La deuxième République face au défi de la
citoyenneté
Emad
Awwad
Politologue
A
l’aube de sa
deuxième République, l’Egypte se trouve confrontée à de
multiples défis. Tant au niveau interne qu’externe. Celui
ayant trait à la citoyenneté est aujourd’hui d’une
importance majeure. Bien que cette notion ait fait son
apparition dans la Constitution pour la première fois en
2007 afin de remplacer celle de « coalition des forces
ouvrières », elle restait, depuis, lettre morte.
Au moment où l’Egypte se trouve face à sa deuxième
République, cette fois-ci civile et non pas militaire, le
défi de la citoyenneté est toujours omniprésent. Si cette
notion se présente comme la porte de sortie d’une situation
interne chaotique, elle a cependant ses exigences. La
lecture des données actuelles nous incite à formuler un
nombre d’observations préliminaires.
Bien que les propos tenus par le président élu lors de sa
première allocution précisant qu’il sera « le président
de tous les Egyptiens » soient rassurants, force est de
constater qu’une telle déclaration intervient dans un climat
marqué par des craintes parmi une bonne partie des citoyens.
Car après tout, M. Morsi n’était
pas un candidat indépendant. Il est issu des Frères
musulmans. Le fait qu’il a quitté la direction du parti
après sa victoire électorale ne signifie pas pour autant,
aux yeux d’une grande partie de la population, qu’il ait
renoncé à ses orientations et ses convictions personnelles.
Ce constat suffit à lui seul à mettre sur le qui-vive
plusieurs tranches de la société : chrétiens, intellectuels,
artistes, modérés, etc. Désormais celles-ci se posent la
question suivante : allons-nous être des citoyens à part
entière ou allons-nous subir des discriminations non
officielles mais de facto ? Le second tour du scrutin s’est
déroulé sur fond de divisions entre deux camps : les
courants islamistes tous confondus d’un côté et un front
hétérogène réuni autour d’un candidat indépendant de
l’autre. M. Chafiq se présentait
alors en tant que garant de la liberté, de la sécurité et de
la non-exclusion. Aux yeux de ses défenseurs, il
représentait le meilleur rempart à l’établissement d’un Etat
islamique dans le pays. Dans un contexte de polarisation
politique, il faut réaliser que traduire la citoyenneté dans
la réalité ne peut se réaliser uniquement à travers des
mesures superficielles. La citoyenneté doit s’appuyer sur
des actes concrets et pertinents. A cet effet, le président
élu a exprimé son intention de nommer deux vice-présidents :
une femme et un chrétien, ce qui semble être un pas dans le
bon sens.
Toutefois, il faudra attendre de connaître les capacités,
les qualifications ainsi que les pouvoirs des personnes
désignées pour en juger. Rassurer les femmes sur l’égalité
de leurs droits avec les hommes nécessite la nomination
d’une figure modérée et adepte du mouvement féministe à ce
poste. De même pour les chrétiens. Ils seraient davantage
rassurés sur leurs droits en voyant la nomination d’un
vice-président ayant derrière lui une carrière dans la
défense de leurs intérêts. Si ces nominations se font avec
pertinence, on pourra effectivement avancer sur la voie de
l’unité nationale désignée par le président élu comme « le
seul moyen de sortir de ces temps difficiles ».
Par ailleurs, le combat de la Constitution demeure
déterminant dans ce domaine. En effet, la rédaction et
l’adoption de ce document-clé marqueront le début réel de la
deuxième République. Non seulement il devrait s’appuyer sur
la citoyenneté comme base du régime, mais il devrait
également l’entourer de garanties contre des abus
éventuels : que ce soit de la part d’une majorité
parlementaire (si l’on adopte un régime parlementaire) ou
par l’appartenance idéologique des chefs d’Etat (au cas où
l’on préserverait le régime présidentiel). Si la compétition
entre les forces politiques forme l’essence de la
démocratie, elle devra être uniquement basée sur des
programmes, et non pas aux dépens de notions fondamentales
telles que la citoyenneté. En outre, une part des
responsabilités revient à la population, toutes tendances
confondues, dans la mise sur pied d’une citoyenneté solide.
Depuis la révolution des signes marquant une régression dans
le domaine de la citoyenneté ont été enregistrés, tels que
la multiplication des réclamations d’ordre sectoriel, le
manque du respect des lois ainsi que la tendance à imposer
une sorte de tutelle sur la population au nom d’une
démocratie naissante.
Si la citoyenneté signifie l’égalité et la
non-discrimination, elle implique pour autant une dimension
invisible ou un lien moral qui mettrait l’intérêt de la
patrie au-dessus de tous les autres. Le fait que les
élections soient remportées par tel ou tel parti ne signifie
guère que tout le monde doit suivre un mode de vie
préfabriqué, comme ce fut le cas à l’époque du communisme
dans certains pays. De même, les élections ne signifient pas
s’approprier le pays. La citoyenneté implique l’égalité dans
la diversité. Il importe aussi que tout citoyen respecte les
droits des autres.
Enfin, la mise sur pied d’une véritable citoyenneté
nécessite la présence d’une nouvelle formule gérant les
relations entre les citoyens et les forces d’ordre. Il ne
sera jamais question de citoyenneté si ces relations restent
basées sur la peur, la haine ou le mépris. Pour ce faire, un
effort sincère doit être fait pour former les forces de
sécurité au respect des droits de l’homme. Parallèlement,
les citoyens doivent apprendre à respecter les forces de
l’ordre et à coopérer avec elles pour s’acquitter
convenablement de ses devoirs.
Mais les forces civiles doivent d’abord surmonter plusieurs
obstacles. Elles souffrent surtout d’une très grande
division entre une multitude de partis, de mouvements et de
coalitions. Ensuite, leur discours passe mal parmi une
population conservatrice et très sensible au discours
religieux. Leur présence parmi l’électorat est également
faible par rapport aux forces islamistes qui font souvent
usage des mosquées et qui détiennent un large réseau
d’œuvres caritatives et de chaînes satellites qui diffusent
leurs pensées à longueur de journée .