Enfants des rues .
L’ONG Watan les
accueillent pour les faire sortir
définitivement d’une spirale destructrice. Un fort
encadrement et une disponibilité de tous les instants
parviennent à leur redonner l’envie d’apprendre. Reportage.
Un
nouveau chemin vers la vie
Au
lieu de mendier, de prendre de la drogue, de faire de petits
boulots ... et de dormir dans la rue, venez avec moi. Celui
qui accepte aura de quoi manger, pourra dormir dans un
endroit sûr et reprendre sa scolarité. Chacun de vous
trouvera quelqu’un pour l’écouter. Suivez-moi, vous ne le
regretterez pas ». C’est ainsi que Safaa, une psychologue,
tente de convaincre les enfants des rues de l’accompagner au
centre d’accueil Watan. Son
slogan : « Un sentier vers le respect et la dignité ».
De nuit comme de jour, la petite équipe de
Watan (patrie), composée
de la fondatrice, d’une psychologue, d’une assistante
sociale, d’un médecin et d’un chauffeur, sillonne les rues
du Caire. Il vont place
Tahrir, à
Abbassiya, rue Mohamad Mahmoud, à
Maglès Al-Wozara
ou à Maspero : les endroits chauds de la capitale, pour
repérer les enfants en situation difficile.
Géré par l’ONG Watan, le
centre accueille des enfants des deux sexes dont l’âge varie
entre 7 et 15 ans. Il est parrainé par le ministère des
Waqfs.
Située au 2e étage de la mosquée Abou-Rabiya
au Vieux-Caire, un quartier populaire du Caire,
Watan est une
organisation non gouvernementale. Elle a ouvert ses portes
après la révolution.
Depuis, Amani
Haula, la fondatrice, tente de
faire changer le destin de ces enfants livrés à eux-mêmes.
« J’ai toujours dit que les enfants des rues étaient des
bombes à retardement et qu’il fallait leur tendre la
main », dit Amani.
Son objectif est avant tout d’aider les enfants à
s’intégrer, à se rapprocher de leurs familles, à vivre en
groupe, à s’intéresser de nouveau à l’école : à tout faire
pour qu’ils ne soient pas davantage marginalisés. « Mais
c’est difficile pour des jeunes qui ont toujours vécu dans
la rue, où règne la loi du plus fort, de réapprendre à vivre
en communauté », poursuit Amani.
Ces enfants sont partout dans la capitale. On en compte
environ 50 000 dans les rues du Caire dont 80 % de garçons.
Ils errent dans la ville, mais restent souvent attachés à
une zone géographique et à un groupe constitué. Une certaine
solidarité peut s’établir entre eux, mais la rue reste un
danger pour ces enfants délaissés. Les plus grands attaquent
les plus jeunes, volent leur argent et les incitent à se
droguer, à snifer de la colle … Plus la spirale
avance, plus il est difficile de réintégrer ces enfants.
Nous sommes dans le centre d’accueil de jour. Il comprend
deux salles, l’une pour l’enseignement avec un tableau noir,
une table ronde et de petites chaises comme dans toutes les
salles de classe. L’autre salle sert d’atelier d’initiation
à la décoration. On apprend aussi aux enfants à emperler des
ouvrages.
Cette
école de jour est sous la surveillance du ministère de
l’Education. Les cours commencent à 8h du matin avec Mlle
Aya. Huit enfants, trois filles et cinq garçons, sont
présents. Attentifs, ils regardent le tableau et tentent
d’écrire leur nom sur un cahier.
« Ces enfants suivent un programme d’enseignement
spécialement élaboré et bénéficient de méthodes
d’apprentissage adaptées à leur niveau », précise Mlle
Aya. « Ces petites classes constituent la meilleure
méthode pour des enfants qui ont quitté l’école très tôt,
surtout pour ceux qui ont passé beaucoup de temps dans la
rue. Ces enfants sont plus agités et moins disciplinés que
les autres, et ils ont besoin de plus d’attention de la part
des enseignants », explique-t-elle. Dans cette classe,
une enseignante et une sociologue sont toujours présentes et
suivent les enfants au plus près. Mais les défis sont
nombreux.
Réseaux de trafic d’organes
Ahmad, 14 ans, était le 1er enfant accueilli à l’ONG en
avril 2011. Aujourd’hui, il réside à
Watan et suit la classe. Mais quand il est
arrivé dans ce centre, ses camarades de la rue ont cherché à
le dissuader, lui disant qu’on allait lui prendre ses
organes. En effet, lors des derniers mois, plusieurs réseaux
de trafic d’organes ont été découverts par la police et les
victimes étaient souvent des enfants de rue. Un fléau qui
incite les enfants à se méfier des adultes qui « veulent
les aider ».
« Aujourd’hui, Mlle Aya me donne des cours d’écriture et
quand il y a quelque chose que je ne comprends pas, elle est
prête à me la répéter dix fois », dit Ahmad. Une
disponibilité à tous égards et un encadrement proche sont
les clés du succès pour faire sortir les enfants de leur
situation.
Avant de venir au centre, Ahmad nettoyait les pare-brise des
voitures contre un peu d’argent et il passait ses nuits sous
le pont du 6 Octobre. La journée, il errait souvent dans les
rues et se joignait aux manifestations de
Tahrir comme beaucoup d’autres
enfants des rues. La nuit, de peur d’être agressé, il ne
dormait souvent que quelques heures après le lever du
soleil.
Ahmad est orphelin de père et sa maman s’est remariée. « Pour
avoir la paix, ma mère m’a envoyé vivre chez ma grand-mère.
Quelques mois plus tard, ma grand‑mère
est morte. Il fallait que je retourne chez ma mère, alors
que je détestais son mari. Il me giflait, me cognait la tête
contre le mur et me frappait violemment. Et pour faire
plaisir à son mari, ma mère me traitait de tous les noms. Ma
vie était devenue un cauchemar »,
raconte le petit Ahmad, les larmes aux yeux. Puis un jour,
son beau-père lui a lancé : « Je ne veux plus te voir
dans cette maison ! ». Ahmad a ramassé ses affaires et a
rejoint la rue. Il est resté six mois à errer dans la
capitale. « Ahmad est l’enfant le plus calme du groupe,
car il n’est pas resté longtemps dans la rue », analyse
Safaa, la psychologue.
Cas complexe
Par
contre, le cas de Mohamad est plus complexe. Il a vécu plus
de trois ans dans la rue et désobéit le plus souvent aux
consignes des éducateurs. Cela fait un mois qu’il est au
centre mais rate les cours à maintes reprises sans donner
d’excuses. Il n’a jamais été habitué à un rythme de vie
discipliné. Pour lui, la rue est synonyme de liberté. « Je
veux aller pisser, je veux aller boire un peu d’eau »,
lance-t-il souvent à son institutrice en marmonnant entre
ses dents comme s’il avait pris de la drogue. Pourtant, il
ne prend plus rien.
Il lui arrive souvent de fuguer, de passer quelques jours
dans la rue et de revenir de son propre gré sans que
personne ne comprenne pourquoi il est parti, ni pourquoi il
est revenu.
Mohamad est un cas difficile. Il fait tout pour attirer
l’attention sur lui. En passant dans les couloirs, il tente
de provoquer Oum Youssef, la nounou du centre. En classe, il
observe l’horloge suspendue au mur et lance : « Il est
temps de manger ! J’ai faim ! Quand est-ce qu’on va terminer
cette leçon ? ».
Plus tard, il n’hésitera pas à perturber la classe pour
déranger les autres. « J’ai besoin d’un jean ! Le mien
est déchiré ». « Quand tu seras plus sage et plus
studieux, je t’offrirai un nouveau jean », lui répond
Amani pour le calmer.
« C’est dur d’éduquer un enfant de la rue. Le plus dur
est de gagner sa confiance », souligne Safaa. « Ces
enfants ont souvent peur des adultes car les rapports qu’ils
ont eus avec eux ont été souvent imprégnés d’abus et de
violence. Au départ, ils étaient très réticents à l’idée de
venir au centre et même de parler avec nous. Ils
s’attendaient au pire », poursuit la psychologue.
Elle nous raconte que Mohamad passe son temps à dire des
mensonges. Une fois, il nous confie qu’il s’est enfui durant
la nuit parce que sa maman avait brûlé ses mains, une autre
fois, il affirme qu’il est orphelin de père et mère. En
quittant la salle, d’autres enfants nous racontent une autre
histoire sur lui : son père le frappait parce qu’il n’aimait
pas aller à l’école. Difficile de savoir où se situe la
vérité, car chez ces enfants, mentir est devenu un réflexe.
Repas, sport et travail
Il est 15h, c’est l’heure du déjeuner.
Hind, Sabah et Zannouba,
ce sont des ex-filles des rues. Elles préparent le
déjeuner : des plats composés de légumes, de viande ou de
poulet et parfois des pâtes accompagnées d’un jus de fruits.
Elles dressent la table, aidées par Oum Youssef.
Une fois le repas terminé, tout le groupe s’apprête à aller
faire du sport dans un centre de jeunesse tout proche. Les
garçons se préparent pour jouer au ping-pong et les filles
pour le volley-ball.
Le soir est réservé à des activités artistiques qui donnent
l’occasion aux enfants d’extérioriser leurs pensées et leurs
peurs. Les enfants participent avec enthousiasme à ces
activités leur permettant de s’exprimer, de raconter leur
vie et de partager leur vécu avec toute l’équipe.
Ils apprennent aussi à travailler. Filles et garçons
fabriquent des bracelets, des colliers, des bagues, des
porte-clés, et apprennent aussi à emperler des nappes et des
djellabas. Sur la table, une quantité impressionnante de
perles de toutes les formes et de toutes les couleurs.
Hind,
la plus petite du groupe, a sept ans. Ces activités
artistiques sont ses moments préférés.
« Chacun fait ce qui lui plaît et suivant son goût »,
lance Hind, pleine de joie.
Pour les encourager, Amani leur
promet une petite somme d’argent. « J’ai l’intention de
les faire participer à des concours et des expositions »,
poursuit-elle. Les bénéfices de ces activités serviront à
contribuer à financer ce projet, car, pour le moment, seule
cette femme assume son financement.
« Celui qui sera consciencieux et qui travaillera
correctement recevra 30 L.E. par semaine », lance-t-elle
aux enfants. Une façon de stimuler ces jeunes qui avaient
souvent l’habitude de
mendier .
Manar
Attiya