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 Semaine du 15 au 21 août 2012, numéro 935

 

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Opinion

Comprendre le mal du Sinaï
Hicham Mourad 

Une fois de plus, le Sinaï se trouve sous les feux des projecteurs. L’« opération aigle », la plus vaste jamais entreprise conjointement par l’armée et la police, bat son plein. Objectif : « nettoyer » la péninsule des terroristes qui y sèment la terreur et défient l’autorité de l’Etat. Leur dernier défi lancé aux autorités : l’attaque meurtrière qui a coûté la vie à 16 gardes-frontières, le 5 août, au sud de la ville de Rafah, près de la frontière avec Israël. La gravité de l’attentat, le plus important jamais perpétré contre les forces de sécurité égyptiennes, a créé des ondes de choc à travers le pays.

Le chef du service de renseignements, Mourad Mouafi, et le gouverneur du Nord-Sinaï, où l’attaque a eu lieu, ont été limogés par le président Mohamad Morsi. Mouafi semble avoir été sacrifié comme un bouc émissaire, après avoir eu l’indélicatesse de déclarer, à l’agence de presse officielle, qu’il avait fait le nécessaire en alertant les autorités compétentes des risques d’un attentat terroriste au Sinaï. Pour se disculper d’une possible responsabilité, il a souligné que le rôle de son service se limite à réunir les informations nécessaires et à les transmettre aux autorités concernées, niant avoir une quelconque mission exécutive sur le terrain.

La présidence a, de son côté, jeté dans des termes à peine voilés la responsabilité de cette carence sécuritaire sur l’armée qui, selon elle, devait s’occuper davantage de la sécurité du pays au lieu de s’immiscer dans la politique intérieure du pays.

Au-delà de cette querelle intestine qui reflète les traits de la politique interne post-révolution, où Frères musulmans et armée se disputent le pouvoir, les théories vont bon train sur les auteurs de l’attentat. Alors que la confrérie et le Mouvement de la résistance islamique en Palestine (Hamas), qui contrôle la bande de Gaza, y voient la main d’Israël et de son service de renseignements (le Mossad), dans le but de torpiller le récent rapprochement entre Le Caire et le Hamas, l’armée, les services de sécurité et les spécialistes soulignent la responsabilité de salafistes-djihadistes locaux, en connexion avec des groupuscules islamistes radicaux dans la bande de Gaza. L’Egypte a ainsi identifié l’un des auteurs de l’attentat comme appartenant à l’organisation terroriste palestinienne l’Armée de l’islam, basée à Gaza. Certains observateurs citent d’autres groupuscules, dont celui d’« Al-Qaëda dans la péninsule du Sinaï » qui avait fait parler de lui en août dernier en annonçant avoir lancé une campagne pour établir un émirat islamique dans la presqu’île.

Cette campagne faisait suite à une démonstration de force et une offensive meurtrière contre le poste de police d’Al-Arich, chef-lieu du Nord-Sinaï, le 29 juillet, qui avait fait plusieurs morts et blessés. Ces spécialistes avancent, pour étayer leur thèse, l’appel lancé aux militants islamistes par l’Egyptien Ayman Al-Zawahri, qui avait pris la tête de l’organisation terroriste d’Al-Qaëda après le meurtre d’Oussama Ben Laden, de transférer la guerre sainte dans les pays du Moyen-Orient au lieu de l’Afghanistan.

Le Sinaï serait à ce propos une terre idéale : d’une superficie importante de 56 000 km2 (plus de cinq fois la taille du Liban) mais largement désertique, la péninsule est peu peuplée, sa population largement bédouine est de seulement 600 000 habitants. D’une géographie escarpée dans certains de ses endroits, le Sinaï représente un sanctuaire idéal pour les militants islamistes où ils peuvent s’y entraîner, s’y cacher et, surtout, s’y procurer des armes à travers la contrebande florissante avec la bande de Gaza. Une nouvelle source de trafic d’armes s’est offerte aux djihadistes après l’effondrement du régime libyen de Mouammar Kadhafi, tué en octobre dernier. Profitant du vide sécuritaire autant en Libye qu’en Egypte, après la chute du régime de Moubarak, les trafiquants d’armes n’ont aucun mal à transporter les armes les plus sophistiquées aux militants islamistes du Sinaï. Ce dernier dispose également de cibles faciles à attaquer : l’industrie florissante du tourisme dans sa partie sud, à Charm Al-Cheikh, Nouweiba, Dahab et Taba, où beaucoup de touristes sont des Israéliens. Au milieu des années 2000, ces stations balnéaires ont été victimes de plusieurs attaques terroristes meurtrières, faisant des centaines de morts. Le but était alors de mettre dans l’embarras le régime du Caire et le priver d’une partie des revenus du tourisme, l’une des quatre sources majeures de devises étrangères du pays, avec l’exportation pétrolière, les virements des expatriés égyptiens et les revenus du Canal de Suez. Le Sinaï présente aussi un avantage de taille : sa proximité avec Israël, l’ennemi étranger numéro un des djihadistes.

Ce qui précède n’explique que partiellement le fait que le Sinaï est devenu une terre de prédilection pour les salafistes-djihadistes. D’autres facteurs étaient en marche depuis que l’Egypte a récupéré la péninsule après le retrait de l’armée israélienne en avril 1982. Les autorités égyptiennes ont toujours eu un regard « sécuritaire » sur cette portion de terre, considérée principalement comme la frontière est du pays, face à un Etat hébreu vu comme un ennemi potentiel, malgré la conclusion du traité de paix en mars 1979. La terre, comme rempart militaire, était précieuse, mais pas sa population, négligée. La « négligence » est donc le mot-clé pour expliquer la situation actuelle, où le Sinaï est devenu un fief de groupes djihadistes, qui appellent à la guerre sainte pour établir un Etat islamique.

Les gouvernements égyptiens successifs, quand ils se sont intéressés au Sinaï, l’ont fait dans le secteur particulier du tourisme, poussés en cela par les appétits de gains d’hommes d’affaires, qui ont rapidement saisi l’importance de ses atouts naturels. C’est ainsi que des stations balnéaires et villages touristiques ont pullulé dans les endroits prisés de la péninsule. Mais cette florissante industrie touristique n’a que très peu profité aux autochtones, la plupart des travailleurs de ces havres de beauté viennent de l’Egypte « continentale », où l’on trouve facilement la main-d’œuvre qualifiée.

L’éloignement géographique a joué un rôle capital dans cet isolement des habitants du Sinaï, mais le sentiment d’être des laissés-pour-compte ou les parents pauvres du régime a été le terreau du fanatisme religieux. La proximité de la bande de Gaza, avec toutes les souffrances que sa population endure en raison du blocus israélien, a de son côté laissé ses traces sur le Sinaï, où fleurissent les activités de contrebande en tous genres, dont celle des armes, facilitant ainsi l’action des djihadistes qui veulent instaurer par la force un émirat islamique au Sinaï.

La prise de contrôle par le Mouvement de la résistance islamique (Hamas) de la bande de Gaza en juin 2007, après en avoir chassé les troupes de son rival, le Fatah, a renforcé les mouvements radicaux se réclamant de l’islam dans cette enclave palestinienne. Ceux-ci n’ont pas manqué d’établir des contacts et prêter main forte à leurs homologues égyptiens du Sinaï. Ceci explique la série d’attentats qui ont secoué les stations balnéaires du Sud-Sinaï au milieu des années 2000. Après les dures frappes assénées par les forces de sécurité, les djihadistes, affaiblis, ont marqué une éclipse, pour réapparaître à nouveau, renforcés, après le soulèvement populaire du 25 janvier 2011, profitant du vide sécuritaire et de l’essor du trafic d’armes.

Toute solution au problème du Sinaï ne peut se faire qu’à travers un changement du regard officiel sur cette partie du pays. Si le moyen utilisé aujourd’hui est sécuritaire, celui à long terme ne peut être que multiforme s’attaquant aux racines du mal. Il s’agit avant tout de transformer la péninsule en un pôle de développement, de mettre un terme à l’isolement de sa population en l’intégrant par le truchement du système éducatif et le lancement de stages de formation professionnelle. Les indigènes doivent aussi sentir les bénéfices que rapporte leur terre, en ayant notamment la priorité dans les emplois qu’offre l’industrie de tourisme au Sinaï.

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