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Musique .
En attendant le festival réunissant des groupes de heavy
metal, internationaux et arabes, qui vient d’être reporté
sine die, l’occasion est donnée à l’Hebdo de faire un tour
d’horizon de cette scène à l’aura sulfureuse, en Egypte
comme ailleurs.
La malédiction « metal »
Plus
l’attente est longue, plus la déception est grande. Les
headbangers (surnom donné aux fans de metal, en référence à
leurs mouvements de tête lors des concerts) égyptiens auront
compté les jours jusqu’au mois de septembre pour rien. En
effet, cette semaine devait avoir lieu un événement que l’on
pourrait qualifier d’historique pour la scène metal, voire
le milieu musical dans son entier : le Metal Pyramids
Festival, prévu le 9 septembre à Guiza, avec la venue en
tête d’affiche du groupe britannique Napalm Death, fer de
lance depuis le début des années 1980 de la scène grindcore
(sous-genre du metal au rythme extrêmement rapide), aux
côtés d’une poignée de groupes de métalleux venus d’Egypte,
de Jordanie, de Tunisie et des EAU. Malgré nos efforts pour
en savoir plus, il nous a été impossible d’obtenir une
réponse satisfaisante concernant les raisons de cette
annulation, qui obligent les fans de ce genre musical un peu
particulier à ranger leurs t-shirts noirs dans les tiroirs,
voire à rattacher en queue de cheval leurs longues
crinières, attributs aussi courants dans le milieu, peu
habituelles dans les rues égyptiennes.
Pourtant,
les aficionados de ce style hybride du blues et du heavy
rock, aux sonorités lourdes et épaisses, existent en Egypte
depuis de nombreuses années, malgré la dure répression dont
ils ont fait l’objet. Dans les années 1990, de nombreux
concerts et fêtes labellisés « metal » avaient lieu à
Alexandrie et au Caire, dans une ambiance très discrète,
tant ce genre de rassemblement attirait les foudres des
redoutables moukhabarat, les services secrets du régime
Moubarak. Un coup terrible aurait pu anéantir pour de bon
cette scène. Un petit matin de janvier 1997, la police fait
une descente musclée lors d’une fête rassemblant quelques
dizaines de fans du genre, pour la plupart de jeunes gens
issus de familles aisées. Avant l’avènement d’Internet, ces
derniers avaient la possibilité de voyager à l’étranger, et
donc d’entrer en contact avec la production culturelle venue
d’Europe et des Etats-Unis, berceaux dès la fin des années
1960 de ce genre musical, popularisé durant les deux
décennies suivantes. Arrêtés sans ménagement, ces jeunes ont
été accusés de maux pour le moins courant pour le metal :
satanisme, sexualité orgiaque et prise de drogue, qui leur
ont valu des procès retentissants dans les médias et la
presse, dirigés, il est besoin de le rappeler, d’une main de
fer par le régime autoritaire de Moubarak. Les pires
allégations se sont répandues sur leur compte, encouragées
par les déclarations tapageuses des autorités religieuses de
tous bords, musulmane et chrétienne d’une même voix.
Néfaste pour la jeunesse
Sans entrer dans le détail et l’issue de ces procès,
rappelons que le metal a toujours été auréolé d’une
réputation « maléfique », que beaucoup considèrent néfaste
pour la jeunesse. Sur ce plan, l’Orient et l’Occident sont
pour une fois d’accord. Aux Etats-Unis, l’un des plus grands
groupes du genre, Judas Priest, a été inculpé pour
incitation au suicide en 1990, et le chanteur Ozzy Osbourne,
fondateur des mythiques Black Sabbath, accusé pour des
raisons similaires. Dans les deux cas, les procédures
judiciaires ont démontré leur innocence. Les religieux
fondamentalistes aux Etats-Unis et en Europe partent encore
aujourd’hui régulièrement en croisade contre le metal, dont
l’esthétique joue sur des codes provocateurs et
anti-establishment. Très récemment en France, plusieurs
personnalités politiques et catholiques ont lancé des
campagnes de diffamation visant à annuler le plus grand
rassemblement metal européen, le HellFest à Clisson, près de
Bordeaux, qui rassemble sur trois jours quelque 80 000 fans
venus écouter environ 120 groupes à l’affiche.
Si
dans le monde arabe ce genre musical pour le moins contesté
ne jouit pas de la même popularité qu’en Occident, il fait
pourtant des émules. La Jordanie, la Tunisie, la Syrie,
l’Algérie, le Maroc et l’Iraq notamment, aucun pays
n’échappe depuis quelques années à cette déferlante qui a vu
naître de nombreux groupes locaux. Mais dans le contexte de
ces régimes autoritaires, jouer et afficher son amour du
metal a une résonance plus dangereuse. Pour mettre un frein
à ce qu’ils considèrent comme une forme de subversion
sociale, voire politique, le gouvernement jordanien a banni
en 2001 tous les albums du groupe américain Metallica et, en
2003, à l’image de l’Egypte, la police marocaine a procédé à
des arrestations violentes lors d’un concert. Le seul pays
qui échappe à la règle est Dubaï, considéré comme une terre
d’asile pour les fans de metal, où se déroule un grand
festival, le Desert Rock Festival.
Cette répression a attiré l’attention de plusieurs
journalistes occidentaux. Paru en 2009, le livre Heavy Metal
Islam de Mark LeVine, expert en sciences politiques du monde
arabe, explore les rapports entre la religion, des
gouvernements autoritaires et une musique par essence
contestataire. L’auteur y démontre avec sérieux que les
jeunes métalleux arabes sont loin d’être de mauvais
musulmans, et ne cherchent au fond qu’à s’exprimer librement
et à trouver leur propre voie dans un monde conformiste à
l’horizon bouché. Le documentaire Heavy Metal in Baghdad,
sorti en 2007, suit les traces, quant à lui, du groupe
iraqien Acrassicauda durant la guerre d’Iraq, qui tente de
se produire dans un contexte violent et répressif. Ce film,
ainsi que l’ouvrage de LeVine, ont suscité une grande
curiosité parmi la communauté metal, mais également de la
part des médias occidentaux. Dans la presse arabe, dirigée
pour la plupart par les gouvernements eux-mêmes, l’écho n’a
bien sûr pas été le même, et le grand public n’a donc pas eu
la possibilité de se forger sa propre opinion sur la
question.
Promotion confidentielle
Le Metal Pyramids Festival, qui devait avoir lieu cette
semaine, aurait donc été une occasion parfaite pour le
public égyptien de se rendre compte par lui-même des tenants
et des aboutissants de la scène metal, loin des clichés
qu’on lui attribue. Les raisons de l’annulation demeurent
floues. Egypt Music Gates, l’organisateur du concert, a
annoncé le report du festival à une date ultérieure, non
précisée pour l’instant. Les préventes semblent n’avoir pas
été suffisantes, Music Gates ayant plusieurs fois reporté la
date d’échéance pour l’achat des billets, mais force est
d’admettre que la promotion du festival est paradoxalement
restée plutôt confidentielle. Dans l’Egypte
post-révolutionnaire, la censure et la manipulation de
l’information ne devraient plus avoir place. Les esprits
créatifs devraient être désormais libres de s’exprimer par
le biais de n’importe quel domaine artistique, et le public
tout aussi libre d’apprécier ou non cette production. Pour
toutes ces raisons, espérons que le festival verra le jour
prochainement, dans une Egypte libre et ouverte, pour
laquelle sont battus les révolutionnaires du 25 janvier.
Camille
Abele
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La
relève des métalleux égyptiens |
A
l’instar de l’ensemble des pays du monde arabe, la communauté
metal égyptienne est plutôt riche.
Si le groupe américain Nile, dont les paroles s’inspirent de
l’Egypte des pharaons, a volé le nom le plus évident pour un
groupe du pays, des dizaines de formations puisent, quant à
elles, leur noms dans la langue de
Shakespeare.
Virtual Chaos,
Chicken Came First, Mascara, Karma, Destiny in Chains, Beyond
East, Cadaver, Your Prince Harming, Dark Philosophy, Massive
Scar Era, Hate Suffocation, Odious, la
liste est
longue …
Focus sur 3 groupes, dont la réputation, malgré le peu
d’opportunité de se produire sur scène, va grandissant.
Worm
Le
groupe est formé en 2003 à Alexandrie par Ahmad
Samadi, Tareq
Chéhata, et Ezz,
qui enregistrent Armageddon Codex, une première démo mêlant des
sonorités indues pour « musique industrielle », plus un concept
qu’un genre musical à proprement parler, visant à mettre en
avant, par l’expérimentation et la dissonance, les aspects les
plus sombres de la société contemporaine, à un son
death metal
typique, attirant l’attention de la scène
metal underground égyptienne. Les années qui s’ensuivent
voient le départ, puis l’arrivée de nouveaux membres dans le
groupe. Avec 4 concerts à son actif, le groupe a évolué vers des
compositions originales death
metal, traduisant mieux les goûts
des musiciens actuels.
Wyvern
A ses débuts en 2003, le groupe se spécialise dans les reprises
de morceaux de groupes comme Metallica,
Megadeth, Iron
Maiden,
Sepultura et Slayer, avant de
créer ses propres compositions, dans un style
Thrash metal.
Wyvern a enregistré un premier
effort en 2004 qui lui a permis de se produire deux ans plus
tard devant plus de 15 000 personnes lors du SOS Music Festival
au Caire. Wyvern a également eu la
chance — tant la venue de groupes internationaux est rare en
Egypte — de se produire en 2007 en première partie de la
formation suédoise de metal
progressif Pain in Salvation.
Redeemers
Cette formation cairote, fondée en 2001 à l’initiative du
guitariste et compositeur Waël
Nasr, dispose de moyens à la hauteur
de ses aspirations. Ce groupe-concept à l’esthétique cohérente
crée des compositions originales dans un style
metal symphonique, souvent
grandiloquentes, inspiré de formations telle
Dimmu Borgir,
avec des accents à la Queen.
Affublés de surnoms ésotériques, The
Immortal Phœnix, The Eagle
Master, The Princess of Time, The
Witch and the
Ghost Pirate, les cinq membres du groupe sont des
musiciens de qualité, dotés d’un site Internet particulièrement
léché.
Dédié à la scène metal du monde
arabe, le Webzine JORZINE sur Facebook
propose à la communauté des metalheads
de nombreuses infos sur les groupes, concerts et événements. La
page parfaite pour en savoir plus sur ce style musical, qui
franchit toutes les frontières …
Camille Abele
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