Hôtels Halal.
Ces établissements ne vendent pas d’alcool et interdisent la
danse et la musique. Ils commencent à faire leur apparition
en Egypte.
Réservés aux pieux
« je
ne veux pas commencer ma vie conjugale dans un lieu
maudit par le Seigneur car on y présente de l’alcool et on
permet la mixité flagrante ». C’est ainsi que Mohamad
justifie le choix de l’hôtel où il a décidé de célébrer ses
noces. Au rythme des tambourins, les deux mariés font une
entrée théâtrale. Mais, au 10e étage, le couple
se sépare. Mariam, la mariée, monte à l’étage supérieur pour
rejoindre la salle réservée aux femmes. La direction de
l’hôtel a évacué tous les hommes de cet étage. Le personnel
qui rend service aux invitées est composé uniquement de
femmes. Même la troupe musicale, les photographes, etc. sont
aussi des femmes. Les femmes qui portent le niqab
(voile complet) ôtent leurs foulards. C’est alors un
carnaval d’élégance et de coquetterie pour ces dames qui se
cachaient derrière leur voile. Elles se faufilent sur la
piste pour danser avec la mariée, alors qu’une fille sert le
traditionnel sirop.
Au 9e étage c’est une tout autre image. Mohamad
rejoint ses invités. Des amandes et des noisettes sont
distribuées aux convives, sans oublier le hors-d’œuvre : du
caviar et du saumon fumé. La fête est à son comble. Une
seule table est réservée aux fumeurs qui sont peu nombreux
et sont vus par les autres invités comme étant les moins
pieux. Le serveur se déplace avec sveltesse et présente une
variété de boissons halal (licites).
Ce petit hôtel est installé sur la corniche du Nil, à
Zamalek. Depuis quelques années, il est la destination
préférée des « moltazemin », des personnes très
attachées à la religion et qui veulent tenir des soirées de
mariage ou d’anniversaire tout en respectant les principes
de la charia. Ces hôtels halal sont en accord avec les
préceptes de la charia et représentent une nouvelle tendance
qui semble s’imposer dans le monde du tourisme et
d’hôtellerie en Egypte.
L’expérience a commencé aux Emirats arabes unis. Certains
hôtels ont brandi le slogan « pas d’alcool, pas de danse,
pas de musique ». Ils ont consacré des piscines aux
femmes et le personnel qui y travaille n’utilise que le
salut islamique « al-salamou alaykom ». Ces hôtels
offrent une cuisine halal. La viande est conforme aux normes
islamiques. Dans les chambres, les chaînes proposées sont
des chaînes religieuses ou sérieuses ne diffusant que des
informations. Aux Emirats arabes, les créateurs de l’idée
sont allés plus loin. Un comité surveille ce système licite.
Il doit s’assurer que ces chaînes d’hôtels respectent les
normes de la charia que ce soit aux Emirats ou à l’étranger
(Soudan, Egypte, Qatar).
Selon
une étude effectuée par la société Al-Mela lil diyafa
à Dubaï, ce genre d’hôtels représente environ 10 % de
l’ensemble d’hôtellerie au niveau du monde. Une tendance qui
ne cesse de gagner de l’ampleur. Les investisseurs du Golfe
entendent construire 150 autres hôtels islamiques dans
plusieurs pays arabes avant 2015. Le budget consacré à ces
hôtels s’élève à 2 milliards de dollars.
Aujourd’hui, ce genre d’hôtels semble trouver une large
clientèle en Egypte. D’après Ziyad Mahfouz, président du
groupe saoudien Ilaf pour l’industrie, l’hôtellerie
et le tourisme, une étude du marché égyptien est
actuellement en cours afin d’installer une chaîne d’hôtels
islamiques. Par ailleurs, des rumeurs circulent sur des
négociations menées par des hommes d’affaires des Frères
musulmans pour acheter les célèbres cabarets, boîtes de nuit
et casinos de la rue Al-Haram afin de construire à leur
place des hôtels islamiques. Certains propriétaires d’hôtels
et de cabarets ont déjà reçu des offres sérieuses. Et ce,
afin de mettre fin à la réputation de cette rue qui a vécu
son âge d’or dans les années 1970. Une tendance qui va de
pair aussi avec le succès réalisé par les deux plages
réservées aux femmes à Marina sur la Côte-Nord.
Nouveau style de vie ou transformation due à l’ascension du
courant islamiste ? Quelle que soit la raison, cette
nouvelle tendance est au centre d’un vif débat. « Nous ne
sommes pas contre l’expérience. Si quelqu’un veut inaugurer
des hôtels pareils, il aura toutes les autorisations et
toute l’assistance possible de notre part », affirme
Elhami Al-Zayat, président de la Fédération égyptienne du
voyage. Pourtant, c’est une aventure très risquée. « Je
pense qu’il sera très difficile de généraliser cette
expérience en Egypte. Car les hôtels égyptiens comptent
environ 225 000 chambres. 209 000 autres chambres sont en
cours de construction. Pour réaliser un essor dans le
secteur du tourisme, nous avons besoin que 80 % de ces
chambres soient réservées chaque année par 60 millions de
touristes. Or, le maximum que l’Egypte a pu réalisé est de
15 millions de chambres réservées. Cela veut dire que nous
avons besoin de 45 millions de touristes supplémentaires
pour développer le secteur du tourisme. Comment peut-on
atteindre ce chiffre si tous nos hôtels ne répondent qu’au
goût des moltazemin ? », s’interroge Elhami Al-Zayat,
qui évoque l’expérience turque. La Turquie n’a pu attirer
que 100 000 touristes après la fondation de ce genre
d’hôtels.
Adel
Abdel-Razeq, membre de la Fédération égyptienne des chambres
de tourisme et propriétaire d’un hôtel, partage cet avis. « Les
hôtels qui ne servent pas de vin ont beaucoup de difficultés
à survivre. L’alcool est une chose primordiale pour le
touriste, exactement comme l’eau pour nous. Plusieurs hôtels
ont essayé de respecter les normes de la charia, mais ont
fermé leurs portes rapidement », affirme-t-il. Et
d’ajouter qu’une expérience similaire avait eu lieu il y a
15 ans. « Je possédais un hôtel islamique dans la région
des pyramides avec le cheikh Chaarawi avant sa mort. La
condition du cheikh était que l’hôtel ne présente pas
d’alcool. Au début, nous avons travaillé un peu, mais on a
fini par subir d’énormes pertes. J’ai dû abandonner la
gestion de l’hôtel. Plusieurs autres hôtels au Caire ont été
obligés de fermer ou bien de céder et présenter de l’alcool »,
avance-t-il.
Cependant, pour certains experts du tourisme ce genre
d’hôtels peut réaliser un véritable boom en Egypte. Il
suffit de savoir que les touristes arabes du Golfe qui
cherchent ce genre de service dépensent en moyenne 12
milliards de dollars par an. Leur argent de poche est trois
fois supérieur à celui des touristes occidentaux. De plus,
certains estiment que la diffusion de ce genre d’hôtels dans
les pays musulmans va encourager les agences de tourisme à
commercialiser les programmes touristiques parmi les
familles pieuses et conservatrices.
« Dans ce genre d’hôtels, on se sent plus en sécurité et
à l’abri de la nudité qui peut nous choquer parfois lorsque
nous allons à la piscine. Ces hôtels nous fournissent une
ambiance plus sereine et d’intimité avec des gens qui
partagent avec nous les mêmes principes », assure Soha,
médecin de 45 ans et mère de deux garçons.
Mais tout le monde ne partage pas cet avis. Et pour
certains, ces hôtels risquent d’alimenter le fanatisme. « Ces
hôtels vont-ils choisir leurs clients selon leurs
confessions ? », s’interroge Fathi, journaliste. Il cite
l’exemple d’un petit hôtel situé à Guiza qui prétendait que
toutes les chambres étaient réservées lorsqu’il recevait un
client où était mentionné sur sa carte d’identité « sans
religion » ou bien quand il recevait des groupes de
touristes en provenance de certains pays d’Extrême-Orient ou
du Danemark, surtout après l’affaire des caricatures du
prophète jugées blasphématoires. Cet hôtel refusait aussi de
recevoir les juifs même s’ils provenaient des pays arabes.
Pire encore. Selon Fathi, ces lieux d’hébergement risquent
de devenir des nids pour le terrorisme, surtout si leur
activité aussi bien que leur budget ne sont pas surveillés
par le ministère du Tourisme. Tout ceci ne semble pas
inquiéter les familles conservatrices qui préfèrent garder
leurs principes. « Chacun vit à sa manière »,
explique Dina, traductrice de 30 ans. « N’y a-t-il pas de
lieux qui interdisent l’entrée des femmes voilées comme les
boîtes de nuit par exemple ? C’est le cas d’un restaurant
appartenant à un homme d’affaires copte situé au bord du Nil
à Zamalek. Aujourd’hui, il existe un club fréquenté
uniquement par les coptes situé sur l’autoroute Le Caire-Ismaïliya.
Il ne s’agit pas de semer la sédition, mais d’être plus à
l’aise », avance-t-elle. Les hôtels islamiques ont-ils
un bel avenir devant eux ?
L’expérience seule pourra le dire.
Dina Darwich