Al-Ahram Hebdo, Opinion | Hicham Mourad, Quel avenir pour le féminisme en Egypte ?

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 Semaine du 14 au 20 mars 2012, numéro 913

 

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Opinion

Quel avenir pour le féminisme en Egypte ?
Hicham Mourad

Les féministes égyptiennes sont en colère. 16 ONG défendant les droits des femmes ont organisé, à l’occasion de la Journée internationale de la femme le 8 mars, une marche de protestation qui s’est rendue à l’Assemblée du peuple pour réclamer leur droit à participer à hauteur de 50 % dans la composition de l’assemblée constituante, chargée de rédiger la nouvelle Constitution.

L’objectif de cette marche allait au-delà de cette demande spécifique pour réclamer une plus grande participation politique et protester contre une marginalisation croissante des femmes. Celles-ci ont vu régresser leur représentation au Parlement de 12 % lors de la dernière législature sous l’ancien président Moubarak, à 2 % seulement dans l’actuelle Assemblée, dominée par les islamistes. Outre la suppression du quota de 64 sièges qui a été réservé aux femmes dans la dernière législature, la dernière loi électorale promulguée par le Conseil suprême des forces armées, au pouvoir, oblige les partis politiques à inclure dans leurs listes électorales au moins une femme, sans leur imposer son emplacement. La plupart des partis politiques ont assigné à leurs candidates une place inférieure sur leurs listes, ce qui a fortement réduit leurs chances de remporter un siège au Parlement. Ceci ne se limite pas aux seuls partis islamistes, mais s’applique également aux partis libéraux. Etant donné que peu de femmes en Egypte jouent un rôle politique ou bénéficient d’une large popularité dans leurs circonscriptions, tous les partis sans exception ne se hasardent pas à placer haut une candidate sur leurs listes.

Plus d’un an après la révolution du 25 janvier, les associations de la société civile défendant les droits des femmes craignent que la montée en puissance des courants islamistes, majoritaires aux deux Chambres du Parlement (Assemblée du peuple et Conseil consultatif), ne se traduise par un recul de ces droits, obtenus après d’âpres luttes pendant de longues années. Il n’était pas surprenant d’entendre les manifestantes scander, entre autres, « Badie, Badie (guide suprême des Frères musulmans), les droits des femmes ne seront pas perdus ». Elles faisaient allusion aux craintes qu’elles ressentent et au refus du Parti Liberté et Justice (PLJ), bras politique des Frères musulmans, première force politique du pays, d’accepter une femme président. Les associations ont présenté une liste de leurs demandes et droits à protéger au président de la Chambre basse, Saad Al-Katatni, un dirigeant du PLJ qui détient 47 et 59 % des sièges de l’Assemblée du peuple et du Conseil consultatif respectivement.

La faible participation à la marche du 8 mars, quelques centaines, en dit long sur le poids de ce courant féministe dans la société égyptienne post-révolution. L’an dernier, à la même occasion, la manifestation féministe, qui s’est tenue à la place Tahrir, s’est heurtée à une forte hostilité d’hommes opposés à davantage de droits aux femmes, à tel point que certaines manifestantes furent insultées, harcelées physiquement et frappées. En fait, le féminisme égyptien a reçu depuis le 25 janvier deux coups. Le premier est la domination des partis islamistes, toutes tendances confondues, sur la scène politique.

Les Frères, pragmatiques, et les salafistes, ultraconservateurs, détiennent aujourd’hui les deux tiers du pouvoir législatif. Le PLJ devrait aussi former un gouvernement de coalition où il serait dominant. Le prochain président pourrait également être un islamiste. Le courant de l’islam politique, soutenu par une large majorité de la population, défend une vision conservatrice du rôle de la femme dans la société bien différente de celle soutenue par les associations féministes. Ce courant n’a cessé de dénoncer, avant et après la révolution, une série de lois sur le statut personnel en faveur de la femme, promue par l’ancien régime, sous l’impulsion de l’ancienne première dame Suzanne Moubarak, qu’il considère comme contraire à la charia. Il leur imputait l’accroissement du taux de divorce et la « destruction » de la famille.

Celles-ci étant relayées par une majorité dans une société foncièrement patriarcale, les islamistes promettent aujourd’hui de modifier ces lois, dites de Suzanne, qu’ils jugent inspirées par des valeurs occidentales incompatibles avec celles de la société égyptienne. Les femmes du PLJ ont d’ailleurs tenu, à l’occasion du 8 mars, une réunion de quelque 1 500 participantes, où elles ont attaqué les deux principaux organes gouvernementaux chargés des droits de la femme et de l’enfant, mis en place sous le régime Moubarak, le Conseil national de la femme et le Conseil national de l’enfance et de la maternité. Elles les accusent de suivre un « agenda étranger » et de « négliger les besoins plus pressants » de la femme. Les « sœurs » du PLJ, dont des parlementaires, et la confrérie dans son ensemble prônent la suppression de ces deux instances et leur remplacement par un Conseil de la famille, plus en phase avec la charia.

Le deuxième coup assené au courant féministe provient du fait que plusieurs avancées en faveur de la femme ont été réalisées sous l’ancien régime, avec l’encouragement de l’épouse de l’ancien président. A l’instar de l’ensemble de l’héritage politique de l’ancien régime, que la nouvelle classe politique veut détruire, son legs féministe fait l’objet d’une forte attaque de la part des islamistes. Cette association entre Suzanne Moubarak — conspuée par les médias et la classe politique car elle était derrière le projet d’hérédité du pouvoir au profit de son fils Gamal — et le mouvement féministe désavantage ce dernier et le place dans une situation de faiblesse. Tout ce qui portait le nom de Suzanne fait aujourd’hui, à tort ou à raison, l’objet d’une remise en cause.

Comme en politique, les partis et la société égyptienne dans son ensemble sont aujourd’hui traversés par une ligne de fracture islamiste/libérale en ce qui concerne les droits des femmes. Les islamistes, hommes et femmes, défendent une vision dans laquelle la place de la femme est prioritairement au foyer, où sa mission première est d’élever ses enfants et de s’occuper de son mari et de sa maison. Il faut cependant nuancer cette image. Alors que les Frères musulmans ne sont pas contre le principe du travail de la femme, ils préfèrent y mettre des limites. Ils s’opposent par exemple à ce que les femmes exercent des métiers dont les conditions conviennent plutôt aux hommes. Les salafistes, eux, qui ont remporté le quart des sièges du Parlement, trouvent que la place de la femme est au foyer.

La vision islamiste implique que bien des maux sociaux, notamment le divorce et la délinquance des jeunes, trouvent partiellement leur origine dans le travail de la femme et sa mixité avec l’homme. Elle soutient que plusieurs lois sur le statut personnel adoptées sous l’ancien régime renforçaient cette tendance, comme celle dite du kholea, qui accorde à la femme le droit de faire seule une demande de divorce, non motivée nécessairement par la faute de son époux. A cette vision conservatrice et majoritaire s’oppose celle, minoritaire, des féministes et des libéraux.

Celle-ci défend une société plus égalitaire entre hommes et femmes inspirée du modèle occidental, mais aussi d’autres pays du monde en développement, où la femme est parvenue à jouer un rôle plus proéminent en politique. Passée l’euphorie des premiers temps de la révolution, les féministes déchantent.

Mais l’espoir est toujours permis, car la liberté retrouvée a créé une dynamique qui pourrait faire évoluer la situation et casser les carcans sociaux .

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