Al-Ahram Hebdo, Opinion | Mohamad Kamel Al-Qalioubi, Le peuple, les intellectuels et les militaires

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 Semaine du 25 au 31 janvier 2012, numéro 906

 

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Opinion

Le peuple, les intellectuels et les militaires
Mohamad Kamel Al-Qalioubi
Réalisateur

Une blague égyptienne raconte qu’un homme assis dans un café griffonnait sur une feuille de papier. Un passant lui a demandé : qu’est-ce que vous faites ? Il a répondu : j’écris une lettre à mon frère. Le passant, surpris, a répliqué : mais vous ne savez pas écrire ! Il a répondu : mon frère ne sait pas lire non plus !

Je ne sais pas pourquoi cette blague me rappelle étrangement la relation entre les intellectuels et un large secteur de la population. Elle me rappelle cet énorme fossé qui existe entre ceux qui écrivent parfois et qui griffonnent souvent, et ceux qui ne savent ni lire, ni déchiffrer le griffonnage.

La situation actuelle est fort décevante. Les intellectuels utilisent des moyens de communication modernes comme Internet. Ils emploient des slogans grandioses : dignité, liberté, égalité sociale, etc. Malgré cela, les premières élections intègres de l’histoire contemporaine de l’Egypte ont vu la victoire des partisans de l’Etat religieux, arriéré et moyenâgeux. Le monde a connu les Etats religieux au Moyen Age. Ils ont par la suite disparu avec tous leurs défauts et leurs vices.

Il ne reste plus dans ce monde que trois pays qui peuvent être qualifiés de religieux : l’Arabie saoudite, l’Iran et l’Afghanistan. Aucun des trois est un modèle de liberté et de démocratie. Qu’ont fait les intellectuels pour faire face à cet appel en faveur d’un Etat religieux ? Au lieu de l’affronter, ils ont eu recours à des méthodes conciliatrices. Le terme « Etat civil » a été inventé pour remplacer le terme « Etat laïque ». Cependant, les courants religieux ont mal interprété le terme et l’ont présenté comme étant un synonyme d’athéisme.

Les institutions religieuses officielles se sont rapidement emparées du terme « Etat civil » qui représente à leurs yeux une solution qui satisfait toutes les parties. Elles ont affirmé que l’islam, tout au long de son histoire, « n’a connu que l’Etat civil ». Cependant, les Frères musulmans et les salafistes ont rattaché à « Etat civil » une petite expression. Celui-ci est devenu « Etat civil à référence religieuse ».

Ainsi, le terme « Etat civil » a été vidé de son sens. Nous sommes revenus à la notion de l’Etat religieux dans une nouvelle formule linguistique. Les courants islamiques ont tenté d’attribuer des notions fascistes à la première révolution populaire égyptienne. Ils ont renié les raisons pour lesquelles la révolution a été déclenchée, dès l’apparition des résultats des élections parlementaires qui ont donné aux courants islamiques une grande majorité. Certaines voix ont alors commencé à parler de « la civilisation pourrie », en référence à la civilisation pharaonique, et ont réclamé que les statues de cire soient recouvertes.

Bien plus, Naguib Mahfouz a été qualifié d’« écrivain de la prostitution et de la drogue » et certains ont même appelé à l’interdiction de la sculpture, du ballet et de la musique orchestrale et l’imposition de conditions strictes au cinéma et au théâtre. Ils ont provoqué un énorme brouhaha. Le fascisme religieux ne s’est pas traduit seulement dans ces déclarations. Des milices religieuses formées de personnes aux longues barbes portant des djellabas et munies de bâtons ont commencé à se former sous le nom du groupe « ordonner le bien et interdire le mal ». Ils ont même dit sur leur site Internet qu’ils étaient sur le point d’utiliser des bâtons électriques pour appliquer les préceptes de l’islam selon la méthode wahabite saoudienne, qui consiste à former une police civile utilisant la répression religieuse en Egypte.

Ceci a créé un certain dégoût chez ceux qu’on appelle « l’élite du pays » qui se trouve obligée d’affronter l’isolement. En visionnant les diverses chaînes satellites, nous voyons les mêmes visages qui passent d’une chaîne à l’autre présentant leurs expériences révolutionnaires théoriques à un public qui éteint le téléviseur dès qu’il les voit.

Que faire pour affronter cette situation ? Il faut savoir que trois éléments contribuent à former la mentalité du citoyen : l’enseignement, la culture et les médias. Ces trois institutions qui, pendant de longues années, ont assumé cette responsabilité se sont complètement effondrées. En effet, l’enseignement public s’est totalement effondré pour devenir un genre de par-cœursime aveugle. La culture est devenue une pratique élitiste. Quant à l’institution médiatique officielle, elle a donné naissance à des médias orientés menteurs et hypocrites qui flattent le pouvoir et qui pratiquent une sorte de lavage de cerveau accompagné d’une censure politique, sociale et morale qui ancre des valeurs et des notions arriérées entravant le développement du pays.

La révolution du 25 janvier a brandi les slogans de la dignité, de la liberté et de l’égalité sociale évitant ainsi une révolution des affamés qui était sur le point de se déclencher. Il est tout à fait naturel que la première mission des intellectuels soit de former la mentalité du citoyen. Il faut libérer l’enseignement, la culture et les médias. Ces trois secteurs doivent être écartés de l’emprise de tout courant politique ou idéologique qui pourrait accéder au pouvoir, car nous avons souffert de cette emprise pendant plus de 60 ans.

Telle est la mission que les intellectuels et les artistes égyptiens doivent assumer. Si leur préoccupation dans la période à venir n’est pas de défendre la mentalité de l’Egypte face à cette attaque barbare dont elle fait l’objet, qu’est-ce qui peut alors les préoccuper ? C’est seulement de cette manière que le griffonnage se transformera en écriture lisible pour un peuple qui renoncera enfin à son illettrisme.

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