Parlement .
Un mois après la tenue de sa séance inaugurale, ses
activités et les débats qui s’y tiennent laissent beaucoup
d’Egyptiens déçus. Analyse.
30 jours et un bilan
En 2012, l’Egypte s’est dotée de son premier Parlement élu,
un Parlement issu d’élections non marquées par la fraude et
largement compétitives. Dominé par les courants islamistes,
notamment les Frères musulmans, marqué par une faible
présence de libéraux et de la gauche et n’ayant pas trop de
place pour les chrétiens et les femmes, ce Parlement est à
un très large degré représentatif de l’échiquier politique
égyptien.
Un mois s’est écoulé depuis la tenue de la séance inaugurale
du nouveau Parlement, une période certes trop courte pour
permettre une évaluation exhaustive du rôle législatif de
l’Assemblée, mais largement suffisante pour noter certaines
caractéristiques de l’exercice parlementaire, notamment en
ce qui concerne son rôle de contrôle de la performance du
gouvernement et sa capacité à gérer les divergences qui se
manifestent au sein de l’hémicycle.
Relativement au contrôle de l’activité du Conseil des
ministres, la capacité du Parlement à critiquer les
officiels a augmenté. Sous le règne du président Hosni
Moubarak, il est vrai, l’Assemblée du peuple pouvait
adresser ses critiques les plus acérées aux ministres, voire
au premier ministre, et pouvait convoquer certains ministres
pour les interroger. La nouveauté, toutefois, c’est que le
ministre de l’Intérieur a perdu l’immunité dont il
bénéficiait sous Moubarak et qui lui permettait d’ignorer
les convocations du Parlement. Il y a deux semaines, le
ministre de l’Intérieur a comparu devant l’Assemblée du
peuple où il a essuyé les critiques les plus sévères des
députés relativement au drame du stade de Port-Saïd qui
s’est soldé par des dizaines de morts et des centaines de
blessés. Sauf que ces critiques n’ont pas suffi pour faire
limoger, ni le ministre de l’Intérieur, ni le premier
ministre, malgré les multiples demandes formulées dans ce
sens par les députés. De quoi conclure que les prérogatives
de l’Assemblée du peuple restent floues : l’Assemblée
travaille sous une Constitution provisoire (la Déclaration
constitutionnelle) promulguée par le Conseil militaire. En
vertu de cette Constitution, elle a le droit de demander des
comptes au gouvernement sans avoir le pouvoir de le limoger.
Quant au contrôle des activités du « sommet du pouvoir
exécutif », à savoir le président de la République ou celui
qui assure ses fonctions, les multiples demandes de députés
voulant voir ce dernier comparaître devant le Parlement
n’ont pas rencontré de succès. Ce qui signifie que jusqu’à
maintenant, la formule du régime Moubarak reste dominante.
En gros, celle-ci consiste à se servir du premier ministre
et de ses ministres comme un punching-ball pour recevoir les
coups à la place du président de la République ou de celui
qui assure son intérim, dans ce cas, le commandant général
des Forces armées.
Question en suspens
Pour ce qui est des compétences du Parlement à agir comme
une instance de collecte d’informations en temps de crise (à
travers la formation de commissions d’enquête chargées
d’établir les responsabilités de tout un chacun), elles
paraissent jusqu’à présent plutôt faibles. La commission
d’enquête qui s’est rendue à Port-Saïd est rentrée avec un
rapport qui n’a rien ajouté à ce que l’on connaissait déjà.
Il en a été de même pour la commission d’enquête qui avait
été chargée des événements meurtriers devant le ministère de
l’Intérieur au centre-ville. Certains députés se sont rendus
sur le terrain pour revenir avec la conviction que les
forces de police ont bel et bien
tiré sur les manifestants. Un député, Mohamad Abou-Hamed, a
même pu trouver des douilles qu’il a montrées au sein du
Parlement. Mais pour finir, ses collègues l’ont accusé de
fabrication de mensonges et la question est restée en
suspens.
Enfin, relativement à la capacité du Parlement à gérer les
conflits internes, il apparaît qu’elle est « moyenne ». Les
délibérations entre députés sont souvent chaotiques, où les
uns interrompent les autres avant que tout le monde s’engage
dans des querelles qui, jusqu’à présent, n’ont pas atteint
la violence physique comme c’est le cas dans d’autres
Parlements d’Europe et d’Asie. Notons aussi que ces
querelles ne se limitent pas aux divergences entre les camps
islamiste et libéral, mais se manifestent aussi entre les
islamistes eux-mêmes. L’exemple important a eu lieu quand le
député du parti salafiste
Assala,
Mamdouh Ismaïl, a lancé l’appel à la prière depuis
son siège dans l’hémicycle. Le président du Conseil a
protesté, expliquant que la mosquée (censée être l’endroit
réservé à la prière) se trouvait à quelques pas de là. Il a
même menacé le député en question de l’expulser. Cette scène
est révélatrice d’une tendance qui peut perdurer des mois et
des années à venir : ce penchant des
salafistes à marquer des points aux dépens des Frères
en les vexant et en montrant que leur zèle religieux est
relativement faible. Ceci n’est en fin de compte pas pris à
la légère comme le montre la réaction violente du président
de l’Assemblé issu des Frères musulmans. En tout cas, les
Frères ont suffisamment de légitimité religieuse pour leur
permettre de se défendre contre les surenchères des
salafistes.
Il va de soi que la performance de l’Assemblée du peuple au
long de son premier mois d’existence a laissé beaucoup de
déçus. Mais il ne faut pas oublier que le Parlement égyptien
est resté pendant 60 ans en marge de la vie politique, avec
un rôle qui ne dépassait pas celui d’un forum pour échanger
des idées ou d’un espace pour présenter des demandes aux
ministres. Cet héritage ne risque pas de disparaître du jour
au lendemain, surtout en l’absence de l’infrastructure
parlementaire qui consiste en des centres de recherches
auxiliaires. Il est clair que le Parlement a un long chemin
à faire pour satisfaire les ambitions du peuple.
Samer
Soliman