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 Semaine du 6 au 12 juin 2012, numéro 925

 

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Société

Enfants des rues . L’ONG Watan les accueillent pour les faire sortir définitivement d’une spirale destructrice. Un fort encadrement et une disponibilité de tous les instants parviennent à leur redonner l’envie d’apprendre. Reportage.

 

 Un nouveau chemin vers la vie

 

 Au lieu de mendier, de prendre de la drogue, de faire de petits boulots ... et de dormir dans la rue, venez avec moi. Celui qui accepte aura de quoi manger, pourra dormir dans un endroit sûr et reprendre sa scolarité. Chacun de vous trouvera quelqu’un pour l’écouter. Suivez-moi, vous ne le regretterez pas ». C’est ainsi que Safaa, une psychologue, tente de convaincre les enfants des rues de l’accompagner au centre d’accueil Watan. Son slogan : « Un sentier vers le respect et la dignité ».

 

De nuit comme de jour, la petite équipe de Watan (patrie), composée de la fondatrice, d’une psychologue, d’une assistante sociale, d’un médecin et d’un chauffeur, sillonne les rues du Caire. Il vont place Tahrir, à Abbassiya, rue Mohamad Mahmoud, à Maglès Al-Wozara ou à Maspero : les endroits chauds de la capitale, pour repérer les enfants en situation difficile.

 

Géré par l’ONG Watan, le centre accueille des enfants des deux sexes dont l’âge varie entre 7 et 15 ans. Il est parrainé par le ministère des Waqfs.

 

Située au 2e étage de la mosquée Abou-Rabiya au Vieux-Caire, un quartier populaire du Caire, Watan est une organisation non gouvernementale. Elle a ouvert ses portes après la révolution.

 

Depuis, Amani Haula, la fondatrice, tente de faire changer le destin de ces enfants livrés à eux-mêmes. « J’ai toujours dit que les enfants des rues étaient des bombes à retardement et qu’il fallait leur tendre la main », dit Amani. Son objectif est avant tout d’aider les enfants à s’intégrer, à se rapprocher de leurs familles, à vivre en groupe, à s’intéresser de nouveau à l’école : à tout faire pour qu’ils ne soient pas davantage marginalisés. « Mais c’est difficile pour des jeunes qui ont toujours vécu dans la rue, où règne la loi du plus fort, de réapprendre à vivre en communauté », poursuit Amani.

 

Ces enfants sont partout dans la capitale. On en compte environ 50 000 dans les rues du Caire dont 80 % de garçons. Ils errent dans la ville, mais restent souvent attachés à une zone géographique et à un groupe constitué. Une certaine solidarité peut s’établir entre eux, mais la rue reste un danger pour ces enfants délaissés. Les plus grands attaquent les plus jeunes, volent leur argent et les incitent à se droguer, à snifer de la colle … Plus la spirale avance, plus il est difficile de réintégrer ces enfants.

 

Nous sommes dans le centre d’accueil de jour. Il comprend deux salles, l’une pour l’enseignement avec un tableau noir, une table ronde et de petites chaises comme dans toutes les salles de classe. L’autre salle sert d’atelier d’initiation à la décoration. On apprend aussi aux enfants à emperler des ouvrages.

 

Cette école de jour est sous la surveillance du ministère de l’Education. Les cours commencent à 8h du matin avec Mlle Aya. Huit enfants, trois filles et cinq garçons, sont présents. Attentifs, ils regardent le tableau et tentent d’écrire leur nom sur un cahier.

 

« Ces enfants suivent un programme d’enseignement spécialement élaboré et bénéficient de méthodes d’apprentissage adaptées à leur niveau », précise Mlle Aya. « Ces petites classes constituent la meilleure méthode pour des enfants qui ont quitté l’école très tôt, surtout pour ceux qui ont passé beaucoup de temps dans la rue. Ces enfants sont plus agités et moins disciplinés que les autres, et ils ont besoin de plus d’attention de la part des enseignants », explique-t-elle. Dans cette classe, une enseignante et une sociologue sont toujours présentes et suivent les enfants au plus près. Mais les défis sont nombreux.

 

Réseaux de trafic d’organes

Ahmad, 14 ans, était le 1er enfant accueilli à l’ONG en avril 2011. Aujourd’hui, il réside à Watan et suit la classe. Mais quand il est arrivé dans ce centre, ses camarades de la rue ont cherché à le dissuader, lui disant qu’on allait lui prendre ses organes. En effet, lors des derniers mois, plusieurs réseaux de trafic d’organes ont été découverts par la police et les victimes étaient souvent des enfants de rue. Un fléau qui incite les enfants à se méfier des adultes qui « veulent les aider ».

 

« Aujourd’hui, Mlle Aya me donne des cours d’écriture et quand il y a quelque chose que je ne comprends pas, elle est prête à me la répéter dix fois », dit Ahmad. Une disponibilité à tous égards et un encadrement proche sont les clés du succès pour faire sortir les enfants de leur situation.

 

Avant de venir au centre, Ahmad nettoyait les pare-brise des voitures contre un peu d’argent et il passait ses nuits sous le pont du 6 Octobre. La journée, il errait souvent dans les rues et se joignait aux manifestations de Tahrir comme beaucoup d’autres enfants des rues. La nuit, de peur d’être agressé, il ne dormait souvent que quelques heures après le lever du soleil.

 

Ahmad est orphelin de père et sa maman s’est remariée. « Pour avoir la paix, ma mère m’a envoyé vivre chez ma grand-mère. Quelques mois plus tard, ma grand‑mère est morte. Il fallait que je retourne chez ma mère, alors que je détestais son mari. Il me giflait, me cognait la tête contre le mur et me frappait violemment. Et pour faire plaisir à son mari, ma mère me traitait de tous les noms. Ma vie était devenue un cauchemar », raconte le petit Ahmad, les larmes aux yeux. Puis un jour, son beau-père lui a lancé : « Je ne veux plus te voir dans cette maison ! ». Ahmad a ramassé ses affaires et a rejoint la rue. Il est resté six mois à errer dans la capitale. « Ahmad est l’enfant le plus calme du groupe, car il n’est pas resté longtemps dans la rue », analyse Safaa, la psychologue.

 

Cas complexe

Par contre, le cas de Mohamad est plus complexe. Il a vécu plus de trois ans dans la rue et désobéit le plus souvent aux consignes des éducateurs. Cela fait un mois qu’il est au centre mais rate les cours à maintes reprises sans donner d’excuses. Il n’a jamais été habitué à un rythme de vie discipliné. Pour lui, la rue est synonyme de liberté. « Je veux aller pisser, je veux aller boire un peu d’eau », lance-t-il souvent à son institutrice en marmonnant entre ses dents comme s’il avait pris de la drogue. Pourtant, il ne prend plus rien.

 

Il lui arrive souvent de fuguer, de passer quelques jours dans la rue et de revenir de son propre gré sans que personne ne comprenne pourquoi il est parti, ni pourquoi il est revenu.

Mohamad est un cas difficile. Il fait tout pour attirer l’attention sur lui. En passant dans les couloirs, il tente de provoquer Oum Youssef, la nounou du centre. En classe, il observe l’horloge suspendue au mur et lance : « Il est temps de manger ! J’ai faim ! Quand est-ce qu’on va terminer cette leçon ? ».

 

Plus tard, il n’hésitera pas à perturber la classe pour déranger les autres. « J’ai besoin d’un jean ! Le mien est déchiré ». « Quand tu seras plus sage et plus studieux, je t’offrirai un nouveau jean », lui répond Amani pour le calmer.

 

 « C’est dur d’éduquer un enfant de la rue. Le plus dur est de gagner sa confiance », souligne Safaa. « Ces enfants ont souvent peur des adultes car les rapports qu’ils ont eus avec eux ont été souvent imprégnés d’abus et de violence. Au départ, ils étaient très réticents à l’idée de venir au centre et même de parler avec nous. Ils s’attendaient au pire », poursuit la psychologue.

 

Elle nous raconte que Mohamad passe son temps à dire des mensonges. Une fois, il nous confie qu’il s’est enfui durant la nuit parce que sa maman avait brûlé ses mains, une autre fois, il affirme qu’il est orphelin de père et mère. En quittant la salle, d’autres enfants nous racontent une autre histoire sur lui : son père le frappait parce qu’il n’aimait pas aller à l’école. Difficile de savoir où se situe la vérité, car chez ces enfants, mentir est devenu un réflexe.

 

Repas, sport et travail

Il est 15h, c’est l’heure du déjeuner. Hind, Sabah et Zannouba, ce sont des ex-filles des rues. Elles préparent le déjeuner : des plats composés de légumes, de viande ou de poulet et parfois des pâtes accompagnées d’un jus de fruits. Elles dressent la table, aidées par Oum Youssef.

 

Une fois le repas terminé, tout le groupe s’apprête à aller faire du sport dans un centre de jeunesse tout proche. Les garçons se préparent pour jouer au ping-pong et les filles pour le volley-ball.

 

Le soir est réservé à des activités artistiques qui donnent l’occasion aux enfants d’extérioriser leurs pensées et leurs peurs. Les enfants participent avec enthousiasme à ces activités leur permettant de s’exprimer, de raconter leur vie et de partager leur vécu avec toute l’équipe.

 

Ils apprennent aussi à travailler. Filles et garçons fabriquent des bracelets, des colliers, des bagues, des porte-clés, et apprennent aussi à emperler des nappes et des djellabas. Sur la table, une quantité impressionnante de perles de toutes les formes et de toutes les couleurs.

 

Hind, la plus petite du groupe, a sept ans. Ces activités artistiques sont ses moments préférés. « Chacun fait ce qui lui plaît et suivant son goût », lance Hind, pleine de joie.

Pour les encourager, Amani leur promet une petite somme d’argent. « J’ai l’intention de les faire participer à des concours et des expositions », poursuit-elle. Les bénéfices de ces activités serviront à contribuer à financer ce projet, car, pour le moment, seule cette femme assume son financement.

 

« Celui qui sera consciencieux et qui travaillera correctement recevra 30 L.E. par semaine », lance-t-elle aux enfants. Une façon de stimuler ces jeunes qui avaient souvent l’habitude de mendier .

Manar Attiya

 

La famille au cœur du problème

 

 

Accueillir des enfants de la rue dans un appartement privé est problématique pour l’équipe de l’association Watan. Cette ONG n’a pas encore obtenu l’autorisation du ministère de la Solidarité sociale. « Nous avons adressé une demande en précisant le lieu, la description du projet, ses objectifs ainsi que le nombre d’enfants, leur sexe et leur âge. Mais les procédures sont longues », regrette Amani Haula, la fondatrice de l’association,.

Pour accueillir les garçons, Amani a dû acheter un appartement de trois pièces, tout près du centre d’accueil de jour. Elle souhaite, en effet, séparer les garçons des filles. Chaque garçon a son propre lit et bénéficie de différents services : repas, hygiène, suivi psychologique, habillement ...

C’est Am Fawzi qui s’occupe de la sécurité du centre de nuit où sont hébergés les garçons. « Pour les filles, elles vont passer la nuit chez leurs parents », explique Amani. Mais, il arrive que les familles ne veulent plus d’elles. « Nous avons essayé de retrouver leurs familles, mais certaines filles ne voulaient plus revoir leurs parents, car le lien a été rompu ».

La principale cause de cette rupture vient du fait que les familles sont extrêmement pauvres. Un état de désespoir qui pousse les parents à abandonner leurs enfants en bas âge ou à les obliger à travailler dans les rues.

Parfois, les enfants finissent par aimer la rue. « Nous faisons notre possible pour que ces enfants renouent avec le noyau familial, en discutant de leurs problèmes et en essayant de trouver des solutions », explique la psychologue de l’équipe.

Ces familles, qui vivent dans le dénuement le plus total, sont incapables de nourrir et d’éduquer leurs enfants. Un constat qui fait prendre conscience que le problème doit aussi se régler en amont, au sein même des familles qui vivent dans une pauvreté extrême .

M. A.

 

 




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