Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Retour au royaume de l'or

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 Semaine du 21 au 27 septembre 2011, numéro 889

 

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Nulle part ailleurs

Nubie .  Retour au royaume de l’or. Voilà un siècle que les habitants de cette région ont quitté leur terre natale. Aujourd’hui, ils souhaitent retourner sur leurs terres après de longues pérégrinations. Et leur détermination semble sans faille.

Retour au royaume de l'or

« J’ai tellement rêvé de rentrer et de mourir sur ma terre natale, l’ancienne Nubie ... mais je ne pense pas avoir le temps de voir ce rêve se réaliser », regrette Fatma, 82 ans. Ses larmes coulent sur son visage sillonné de rides. Ce sont des larmes d’espoir et de joie. Un sentiment éprouvé par tous les Nubiens ces derniers jours après l’annonce faite par les responsables de leur possible retour vers l’ancienne Nubie.

Cette déclaration, faite récemment par le premier ministre, est intervenue après une série de sit-in organisés par les Nubiens devant le siège du gouvernorat d’Assouan. Le but étant de faire entendre leur voix aux responsables. « On veut retourner sur notre terre natale. Nous ne sommes pas à l’aise ici, nos droits ont été bafoués. Nous ne quitterons pas les lieux tant que nos droits ne seront pas acquis », ont scandé les Nubiens avec détermination.

La revendication a été qualifiée de forte et les Nubiens ont désormais une renommée de gens paisibles et pacifistes, les protestations se passant dans le calme. Toutes leurs revendications tournent autour de leur droit au retour. Ils réclament la fin de cette négligence dont ils sont les seules victimes. Des droits qualifiés par tous les gouvernements précédents de légitimes, mais qui n’ont jamais été satisfaits.

Le déplacement des Nubiens remonte à la construction du Haut-Barrage. Les Nubiens, installés depuis toujours dans la région du lac Nasser, ont dû quitter cette région vers de nouvelles terres, à plus de 300 km de leurs villages d’origine, à 50 km au nord d’Assouan.

L’ancienne Nubie était composée de 44 villages. Les habitants de 31 villages ont été installés à Nasr Al-Nouba, une région qui fut donnée par l’Etat pour accueillir les Nubiens. Le reste des Nubiens fut installé à Kom Ombo, non loin d’Assouan. Les Nubiens la surnomment Al-Nouba al-guédida ou la nouvelle Nubie, car ils pensent que l’ancienne est leur véritable terre, leur terre d’origine.

Les Nubiens n’ont jamais véritablement accepté Al-Nouba ou la nouvelle Nubie. Ils l’ont considérée pendant tout ce temps-là comme un transit. Une terre qu’ils quitteront un jour.

Quastal, Thomas et Afia, Tochka, Ballana, Eneba : ce sont les noms de leurs anciens villages qu’ils ont gardés afin de ne pas se sentir dépaysés. Les maisons ont été construites sur le même modèle architectural utilisé dans la région autrefois inondée. Cependant, les peintures traditionnelles multicolores, typiquement nubiennes, qui recouvraient toutes les façades des maisons dans l’ancienne Nubie ont disparu des nouvelles habitations.

Désormais, on ne trouve que trois couleurs : le blanc, le beige et le bleu. Les unes sont ornées de dessins de crocodiles momifiés ou d’autocollants sur lesquels sont inscrits des phrases indiquant ce rêve du retour à l’ancienne Nubie : « Nous ne pourrons jamais oublier notre terre » ou « Le retour sur notre terre est certain » et d’autres.

Dès qu’on franchit le seuil de la maison, on sent immédiatement qu’on est dans une maison typiquement nubienne. Propre, organisée, pleine de détails posés d’une manière méticuleuse, sans oublier la générosité sans limites des habitants. Devant les rares photos de son père, Waguih Ahmad passe beaucoup de temps à se rappeler les plus beaux jours de sa vie comme il nous le confie.

Garder le contact

« C’est vrai que j’avais juste cinq ans lors de l’émigration, mais la scène du Nil et de notre ancienne maison n’a jamais quitté mes yeux », dit un employé de 51 ans. Il est aussi le fondateur d’un site électronique considéré comme un point de rassemblement pour tous les Nubiens dans le monde. A travers ce site, ils échangent leurs nouvelles. D’après Waguih, c’est l’une des nombreuses activités que les Nubiens de Nasr Al-Nouba ont créées pour rester en contact afin de conserver leur identité. « On ne pouvait pas laisser notre cause et notre culture disparaître avec nos grands-pères », dit Waguih, en affirmant que l’histoire de la Nubie et le procès de l’émigration sont gravés dans l’esprit de chaque Nubien. D’après lui, c’est la seule arme qui leur reste pour ne pas perdre leurs droits.

Hassan, son fils de 9 ans, décrit l’ancienne Nubie comme s’il y avait vécu alors qu’il ne l’a jamais vue. Il connaît les noms du gouverneur d’Assouan et des différents ministres qui ont entravé le retour des Nubiens sur leurs terres. « Il faut se battre jusqu’au dernier souffle. Ici, ce n’est pas notre terre, elle ne nous appartient pas », répète Hassan comme un robot.

Tels sont les propos des jeunes Nubiens. Les pères racontent leur histoire aux enfants, et d’une génération à l’autre, ce sont ces derniers qui reprennent le flambeau. D’après Waguih, les jeunes générations sont de plus en plus sûres de réaliser un jour leur rêve. « Pourquoi nous avoir fait perdre toutes ces années pour retourner sur notre terre ? Sommes-nous considérés comme des citoyens de seconde zone ? », s’insurge Hassan, 18 ans.

Il a participé au sit-in organisé dernièrement. Il jure avec enthousiasme que les Nubiens vont retrouver leur statut de fils de monarques, ces rois qui ont longtemps régné sur le royaume d’Egypte avant que les pharaons n’arrivent. Bien que Hassan n’ait connu l’ancienne Nubie qu’à travers les histoires des adultes, il compose des vers sur ce pays perdu et les chante sur des rythmes folkloriques qui font pleurer l’assemblée.

Cette génération qui n’a jamais vu cette terre s’est forgée une image très romantique. Les jeunes tiennent à parler leurs dialectes : le Fadika et le Kounouz. Ils se rassemblent dans des occasions festives portant leur costume nubien que chacun garde dans son armoire avec fierté. Ils organisent chaque mois des repas collectifs dans la rue. De la musique et des chansons nubiennes sont diffusées dans toutes les maisons et tous les cafés. Ils confèrent une aura magique et mythique à la nostalgie de leur terre promise (Noub en ancien égyptien ou or) qu’ils ont quittée par la force.

Historiquement, la misère des Nubiens a commencé lorsque le président Nasser a décidé de construire un barrage à l’extrême sud de l’Egypte afin d’augmenter la production d’électricité en Egypte. La réalisation de cet immense projet a exigé le déplacement des Nubiens dont les villages étaient submergés par le lac Nasser. Le Haut-Barrage était un projet national qui méritait tous les sacrifices. Et ce sont les Nubiens qui en ont payé le prix. Ces derniers ont été déplacés depuis 1964 et ne sont jamais retournés sur leurs terres bien que celles-ci demeurent habitables.

Crainte de perte d’identité

Le transfert des Nubiens a commencé en 1902. Il s’est poursuivi en vagues successives, en 1911, puis 1933. Les derniers sont partis dans les années 1960. L’engloutissement de l’ancienne Nubie a été un choc traumatisant pour le peuple nubien, craignant la perte de son identité.

Sayed, 73 ans, garde encore en mémoire le jour de son départ. Pour lui, la vie avait déjà changé un mois avant le jour J. Tout le monde parlait du même sujet : les bagages étaient prêts, les maisons vidées, la tristesse dominait les visages. « C’est comme si c’était hier », rapporte Sayed. Il se souvient du moment où il est monté sur la barque en compagnie de sa famille. Son regard est resté figé sur ce village comme s’il voulait en capter chaque détail dans sa mémoire. Car il savait qu’il ne reverrait plus son village. Même les chiens du village étaient anxieux et suivaient du regard leurs maîtres s’éloigner sur les barques qui prenaient le large.

Sayed ne cesse de répéter ces histoires et beaucoup d’autres aux jeunes de son village. Ils se rassemblent autour de lui, sous un grand arbre ou à l’intérieur de sa maison avec comme arrière-plan un tableau illustrant la Nubie : de belles femmes souriantes portant le guérgar traditionnel (une sorte d’abaya noire portée au-dessus des habits) et marchant en groupe sur le bord du Nil. Des hommes heureux qui cultivent leurs terres avec autour des oiseaux et des arbres. Bref, un paradis sur terre.

Ici, on considère Sayed comme la mémoire du passé. « C’est une anthologie d’histoire nubienne marchant sur deux jambes » comme on le désigne ici. Les histoires des adultes conservent non seulement les beaux souvenirs du passé, mais aussi les mauvais du présent. Fatma se rappelle le jour de leur arrivée. Il n’y avait qu’un petit nombre de maisons, les familles étaient obligées de se les partager.

Les scorpions et les serpents infestaient l’endroit. Cette région était connue sous le non de la vallée des djinns. Il n’y avait ni eau potable, ni électricité et les terres n’étaient pas fertiles. « Beaucoup d’entre nous sont tombés malades. Certains ont même perdu leur vie », se rappelle Fatma.

Cette dernière, comme tous les Nubiens, souffre de l’éloignement du fleuve. C’est un élément essentiel, très présent dans chaque événement. « J’ai envie de le revoir avant de mourir », dit Fatma qui se souvient de son ancien village sur le Nil.

De plus, comme explique Waguih, ces maisons n’appartiennent pas aux Nubiens, car ils ne détiennent aucun contrat de possession. « Nous avons tout sacrifié pour l’Etat. Mais est-ce qu’il nous le rend ? », se demandent Waguih et tous les Nubiens. Ils se sentent humiliés d’avoir été traités de la sorte.

Leur rêve était simple : celui de voir les promesses de Nasser se réaliser et de pouvoir rentrer chez eux.

Mais pourquoi les Nubiens ont-ils décidé de réagir maintenant ? Plusieurs obstacles ont retardé les choses et empêché leur rêve de se réaliser. D’abord, la défaite de 1967, puis la guerre de 73. C’est dans les années 1980 qu’ils se sont adressés au président Sadate qui leur a promis de le faire, mais il a été assassiné.

Quant à Moubarak, il a complètement négligé ce dossier. « Alors, on a profité de la révolution pour atteindre notre but. On a décidé de tout essayer. Pour nous, c’est une question de vie ou de mort. Les Nubiens considèrent qu’ils étaient comme des nomades. Ils sont fatigués. Ils veulent cette fois-ci faire le dernier voyage, vers le sud, leur terre natale, l’ancienne Nubie, sur les rives du lac Nasser » .

Hanaa Al-Mékkawi

 




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