Al-Ahram Hebdo,Arts | La malédiction « metal »

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 Semaine du 14 au 20 septembre 2011, numéro 888

 

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Arts

Musique . En attendant le festival réunissant des groupes de heavy metal, internationaux et arabes, qui vient d’être reporté sine die, l’occasion est donnée à l’Hebdo de faire un tour d’horizon de cette scène à l’aura sulfureuse, en Egypte comme ailleurs.

La malédiction « metal »

Plus l’attente est longue, plus la déception est grande. Les headbangers (surnom donné aux fans de metal, en référence à leurs mouvements de tête lors des concerts) égyptiens auront compté les jours jusqu’au mois de septembre pour rien. En effet, cette semaine devait avoir lieu un événement que l’on pourrait qualifier d’historique pour la scène metal, voire le milieu musical dans son entier : le Metal Pyramids Festival, prévu le 9 septembre à Guiza, avec la venue en tête d’affiche du groupe britannique Napalm Death, fer de lance depuis le début des années 1980 de la scène grindcore (sous-genre du metal au rythme extrêmement rapide), aux côtés d’une poignée de groupes de métalleux venus d’Egypte, de Jordanie, de Tunisie et des EAU. Malgré nos efforts pour en savoir plus, il nous a été impossible d’obtenir une réponse satisfaisante concernant les raisons de cette annulation, qui obligent les fans de ce genre musical un peu particulier à ranger leurs t-shirts noirs dans les tiroirs, voire à rattacher en queue de cheval leurs longues crinières, attributs aussi courants dans le milieu, peu habituelles dans les rues égyptiennes.

Pourtant, les aficionados de ce style hybride du blues et du heavy rock, aux sonorités lourdes et épaisses, existent en Egypte depuis de nombreuses années, malgré la dure répression dont ils ont fait l’objet. Dans les années 1990, de nombreux concerts et fêtes labellisés « metal » avaient lieu à Alexandrie et au Caire, dans une ambiance très discrète, tant ce genre de rassemblement attirait les foudres des redoutables moukhabarat, les services secrets du régime Moubarak. Un coup terrible aurait pu anéantir pour de bon cette scène. Un petit matin de janvier 1997, la police fait une descente musclée lors d’une fête rassemblant quelques dizaines de fans du genre, pour la plupart de jeunes gens issus de familles aisées. Avant l’avènement d’Internet, ces derniers avaient la possibilité de voyager à l’étranger, et donc d’entrer en contact avec la production culturelle venue d’Europe et des Etats-Unis, berceaux dès la fin des années 1960 de ce genre musical, popularisé durant les deux décennies suivantes. Arrêtés sans ménagement, ces jeunes ont été accusés de maux pour le moins courant pour le metal : satanisme, sexualité orgiaque et prise de drogue, qui leur ont valu des procès retentissants dans les médias et la presse, dirigés, il est besoin de le rappeler, d’une main de fer par le régime autoritaire de Moubarak. Les pires allégations se sont répandues sur leur compte, encouragées par les déclarations tapageuses des autorités religieuses de tous bords, musulmane et chrétienne d’une même voix.

Néfaste pour la jeunesse

Sans entrer dans le détail et l’issue de ces procès, rappelons que le metal a toujours été auréolé d’une réputation « maléfique », que beaucoup considèrent néfaste pour la jeunesse. Sur ce plan, l’Orient et l’Occident sont pour une fois d’accord. Aux Etats-Unis, l’un des plus grands groupes du genre, Judas Priest, a été inculpé pour incitation au suicide en 1990, et le chanteur Ozzy Osbourne, fondateur des mythiques Black Sabbath, accusé pour des raisons similaires. Dans les deux cas, les procédures judiciaires ont démontré leur innocence. Les religieux fondamentalistes aux Etats-Unis et en Europe partent encore aujourd’hui régulièrement en croisade contre le metal, dont l’esthétique joue sur des codes provocateurs et anti-establishment. Très récemment en France, plusieurs personnalités politiques et catholiques ont lancé des campagnes de diffamation visant à annuler le plus grand rassemblement metal européen, le HellFest à Clisson, près de Bordeaux, qui rassemble sur trois jours quelque 80 000 fans venus écouter environ 120 groupes à l’affiche.

Si dans le monde arabe ce genre musical pour le moins contesté ne jouit pas de la même popularité qu’en Occident, il fait pourtant des émules. La Jordanie, la Tunisie, la Syrie, l’Algérie, le Maroc et l’Iraq notamment, aucun pays n’échappe depuis quelques années à cette déferlante qui a vu naître de nombreux groupes locaux. Mais dans le contexte de ces régimes autoritaires, jouer et afficher son amour du metal a une résonance plus dangereuse. Pour mettre un frein à ce qu’ils considèrent comme une forme de subversion sociale, voire politique, le gouvernement jordanien a banni en 2001 tous les albums du groupe américain Metallica et, en 2003, à l’image de l’Egypte, la police marocaine a procédé à des arrestations violentes lors d’un concert. Le seul pays qui échappe à la règle est Dubaï, considéré comme une terre d’asile pour les fans de metal, où se déroule un grand festival, le Desert Rock Festival.

Cette répression a attiré l’attention de plusieurs journalistes occidentaux. Paru en 2009, le livre Heavy Metal Islam de Mark LeVine, expert en sciences politiques du monde arabe, explore les rapports entre la religion, des gouvernements autoritaires et une musique par essence contestataire. L’auteur y démontre avec sérieux que les jeunes métalleux arabes sont loin d’être de mauvais musulmans, et ne cherchent au fond qu’à s’exprimer librement et à trouver leur propre voie dans un monde conformiste à l’horizon bouché. Le documentaire Heavy Metal in Baghdad, sorti en 2007, suit les traces, quant à lui, du groupe iraqien Acrassicauda durant la guerre d’Iraq, qui tente de se produire dans un contexte violent et répressif. Ce film, ainsi que l’ouvrage de LeVine, ont suscité une grande curiosité parmi la communauté metal, mais également de la part des médias occidentaux. Dans la presse arabe, dirigée pour la plupart par les gouvernements eux-mêmes, l’écho n’a bien sûr pas été le même, et le grand public n’a donc pas eu la possibilité de se forger sa propre opinion sur la question.

Promotion confidentielle

Le Metal Pyramids Festival, qui devait avoir lieu cette semaine, aurait donc été une occasion parfaite pour le public égyptien de se rendre compte par lui-même des tenants et des aboutissants de la scène metal, loin des clichés qu’on lui attribue. Les raisons de l’annulation demeurent floues. Egypt Music Gates, l’organisateur du concert, a annoncé le report du festival à une date ultérieure, non précisée pour l’instant. Les préventes semblent n’avoir pas été suffisantes, Music Gates ayant plusieurs fois reporté la date d’échéance pour l’achat des billets, mais force est d’admettre que la promotion du festival est paradoxalement restée plutôt confidentielle. Dans l’Egypte post-révolutionnaire, la censure et la manipulation de l’information ne devraient plus avoir place. Les esprits créatifs devraient être désormais libres de s’exprimer par le biais de n’importe quel domaine artistique, et le public tout aussi libre d’apprécier ou non cette production. Pour toutes ces raisons, espérons que le festival verra le jour prochainement, dans une Egypte libre et ouverte, pour laquelle sont battus les révolutionnaires du 25 janvier.

Camille Abele

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La relève des métalleux égyptiens

A l’instar de l’ensemble des pays du monde arabe, la communauté metal égyptienne est plutôt riche. Si le groupe américain Nile, dont les paroles s’inspirent de l’Egypte des pharaons, a volé le nom le plus évident pour un groupe du pays, des dizaines de formations puisent, quant à elles, leur noms dans la langue de Shakespeare.  Virtual Chaos, Chicken Came First, Mascara, Karma, Destiny in Chains, Beyond East, Cadaver, Your Prince Harming, Dark Philosophy, Massive Scar Era, Hate Suffocation, Odious, la liste est longue

Focus sur 3 groupes, dont la réputation, malgré le peu d’opportunité de se produire sur scène, va grandissant.

Worm

Le groupe est formé en 2003 à Alexandrie par Ahmad Samadi, Tareq Chéhata, et Ezz, qui enregistrent Armageddon Codex, une première démo mêlant des sonorités indues pour « musique industrielle », plus un concept qu’un genre musical à proprement parler, visant à mettre en avant, par l’expérimentation et la dissonance, les aspects les plus sombres de la société contemporaine, à un son death metal typique, attirant l’attention de la scène metal underground égyptienne. Les années qui s’ensuivent voient le départ, puis l’arrivée de nouveaux membres dans le groupe. Avec 4 concerts à son actif, le groupe a évolué vers des compositions originales death metal, traduisant mieux les goûts des musiciens actuels.

Wyvern

A ses débuts en 2003, le groupe se spécialise dans les reprises de morceaux de groupes comme Metallica, Megadeth, Iron Maiden, Sepultura et Slayer, avant de créer ses propres compositions, dans un style Thrash metal. Wyvern a enregistré un premier effort en 2004 qui lui a permis de se produire deux ans plus tard devant plus de 15 000 personnes lors du SOS Music Festival au Caire. Wyvern a également eu la chance — tant la venue de groupes internationaux est rare en Egypte — de se produire en 2007 en première partie de la formation suédoise de metal progressif Pain in Salvation.

Redeemers

Cette formation cairote, fondée en 2001 à l’initiative du guitariste et compositeur Waël Nasr, dispose de moyens à la hauteur de ses aspirations. Ce groupe-concept à l’esthétique cohérente crée des compositions originales dans un style metal symphonique, souvent grandiloquentes, inspiré de formations telle Dimmu Borgir, avec des accents à la Queen. Affublés de surnoms ésotériques, The Immortal Phœnix, The Eagle Master, The Princess of Time, The Witch and the Ghost Pirate, les cinq membres du groupe sont des musiciens de qualité, dotés d’un site Internet particulièrement léché.

Dédié à la scène metal du monde arabe, le Webzine JORZINE sur Facebook propose à la communauté des metalheads de nombreuses infos sur les groupes, concerts et événements. La page parfaite pour en savoir plus sur ce style musical, qui franchit toutes les frontières …

Camille Abele

 




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