Membre de
la commission populaire destinée à récupérer l’argent «
pillé » de l’Egypte,
Hossam
Eissa est un militant
engagé avant d’être professeur. Il s’insurge, en
intellectuel qui se respecte, contre ce qu’il appelle le
balayage culturel, spirituel et social exercé par le régime
de Moubarak.
Retrouver le droit chemin
Voltaire avait
raison : plus les hommes seront éclairés, plus les hommes
seront libres. Hossam
Eissa en est l’exemple.
Indépendance, curiosité et ouverture sont des vocations
innées. « Ma mère me disait souvent que je suis un enfant de
la rue », lance Eissa avec un
petit sourire sur les lèvres. Et d’ajouter : « C’était une
qualification positive dans le sens où personne ne pouvait
s’opposer à ma volonté ». Une volonté de se libérer de
l’autorité familiale et d’échapper à son joug. « Combien de
fois j’ai été puni car j’allais au cinéma sans permission.
Cependant, la punition ne m’a jamais empêché d’y aller ».
Le cinéma
était pour lui une vraie passion. Même avant son départ pour
une bourse doctorale en France, parachevant ses études en
droit, il était un grand fan du cinéma italien dit réaliste
avec Vittorio De Sica. « Cet
amour du cinéma italien m’a permis d’apprécier les cinémas
français et anglais que j’ai profondément découverts lors de
mon séjour en France. J’avais beaucoup apprécié le
réalisateur français Jean-Luc Godard, chef de file de la
nouvelle vague. Mais mon réalisateur préféré était Visconti.
J’avais tendance de revoir ses films dix fois d’affilée. Le
cinéma italien prônait la pensée communiste », souligne
Eissa.
En effet, son
amour pour le cinéma et la politique a fait de lui une
personne exceptionnelle. Dans les deux domaines, il ne se
contente jamais de regarder les incidents, mais préfère
plutôt être parmi les acteurs principaux. En France, il
suivait des cours en critique d’art, parallèlement à ses
cours de droit. Jamais il n’avait le cœur envahi par le
dépaysement. Il a été conquis par un vif engouement de
savoir. De quoi avoir ajouté à la liste de ses cours la
sociologie, l’économie la politique et le théâtre. On dirait
un humaniste. « Mon objectif n’était pas seulement d’avoir
un doctorat, mais plutôt de former et enrichir mon
intellect. J’avais 21 ans, et j’ai voulu tout savoir sur le
pays des Lumières ».
L’obstacle
était la langue. Un vrai défi. « On avait étudié la langue
française à l’école. Mais toutes les fois qu’il y avait un
incident au Maghreb lié à l’occupation française, on
abolissait l’enseignement du français dans les écoles comme
pour faire un acte de solidarité avec les peuples du
Maghreb. Résultat : je faisais partie d’une promotion qui
n’avait appris aucun mot de français », sourit-il. Ainsi, la
politique agissait sur sa vie depuis son âge tendre. Elève,
il n’a raté aucune manifestation contre le roi
Farouq. En outre, il lisait
toujours le journal à son père qui avait mal aux yeux. De
quoi l’avoir habitué à suivre les événements politiques et à
améliorer son niveau en arabe. Par ailleurs, il conçoit que
son parcours d’activiste a commencé avec la nationalisation
du Canal de Suez. « Je faisais partie de la garde nationale
(qui ressemble beaucoup aux comités populaires qui ont eu
lieu pendant la révolution du 25 janvier, pour surveiller
les bâtiments, avec la différence que la garde nationale
avait un permis de port d’arme )
».
«
Gawad Hosni, premier martyr de
l’Université du Caire, était mon meilleur ami, à la faculté
de droit. Il était insatisfait de rester au Caire pendant
que les gens trouvaient la mort sur le front. Il est parti
seul et a trouvé la mort à Port-Saïd », raconte-t-il avec
une voix profonde. Eissa
appartient à ce genre d’hommes charismatiques : une fois
qu’il commence à parler, on ne souhaite plus qu’il se taise.
Il a toujours quelque chose de passionnant à raconter. Comme
au cinéma, il sait très bien vous lancer au cœur des
incidents.
Il a peut-être
hérité le don d’orateur de son père. Là, c’est une autre
histoire intéressante à raconter. « Mon père, à l’âge de 14
ans, était déjà l’orateur du Parti national, fondé par le
leader Mohamad Farid. Et il a été assigné à résidence dans
son village par les Anglais qui dirigeaient à l’époque le
pays. Il était donc obligé d’y poursuivre ses études et
avait obtenu le certificat d’Al-Alamiya
d’Al-Azhar, pour devenir professeur d’arabe ».
Son père avait
toujours le désir de s’inscrire à la faculté de droit. « Or,
ma mère ainsi que mon frère Hicham, qui était le médecin de
Abdel-Halim Hafez, avaient voulu
que je sois médecin. Ils ont réussi à avoir une certaine
influence sur moi. Mais finalement, j’ai tenu à devenir
avocat. C’était le rêve de mon père qui a mué en moi un
désir personnel dirigeant mes actes ».
Brillant,
Hossam
Eissa est parti, après la licence, pour une bourse à
Paris où il est entré de plain-pied dans le monde
occidental. Et ce, sans oublier les justes causes de son
pays natal ni celles du monde arabe. « J’assistais à des
meetings d’associations françaises pour soutenir la cause
algérienne, et j’ai failli y passer lorsque l’Organisation
de l’Armée Secrète (OAS) a essayé de m’écraser à Grenoble,
dans un accident de voiture, un jour en rentrant du cinéma à
minuit ».
Eissa
a également soutenu la cause palestinienne qui avait pris
plus d’importance après 1967.
Quant à
l’Egypte, elle connaissait depuis les années 1960 de grandes
métamorphoses. « En 1966, Nasser avait décidé de rencontrer
des représentants des étudiants-boursiers à Alexandrie. J’ai
dit à Nasser que nous sommes venus en tant que représentants
du peuple et pas en tant qu’intellectuels, et que nous ne
sommes pas venus applaudir mais critiquer. Car notre seule
manière de le soutenir consiste à le critiquer. Le
lendemain, j’ai eu une entrevue avec Nasser, en solo,
pendant trois heures, autour de certains projets que nous,
les boursiers, avions proposés ». Un changement de position
dès lors ? « J’avais toujours estimé Nasser. Mais, je ne
suis devenu nassérien qu’en 1967. Car j’ai senti à cette
date que cette agression contre lui veut dire qu’il suivait
le bon chemin ».
Toutefois,
Eissa s’oppose au système
politique nassérien, et surtout avec l’amplification du rôle
des organisations au détriment des individus et l’absence
complète des libertés. « Malgré tout, Nasser demeure le
détenteur d’une expérience jugée parmi les plus importantes
: il suffit qu’il avait sorti à la surface des classes qui
vivaient en marge de la société ». Mais l’absence des
libertés a fait de lui un dictateur ? « Le mot dictateur n’a
aucun sens là. Ce que Nasser avait fait pour l’Egypte est
beaucoup mieux que ce qu’avaient fait les pachas de l’époque
dite libérale. Il a transformé l’Egypte en un Etat qui avait
un rôle important sur la scène mondiale. Il a mis fin à
l’occupation française au Maghreb en 1965, et avait joué un
rôle important dans le mouvement mondial de libération.
Jusqu’à présent, les manifestants demandant l’égalité
tiennent ses photos en main ».
A-t-on donc
besoin aujourd’hui d’un nouveau Nasser pour sauver la
révolution en crise ? « On n’a pas besoin en ce moment d’un
leader salvateur, et d’ailleurs c’est impossible qu’il
arrive dans des conditions pareilles. On a besoin plutôt
d’un plan national aspirant à la reconstruction nationale
dans un cadre de liberté et de démocratie. L’expérience
nassérienne inspire beaucoup sur les deux plans :
construction et justice sociale ».
Il faut que la
révolution continue, selon lui, car ses revendications ne
sont pas atteintes. « C’est un pays où on a tout balayé
pendant trente ans. Et les hommes de Moubarak dirigent
toujours le pays, même les premiers ministres : l’un faisait
partie du comité politique et l’autre a servi au sein de
l’ancien régime pendant 15 ans ». Comment sortir de
l’ornière ? « Je n’ai jamais soutenu l’idée que le Conseil
Suprême des Forces Armées (CSFA) quitte en février au lieu
de juin. Le vrai danger est l’absence d’un ministère de
l’Intérieur. Ce qui s’est passé dernièrement, et surtout les
incidents de Port-Saïd, confirme l’absence de l’Etat. Une
question s’impose : est-ce que le départ du CSFA contribuera
au rétablissement de la sécurité ? Je crois que le Parlement
devrait d’abord prendre des mesures décisives vis-à-vis du
ministère de l’Intérieur, afin de le restructurer. Ceci
exige une mise en œuvre des revendications de la révolution.
Et là, il faut souligner que cela n’est guère impossible en
présence du gouvernement Ganzouri
».
Une raison
pour laquelle Eissa a récemment
refusé un poste ministériel dans le cabinet
Ganzouri. « Pour que j’accepte
un poste pareil, il faut que le gouvernement soit approuvé
par toutes les forces qui représentent la révolution ».
La présence de
gouvernements dont les dirigeants sont « en dehors » de la
révolution, pour ne pas dire « anti », constitue une entrave
à la révolution. « Le 7 février 2011, on a fondé le comité
populaire pour récupérer l’argent pillé de l’Egypte. Notre
rôle consiste à surveiller le mouvement de l’argent et à
rassembler des informations. Or, pour récupérer l’argent, il
faut qu’il y ait une volonté politique, surtout qu’Obama
et Cameron ont ouvertement promis le retour de l’argent »,
explique-t-il. Le député Essam
Sultan a présenté, selon Eissa,
un projet de loi important à cet égard. Il consiste à former
un comité officiel regroupant des juges et magistrats, sous
la supervision du ministère de l’Intérieur et celui des
Affaires étrangères. « J’espère que le Parlement
l’approuvera ». Etant lui-même une figure éminente de la
place Tahrir,
Eissa trouve qu’il est
indispensable d’élaborer une nouvelle Constitution par un
comité représentant toutes les forces et catégories sociales
: les musulmans, les chrétiens, les artistes, les savants,
les femmes, etc. D’après lui, il ne faut jamais laisser ce
rôle à la majorité. Mais le vrai problème c’est qu’on n’a
pas mis en place de gouvernement à même de réaliser les
revendications de la révolution. Alors, où va l’Egypte ? «
Je ne vois pas trop, pour l’instant, tout est dans le
brouillard. Mais je suis quand même optimiste : les
Egyptiens n’ont plus peur ».
Lamiaa
Al-Sadaty