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 Semaine du 4 au 10 juillet 2012, numéro 929

 

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Sania Sharawi Lanfranchi, petite-fille de Hoda Sharawi (née Sultan), vient d’être publiée chez T.B. Tauris pour son Casting off the Veil (rejeter le voile). Elle y dépeint une société, une histoire de famille mais surtout celle de sa grand-mère, la grande féministe, dans une Egypte en pleine effervescence.

Une femme, un mythe

Sania ou autrement dit Saneyya Chaaraoui ressemble à son prénom. Saneyya voulant dire brillante, éclatante, éminente. Autant d’attributs qui correspondent intrinsèquement à son allure, son maintien et son débit posé, quelque peu saccadé. Elle cherche toujours le mot juste, la formule exacte comme si elle ne voulait jamais se tromper. Non pas pour donner d’elle une image super-positive mais pour exposer ses idées de la façon la plus précise : elle est interprète de profession.

Pantalon noir et veste prune, collier de perles et cheveux argentés coupés au carré, Sania a une élégance sobre, discrète, absolue. Elle nous reçoit chez elle, dans le premier salon où, assise sur un canapé rouge lie-de-vin et entourée de tableaux anciens ainsi que de plaques en plâtre sur lesquelles sont inscrites dans une superbe calligraphie arabe de courtes maximes, elle va nous introduire dans sa famille et nous révéler le mythe de sa grand-mère Hoda Chaaraoui. Sur la table, est posée une collection de petits plats en céramique. Les tapis sont superbes. Deux énormes coffres limitent l’espace entre les deux salons. A droite, un piano et comme source de lumière, quatre abat-jours renforcent l’ambiance tamisée du lieu. Quelques meubles proviennent de la maison de famille, sise 2 rue Qasr Al-Nil, sauvés de justesse avant la démolition, par sa sœur Malak. C’est cette même sœur qui va inciter Sania à rédiger la biographie de Hoda Chaaraoui en l’exhortant avec insistante à garder comme une relique d’un passé glorieux le souvenir de celle qui a osé ôter le voile d’un geste symbolique au début du XXe siècle (en 1923), quand jusque-là encore dominaient les règles sociales ottomanes hostiles à toute innovation. Il s’agissait également de conserver non seulement la mémoire d’une femme qui leur était chère, mais aussi la mémoire d’une féministe avant l’heure. J’ai écrit ce livre par devoir, avoue Sania.

D’une fratrie qui compte un garçon, Sania est la septième. Elle a 3 ans quand sa grand-mère meurt, mais elle se souvient encore de la chaleur qui émanait de ses câlins, de la tendresse de ses regards, de la gentillesse de ses propos. Elle se rappelle que, toute petite, elle voulait, comme ses sœurs et frère, hisser le drapeau égyptien sur la terrasse face aux casernes des Anglais situées au niveau de l’édifice de la Ligue Arabe — place Ismaïliya, aujourd’hui place Tahrir —, pour provoquer les soldats britanniques. Dans cette maison, on leur avait inculqué un nationalisme effréné contre l’impérialisme britannique ; il suffit de relire les discours virulents contre la colonisation anglaise prononcés par Hoda Chaaraoui et adressés à une audience européenne, quand elle avait été nommée vice-présidente de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes et dont elle avait créée une filière : l’Union féministe égyptienne en 1923. 

Saneyya Chaaraoui fait des études de lettres anglaises. Ensuite, elle poursuit un cursus de littérature arabe. Sa thèse aura pour sujet le « nassib » dans la poésie d'Ahmad Chawqi, le « nassib » étant une introduction qui permet de créer une ambiance avant de passer au vif du sujet. Au terme de ses études, elle sera traductrice puis interprète. Ses enfants, de père italien, sont placés à l’école italienne du Caire où l’on n’apprend pas la langue arabe, et c’est à quarante ans qu’ils obtiendront la nationalité égyptienne. Mais Sania aura recours à un professeur d’Al-Azhar pour leur apprendre la grammaire et la rhétorique. Les versets du Coran ne seront pas appris par cœur, mais étudiés dans les différentes interprétations, aux niveaux philologique et jurisprudentiel. Elle demande, également, au précepteur d’aborder la poésie ancienne à travers les textes critiques modernes. Une manière de lire le passé à travers une analyse moderne et diversifiée.

Sania se dédie à ses études, sa famille et son travail. Mais sa sœur Malak n’a de cesse de lui rappeler l’importance d’écrire « l’histoire » de leur grand-mère Hoda Chaaraoui, histoire qui fait partie intrinsèque de l’histoire de l’Egypte. Sania désormais va partir « en mission ». Elle commence par questionner les membres de la famille (je n’avais pas d’enregistreur à cette époque, dit-elle en soupirant), les « cadettes » comme on les appelait à la maison, c’est-à-dire de jeunes cousines et autres activistes qui vivaient autour de Hoda Chaaraoui, lesquelles prendront la relève comme Hawwa Idriss, ou Céza Nabaraoui responsable du journal L’Egyptienne, elle questionne les serviteurs, les intellectuels qui fréquentaient le Salon du mardi comme Negm Eddin Hefni Nassif et Ahmad Loutfi Al-Sayed. Sania se ruine auprès de Charles Bahari et Nagwa Kamy, propriétaires consécutifs de la librairie L’Orientaliste : elle veut se documenter le plus profondément possible pour arriver aux sources exactes. A propos de sources, il est dit dans la famille que Hoda Chaaraoui, du côté de sa mère circassienne, est la descendante de Charaluka Gwatich qui n’est autre que le Hadji Murad de Tolstoï !

Souhaitant suivre les traces de Hoda Chaaraoui pour donner vie à ce livre dont elle est responsable vis-à-vis de la famille, du lecteur, des compatriotes, disons du monde entier, à chaque fois qu’elle doit voyager pour son travail d’interprète, Sania s’efforce de retrouver la trace des rencontres de sa grand-mère avec des personnalités qui ont marqué l’histoire. Ainsi, elle prend le train entre deux avions pour visiter Gif-sur-Yvette où vivait Juliette Adam, une amie de Hoda, partisane de la cause égyptienne et dont Moustapha Kamel fut le protégé. Elle se retrouve également — au moment d’une conférence des Nations-Unis —à Montpellier, au château de la grande duchesse douairière d’Uzès qui fut, elle aussi, une grande amie de la grand-mère. Ce jour-là, il y avait une dégustation dans la cave où Sania fut invitée. Elle y vit un énorme tableau représentant une femme assez forte et un enfant. La duchesse était cette petite fille, posant la tête sur les genoux de sa grand-mère : la Veuve Clicquot !

« Ce livre, je l’ai écrit il y a très longtemps, j’ai passé une vie à l’écrire. J’écrivais, j’arrêtais, j’oubliais, je reprenais. Je relisais L’Egyptienne qui a été ma principale source d’informations. Pour la première version, j’ai retrouvé des passages écrits à deux ou trois reprises. Une fois terminé, j’ai mis le livre de côté et ne voulais plus le publier. Il a fallu attendre 2007, alors que j’étais en Italie avec mes enfants et que nous regardions tous les jours les bombardements de Gaza en pleurant. J’ai été déterminée, il fallait que ce livre voie le jour pour dire combien ma grand-mère s’était battue contre l’occupation de la Palestine, comment elle avait organisé deux conférences en 1938 et 1944 à ce sujet. Alors qu’aujourd’hui, il y a encore des Occidentaux pour me demander : qui sont ces Palestiniens ?! ».

Sania Sharawi ne pense pas ressembler à sa grand-mère en ce qui concerne les traits de caractère, mais elle est, comme elle, féministe dans le sang, dit-elle. Plutôt dans le style des suffragettes que le style de celles qui tiennent un agenda pour la liberté sexuelle. Sinon, comment la rattacher à la grande Hoda ? « En cherchant le mythe de ma grand-mère et tout en m’y enfonçant, je l’ai démystifiée par rapport à moi-même. Il y avait un décalage entre les membres de la famille et moi-même au sujet de Hoda Chaaraoui. Eux l’avaient connue, vécu auprès d’elle, mais ils avaient néanmoins gardé la distance qui permet de créer un mythe tandis que, moi, bien que je n’aie pas eu le temps de la fréquenter, j’avais été très près, trop près, en fouinant dans les archives ». Sania s’est toujours sentie trop indiscrète à vouloir tout savoir. « Tous ces gens étaient morts et j’ai essayé de ne pas les brutaliser, de ne pas remuer leurs cendres dans leurs tombes. J’ai voulu les respecter ».

Une fois chez l’éditeur, le livre comportait plus de 500 pages. On lui demande de « raccourcir ». Pour elle, c’est trop contraignant. Elle laisse cette besogne à d’autres et va se consacrer à un nouveau projet. Il s’agit d’une encyclopédie italienne online consacrée aux femmes (www.enciclopediadelledonne.it). Elle y rédige des portraits : celui de Doria Chafiq, la grande féministe de la génération post-Chaaraoui, de Samira Ibrahim à qui les militaires égyptiens font subir un test de virginité pendant la révolution, de Nadia Younes qui venait d’être nommée assistante régionale du secrétaire général de l’Onu quand elle est morte dans un attentat à la bombe en Iraq, et celui qu’elle prépare de Carla Buri, directrice du Centre culturel italien au Caire, qui a énormément travaillé aux échanges artistiques entre les deux pays.

Menha el Batraoui

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Jalons

28-07-1944 : Naissance.
1952 : La Révolution égyptienne du 23 Juillet.
1964 : Destruction totale de notre maison.
1964 : Mariage.
1972 : Maîtrise de lettres anglaises.
1974-1975 : Bureau de presse AUC.
1985 : Maîtrise de lettres arabes.

 




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