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3 questions à
Nadia
Radwan, coordinatrice des actions d’urgence au Nouveau
Gourna.
« Sauver
le patrimoine de Hassan Fathy c’est préserver l’identité
culturelle de l’Egypte »
Al-Ahram Hebdo : Comment est née l’idée de fonder une
association dédiée à la sauvegarde du patrimoine
architectural de Hassan Fathy ?
Nadia Radwan : Notre intérêt pour l’œuvre de Fathy est né en 2005 lorsque
Dr Leila Al-Wakil a décidé d’organiser un séminaire sur cet
architecte à l’Université de Genève. Plusieurs étudiantes,
dont moi-même, se sont passionnées pour son œuvre à tel
point d’en faire leur sujet de thèse de master. Cette équipe
d’étudiantes a ensuite collaboré au projet de Dr Al-Wakil
d’écrire un ouvrage revisitant la vie et la production de
l’architecte (Hassan Fathy dans son temps, à paraître en
2012 chez Folio). Ces recherches nous ont menés sur le
terrain, où nous avons pris conscience de l’état désastreux
dans lequel se trouvent quasiment tous les bâtiments
construits par l’architecte en Egypte, qui étaient pour la
plupart tombés dans l’oubli, voire démolis. Nous devions
absolument réagir et alerter l’opinion publique, tant au
niveau national qu’international. Dr Leila Al-Wakil et
moi-même, nous avons donc fondé, avec Mme Rachida Teymour,
l’association Save the Heritage of Hassan Fathy en 2008 pour
la préservation et la valorisation du patrimoine bâti de
l’architecte, qui regroupe de nombreux membres égyptiens et
non égyptiens. Dès sa création, nous avons décidé d’œuvrer à
la sauvegarde de Nouveau Gourna, icône de l’architecture
durable et connu du monde entier. Nous espérons ainsi
initier une campagne, qui s’étendra à l’avenir à l’ensemble
de la production de Hassan Fathy.
— Comment mettre sur pied une mission d’urgence à Nouveau
Gourna dans le contexte troublé de la révolution ?
— Bien sûr, nous avons mené
cette mission dans des circonstances extraordinaires et
difficiles. Les organisations internationales ne pouvant se
rendre sur place, notre association, ayant les
qualifications académiques requises, une grande connaissance
du contexte local et bénéficiant d’un réseau étendu de
spécialistes locaux, était la mieux placée pour intervenir
rapidement. Sous mandat de l’Unesco, nous avons constitué
une équipe d’experts égyptiens, qui ont tous pris le risque
de se rendre sur le site, en l’absence totale de sécurité.
Il a fallu d’abord négocier avec des autorités sur la
sellette, pour obtenir l’autorisation d’intervenir. Mais
avant de démarrer tout chantier, il nous a paru primordial
de discuter avec une population locale en colère, qu’il a
fallu convaincre du bien-fondé de nos actions. Petit à
petit, à force de réunions avec les Gournis, tant les shabab
(jeunes) que les cheikhs, une confiance mutuelle s’est
établie. Nous avons été grandement aidés par certains
habitants, conscients depuis longtemps de la nécessité de
préserver leur village, notamment Ahmad Abdel-Radi, dont la
famille vit depuis deux générations dans une maison
originale de Fathy, où il a créé un petit musée dédié à
l’architecte. Une fois établies les premières interventions
d’urgence sur le khan, d’autres villageois se sont ralliés à
cette cause, voyant qu’une action concrète était en route
pour la première fois depuis près de 30 ans.
— Comment voyez-vous l’avenir de Nouveau Gourna ?
— La population locale a
été depuis trop longtemps écartée de toute décision
concernant son village. Le but final est la sauvegarde de
Nouveau Gourna dans son entier et selon les règles de l’art.
Elle doit résulter d’un travail collectif impliquant tant la
population que l’expertise locale et les spécialistes
internationaux dans le domaine de la terre crue.
L’entreprise doit avant tout être pensée dans le respect des
conceptions originales de Fathy, dont certaines sont tout à
fait d’actualité. Par exemple, le village se trouve dans une
zone très touristique et Fathy avait déjà tenu compte de ce
paramètre par la création du khan, qui devait permettre aux
artisans locaux de vendre leur production aux visiteurs,
pouvant ainsi améliorer leurs conditions de vie. Il avait
prévu également de créer un institut pour la technologie
appropriée ; l’un de nos objectifs serait donc de voir un
jour naître un centre international expérimental, un
chantier éducatif pour les spécialistes du monde entier dans
le domaine de l’architecture écologique et durable.
Evidemment, de tels programmes nécessitent d’importants
financements et nous allons faire tout notre possible, à
travers la recherche de fonds, pour mener à bien cette
sauvegarde, qui est aussi celle de la préservation de
l’identité culturelle de l’Egypte.
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Héritage
en péril
L’association
Save the Heritage of Hassan
Fathy vise
à sauvegarder
l’ensemble de la production
architecturale de
Fathy. La plupart des
édifices
construits par l’architecte
sont
actuellement en grand danger.
Tour d’horizon des
bâtiments en
ruine,
voire détruits en
Egypte.
Maison
Hamed Saïd,
Al-Marg, 1942-45.
Construite
originellement dans
une
palmeraie à
l’extérieur
du Caire, la
maison
est
aujourd’hui, avec l’extension
de la ville,
prise dans
le tissu
urbain et est en
ruine
depuis le décès de son
propriétaire, un artiste
proche de
Fathy. Il
s’agit de la première
construction en briques de
terre crue
de l’architecte.
Maison
Toussoun
Abou-Gabal, Guiza, 1947.
Proche de
l’ambassade de Turquie
sur la
Corniche du Nil
à Guiza,
la maison
est
construite en béton, fait
rare dans la production de
Fathy,
probablement en raison de la
volonté de son commanditaire.
Aujourd’hui
abandonnée et vide,
elle est
menacée de
démolition afin de
vendre le terrain
sur lequel
elle se
trouve.
Village
modèle de
Luluat Al-Sahra,
Guiza, 1950.
A l’image
du Nouveau Gourna,
cet
ensemble destiné
à une
communauté
rurale reste
méconnu.
Destiné à
loger les
paysans travaillant
dans la
ezba du grand
propriétaire
latifundiaire Hafez
Afifi pacha,
il se
compose de six unités de
logement
autour d’une
cour
ouverte, d’une
résidence pour les
hôtes,
d’une mosquée et
d’une
madrassa. Aujourd’hui
occupé par des
paysans,
l’ensemble menace de tomber
en ruine.
Maison
Fouad Riyad,
à Guiza,
1960. Située non loin de la
route très
fréquentée de Saqqara, la
maison fut
construite en
pierre,
suite à
l’interdiction par le
gouvernement égyptien de
l’époque de
construire en terre
crue,
considérée alors
comme un
matériau peu
sanitaire. Elle
est
aujourd’hui
menacée par les remontées
d’eaux et par un
projet de construction
d’une gigantesque
autoroute
traversant le site.
Casino
Bosphore, Le Caire, 1932.
Situé sur
la place Bab Al-Hadid,
face à la
Gare, ce
complexe de
loisirs de style art-déco,
typique du
goût des
années 1930, a aujourd’hui
disparu.
Influencé par l’architecture
européenne,
il
représentait un exemple
de la production des premières années
de la carrière de
Hassan
Fathy, au sortir de
ses études
à l’école
des beaux-arts du
Caire,
avant qu’il
ne puise
ses influences
dans
l’architecture vernaculaire
traditionnelle.
Ecole
des garçons
du Nouveau Gourna,
gouvernorat de
Louqsor, 1945-48.
Cette école
du village
modèle de Fathy
n’a pas
résisté aux assauts
du temps et
est
aujourd’hui démolie.
Il
s’agissait d’un bâtiment
voûté aux
salles de classes lumineuses
et aérées,
grâce à la structure
permettant
une ventilation naturelle.
La température
était
agréable en toute
saison,
grâce au dôme
et aux
ouvertures dans les
murs, sur
le modèle de
l’architecture
traditionnelle, qui
permettait de faire
circuler
l’air dans les
différents
espaces.
Maison
de Aziza
Hassanein, Maadi, 1949.
Construite pour
l’épouse de
l’architecte, cette
maison
n’existe plus aujourd’hui.
Cette
maison élégante
était un
témoignage de
l’architecture de
commande de
Hassan Fathy,
destinée à
une riche
clientèle cairote.
Il
est probable
que beaucoup
d’autres
bâtiments de l’architecte,
dont on ne
connaît pas
l’état de conservation, courent
aujourd’hui un grand danger.
Camille
Abele
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