Al-Ahram Hebdo, Visages | Retrouver le droit chemin

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 Semaine du 8 au 14 février 2012, numéro 908

 

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Membre de la commission populaire destinée à récupérer l’argent « pillé » de l’Egypte, Hossam Eissa est un militant engagé avant d’être professeur. Il s’insurge, en intellectuel qui se respecte, contre ce qu’il appelle le balayage culturel, spirituel et social exercé par le régime de Moubarak.

Retrouver le droit chemin

Voltaire avait raison : plus les hommes seront éclairés, plus les hommes seront libres. Hossam Eissa en est l’exemple. Indépendance, curiosité et ouverture sont des vocations innées. « Ma mère me disait souvent que je suis un enfant de la rue », lance Eissa avec un petit sourire sur les lèvres. Et d’ajouter : « C’était une qualification positive dans le sens où personne ne pouvait s’opposer à ma volonté ». Une volonté de se libérer de l’autorité familiale et d’échapper à son joug. « Combien de fois j’ai été puni car j’allais au cinéma sans permission. Cependant, la punition ne m’a jamais empêché d’y aller ».

Le cinéma était pour lui une vraie passion. Même avant son départ pour une bourse doctorale en France, parachevant ses études en droit, il était un grand fan du cinéma italien dit réaliste avec Vittorio De Sica. « Cet amour du cinéma italien m’a permis d’apprécier les cinémas français et anglais que j’ai profondément découverts lors de mon séjour en France. J’avais beaucoup apprécié le réalisateur français Jean-Luc Godard, chef de file de la nouvelle vague. Mais mon réalisateur préféré était Visconti. J’avais tendance de revoir ses films dix fois d’affilée. Le cinéma italien prônait la pensée communiste », souligne Eissa.

En effet, son amour pour le cinéma et la politique a fait de lui une personne exceptionnelle. Dans les deux domaines, il ne se contente jamais de regarder les incidents, mais préfère plutôt être parmi les acteurs principaux. En France, il suivait des cours en critique d’art, parallèlement à ses cours de droit. Jamais il n’avait le cœur envahi par le dépaysement. Il a été conquis par un vif engouement de savoir. De quoi avoir ajouté à la liste de ses cours la sociologie, l’économie la politique et le théâtre. On dirait un humaniste. « Mon objectif n’était pas seulement d’avoir un doctorat, mais plutôt de former et enrichir mon intellect. J’avais 21 ans, et j’ai voulu tout savoir sur le pays des Lumières ».

L’obstacle était la langue. Un vrai défi. « On avait étudié la langue française à l’école. Mais toutes les fois qu’il y avait un incident au Maghreb lié à l’occupation française, on abolissait l’enseignement du français dans les écoles comme pour faire un acte de solidarité avec les peuples du Maghreb. Résultat : je faisais partie d’une promotion qui n’avait appris aucun mot de français », sourit-il. Ainsi, la politique agissait sur sa vie depuis son âge tendre. Elève, il n’a raté aucune manifestation contre le roi Farouq. En outre, il lisait toujours le journal à son père qui avait mal aux yeux. De quoi l’avoir habitué à suivre les événements politiques et à améliorer son niveau en arabe. Par ailleurs, il conçoit que son parcours d’activiste a commencé avec la nationalisation du Canal de Suez. « Je faisais partie de la garde nationale (qui ressemble beaucoup aux comités populaires qui ont eu lieu pendant la révolution du 25 janvier, pour surveiller les bâtiments, avec la différence que la garde nationale avait un permis de port d’arme ) ».

« Gawad Hosni, premier martyr de l’Université du Caire, était mon meilleur ami, à la faculté de droit. Il était insatisfait de rester au Caire pendant que les gens trouvaient la mort sur le front. Il est parti seul et a trouvé la mort à Port-Saïd », raconte-t-il avec une voix profonde. Eissa appartient à ce genre d’hommes charismatiques : une fois qu’il commence à parler, on ne souhaite plus qu’il se taise. Il a toujours quelque chose de passionnant à raconter. Comme au cinéma, il sait très bien vous lancer au cœur des incidents.

Il a peut-être hérité le don d’orateur de son père. Là, c’est une autre histoire intéressante à raconter. « Mon père, à l’âge de 14 ans, était déjà l’orateur du Parti national, fondé par le leader Mohamad Farid. Et il a été assigné à résidence dans son village par les Anglais qui dirigeaient à l’époque le pays. Il était donc obligé d’y poursuivre ses études et avait obtenu le certificat d’Al-Alamiya d’Al-Azhar, pour devenir professeur d’arabe ».

Son père avait toujours le désir de s’inscrire à la faculté de droit. « Or, ma mère ainsi que mon frère Hicham, qui était le médecin de Abdel-Halim Hafez, avaient voulu que je sois médecin. Ils ont réussi à avoir une certaine influence sur moi. Mais finalement, j’ai tenu à devenir avocat. C’était le rêve de mon père qui a mué en moi un désir personnel dirigeant mes actes ».

Brillant, Hossam Eissa est parti, après la licence, pour une bourse à Paris où il est entré de plain-pied dans le monde occidental. Et ce, sans oublier les justes causes de son pays natal ni celles du monde arabe. « J’assistais à des meetings d’associations françaises pour soutenir la cause algérienne, et j’ai failli y passer lorsque l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS) a essayé de m’écraser à Grenoble, dans un accident de voiture, un jour en rentrant du cinéma à minuit ».

Eissa a également soutenu la cause palestinienne qui avait pris plus d’importance après 1967.

Quant à l’Egypte, elle connaissait depuis les années 1960 de grandes métamorphoses. « En 1966, Nasser avait décidé de rencontrer des représentants des étudiants-boursiers à Alexandrie. J’ai dit à Nasser que nous sommes venus en tant que représentants du peuple et pas en tant qu’intellectuels, et que nous ne sommes pas venus applaudir mais critiquer. Car notre seule manière de le soutenir consiste à le critiquer. Le lendemain, j’ai eu une entrevue avec Nasser, en solo, pendant trois heures, autour de certains projets que nous, les boursiers, avions proposés ». Un changement de position dès lors ? « J’avais toujours estimé Nasser. Mais, je ne suis devenu nassérien qu’en 1967. Car j’ai senti à cette date que cette agression contre lui veut dire qu’il suivait le bon chemin ».

Toutefois, Eissa s’oppose au système politique nassérien, et surtout avec l’amplification du rôle des organisations au détriment des individus et l’absence complète des libertés. « Malgré tout, Nasser demeure le détenteur d’une expérience jugée parmi les plus importantes : il suffit qu’il avait sorti à la surface des classes qui vivaient en marge de la société ». Mais l’absence des libertés a fait de lui un dictateur ? « Le mot dictateur n’a aucun sens là. Ce que Nasser avait fait pour l’Egypte est beaucoup mieux que ce qu’avaient fait les pachas de l’époque dite libérale. Il a transformé l’Egypte en un Etat qui avait un rôle important sur la scène mondiale. Il a mis fin à l’occupation française au Maghreb en 1965, et avait joué un rôle important dans le mouvement mondial de libération. Jusqu’à présent, les manifestants demandant l’égalité tiennent ses photos en main ».

A-t-on donc besoin aujourd’hui d’un nouveau Nasser pour sauver la révolution en crise ? « On n’a pas besoin en ce moment d’un leader salvateur, et d’ailleurs c’est impossible qu’il arrive dans des conditions pareilles. On a besoin plutôt d’un plan national aspirant à la reconstruction nationale dans un cadre de liberté et de démocratie. L’expérience nassérienne inspire beaucoup sur les deux plans : construction et justice sociale ».

Il faut que la révolution continue, selon lui, car ses revendications ne sont pas atteintes. « C’est un pays où on a tout balayé pendant trente ans. Et les hommes de Moubarak dirigent toujours le pays, même les premiers ministres : l’un faisait partie du comité politique et l’autre a servi au sein de l’ancien régime pendant 15 ans ». Comment sortir de l’ornière ? « Je n’ai jamais soutenu l’idée que le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) quitte en février au lieu de juin. Le vrai danger est l’absence d’un ministère de l’Intérieur. Ce qui s’est passé dernièrement, et surtout les incidents de Port-Saïd, confirme l’absence de l’Etat. Une question s’impose : est-ce que le départ du CSFA contribuera au rétablissement de la sécurité ? Je crois que le Parlement devrait d’abord prendre des mesures décisives vis-à-vis du ministère de l’Intérieur, afin de le restructurer. Ceci exige une mise en œuvre des revendications de la révolution. Et là, il faut souligner que cela n’est guère impossible en présence du gouvernement Ganzouri ».

Une raison pour laquelle Eissa a récemment refusé un poste ministériel dans le cabinet Ganzouri. « Pour que j’accepte un poste pareil, il faut que le gouvernement soit approuvé par toutes les forces qui représentent la révolution ».

La présence de gouvernements dont les dirigeants sont « en dehors » de la révolution, pour ne pas dire « anti », constitue une entrave à la révolution. « Le 7 février 2011, on a fondé le comité populaire pour récupérer l’argent pillé de l’Egypte. Notre rôle consiste à surveiller le mouvement de l’argent et à rassembler des informations. Or, pour récupérer l’argent, il faut qu’il y ait une volonté politique, surtout qu’Obama et Cameron ont ouvertement promis le retour de l’argent », explique-t-il. Le député Essam Sultan a présenté, selon Eissa, un projet de loi important à cet égard. Il consiste à former un comité officiel regroupant des juges et magistrats, sous la supervision du ministère de l’Intérieur et celui des Affaires étrangères. « J’espère que le Parlement l’approuvera ». Etant lui-même une figure éminente de la place Tahrir, Eissa trouve qu’il est indispensable d’élaborer une nouvelle Constitution par un comité représentant toutes les forces et catégories sociales : les musulmans, les chrétiens, les artistes, les savants, les femmes, etc. D’après lui, il ne faut jamais laisser ce rôle à la majorité. Mais le vrai problème c’est qu’on n’a pas mis en place de gouvernement à même de réaliser les revendications de la révolution. Alors, où va l’Egypte ? « Je ne vois pas trop, pour l’instant, tout est dans le brouillard. Mais je suis quand même optimiste : les Egyptiens n’ont plus peur ».

Lamiaa Al-Sadaty

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Jalons

1939 : Naissance au Caire.

1958 : Licence en droit, de l’Université du Caire.

1969 : Doctorat de l’Université de Paris pour sa thèse intitulée « Capitalisme et Sociétés anonymes : étude sur le rapport entre structure sociale et droit ».

1978-1985 : Premier Arabe engagé à l’Université des Nations-Unies à Tokyo.

7 février 2011 : Elaboration du comité populaire destiné à récupérer l’argent pillé de l’Egypte.

 




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