de l’Etat en ces moments délicats »,
affirme Darag. Il reconnaît
cependant qu’il existe des lois qui entravent l’indépendance
du pouvoir judiciaire et qui facilitent la politisation de
certaines instances judiciaires, comme la Cour
constitutionnelle. « Nous sommes conscients que certaines
de ces institutions ont été infiltrées par des éléments de
l’ancien régime pour servir les intérêts de celui-ci, mais
la solution n’est pas de les supprimer, mais de les réformer
et de faire adopter les lois qui garantissent leur
indépendance », poursuit-il.
Mohamad Nour
Farahat, spécialiste de droit
constitutionnel, est d’accord sur le principe : « Je
trouve très important la présence d’une instance pour
trancher la constitutionnalité des lois, surtout que les
juges égyptiens s’occupent traditionnellement de
l’application de celles-ci, non de leur évaluation ». « Au
début des années 1980, la Cour constitutionnelle a aidé à
éviter à l’Egypte une crise interconfessionnelle en offrant
une interprétation
modérée de l’article 2 de la Constitution, selon lequel les
principes de la charia sont la principale source de
législation »,
rappelle Farahat.
Tradition bafouée
Créée en 1969 par le président Gamal Abdel-Nasser, la Haute
Cour a gagné en prérogatives sous son successeur Anouar
Al-Sadate, grâce à la loi 48 de l’année 1979, qui lui
accordait la charge de veiller sur la constitutionnalité des
lois et d’uniformiser les législations en vue de leur
application, de délimiter les frontières entre les instances
judiciaires et de trancher les jugements conflictuels des
tribunaux. Traditionnellement, les membres de la Cour
proposaient leur aîné comme président, une proposition qui
était ensuite ratifiée par le président de la République.
Cette tradition fut bafouée par l’ex-président qui méprisait
le choix des membres de la Cour pour leur imposer un
président loyal à son régime, aidant ainsi à la politisation
de cette Cour.
Le dernier président de cette Cour nommé par le président
Moubarak, Farouq
Soltan, était choisi parmi les
juges des tribunaux militaires, et c’est lui-même qui avait
présidé la commission électorale lors des élections
législatives de 2010 qui ont permis au parti du chef de
l’Etat de rafler la quasi-totalité des sièges au Parlement.
La tendance s’est fait sentir dans sa jurisprudence même, si
en 1987 la Cour a enjoint le président à dissoudre le
Parlement en jugeant inconstitutionnelle la loi électorale,
en 2007, elle a refusé de trancher sur la constitutionnalité
du référendum sur les amendements constitutionnels conçus à
l’époque, selon les observateurs, pour servir le « scénario
de l’hérédité », ou la passation du pouvoir au fils
cadet du président.
Aujourd’hui, alors que le débat se centre sur la réforme de
la Cour constitutionnelle, la question reste de savoir si
cette réforme s’opérera dans la perspective de
l’indépendance de la justice ou pour le compte du nouveau
régime.
May Atta