Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | La libération enfin

  Président
Labib Al-Sebai
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

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 Semaine du 17 au 23 août 2011, numéro 884

 

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Nulle part ailleurs

Mosquées . Les tarawih cette année (prières surérogatoires) ont une saveur particulière. Naguère sous contrôle policier, cette pratique religieuse est menée aujourd’hui sans aucune contrainte. Il faudra toutefois rester vigilants quant aux idées véhiculées par certains courants. Etat des lieux.

La libération enfin

« C’est bien la première fois de notre vie que nous rentrons dans une mosquée sans se sentir surveillés par les espions de Moubarak. Nous avons même eu l’impression que l’imam a fait un prêche dicté par sa conscience. Et pourquoi pas, puisque ce sont les premiers prêches libres en 30 ans ? », nous dit Abdallah, un des nombreux fidèles rencontrés dans une mosquée de Manial. Et d’ajouter : « Les gens doivent pouvoir se consacrer à leur foi librement, sans restriction ni surveillance. Il est grand temps pour respecter la légitimité de la religion et mettre en pratique les préceptes de l’islam selon le Coran ». Une foule immense se précipite vers cette mosquée pour décrocher une petite place. La mosquée est archicomble et les alentours aussi. Certains ont posé leurs petits tapis de prière sur les trottoirs qui bordent ce lieu de culte. Une scène tout à fait différente pour cette mosquée, tout comme pour la majorité des mosquées d’Egypte qui reçoivent aujourd’hui un nombre important de fidèles, issus de toutes les classes sociales et de toutes les tendances politiques. La chute de l’ancien président Moubarak a brisé toutes les restrictions imposées aux fidèles afin de pratiquer librement leur foi.

En fait, ce Ramadan est différent, notamment les tarawih (prières surérogatoires) qui ont une saveur particulière. Et si le nombre des génuflexions est le même, les versets aussi et parfois les imams, un nouvel esprit a gagné les mosquées qui n’arrivent plus à contenir le nombre trop élevé de fidèles. Il est vrai que le fait de se rendre à la mosquée pendant ce mois de piété, pour faire la prière collective des tarawih, fait partie des mœurs des Egyptiens, mais cette affluence vers ces lieux de culte se justifie par leur libération de la poigne de la politique après la révolution du 25 janvier. Un vent de liberté a gagné les mosquées. « Nous sommes libres, notre religion est en accord avec cette liberté. Il n’y a pas de contrainte en religion comme le dit un verset. La liberté de pensée est un principe de l’islam. Suivez l’histoire : la civilisation islamique a donné des penseurs émérites. Et Dieu nous impose de réfléchir sur nos versets », s’époumone l’imam. Il avance que l’islam et le discours du prophète ont été mis au service de la révolution. Citant le Coran, l’imam entend démontrer que l’islam veille sur chacun, sur ses droits à vivre, dignement et librement. « Créé par Dieu, chaque être humain a le droit de s’exprimer », dit le cheikh, qui en vient à défendre les principes démocratiques. « Moubarak a ramené l’homme au rang d’insecte et a fait de sa lutte contre les autorités religieuses son cheval de bataille. Dans une démocratie, chaque être humain doit pouvoir choisir ses représentants », s’emporte-t-il.

En effet, durant la trentaine d’années de règne de Moubarak, une armée d’indicateurs était affectée dans les différentes mosquées. Les délateurs remettaient à leurs supérieurs des listes complètes de fidèles qui se rendaient régulièrement à la mosquée pour prier. D’inconcevables cordons de sécurité gardaient longtemps les entrées des mosquées, laissant hésitantes les personnes souhaitant y accéder. Sans oublier les prêches qui arrivaient directement du ministère des Waqfs (affaires religieuses). De plus, les mosquées comme celle d’Ahl Al-Sunna et d’Al-Gameiya Al-Chareiya étaient privées soit de prêche ou de pratique du culte d’eatékaf (séjour au sein de la mosquée pendant tout le mois ou les 10 derniers jours). Quant aux imams, ils n’osaient pas défier le pouvoir de Moubarak. Et les allusions à la politique étaient interdites dans les mosquées comme dans tous les lieux publics en Egypte. Autrement dit, à présent, les Egyptiens s’apprêtent à vivre librement leurs croyances avec la fin de la dictature. Les mosquées qui, sous le régime de Moubarak, n’étaient autorisées à ouvrir que durant les heures de prière, ouvrent leurs portes 24 heures sur 24. Elles débordent de jeunes fidèles et proposent désormais des tables rondes sur la religion, des débats sur le Coran et les hadiths. « Quel bonheur de venir quelques heures avant la prière pour se recueillir ! Avant, on ne pouvait pas se permettre de faire cela », se réjouit Ahmad, chirurgien qui ne quitte plus précipitamment la mosquée une fois ses prières terminées. Selon lui, le discours religieux a connu un changement radical en termes de contenu et de style. Les prêches du vendredi ou ceux prononcés lors des fêtes religieuses étaient dictés par l’Etat. Ils n’avaient rien à voir ni avec la vie des gens ni avec les préoccupations de la jeunesse. C’était des suppliques pour le président et une forme de propagande pour son régime, notamment lors des élections. « Ces dernières semaines, nous avons senti que les imams insufflent un nouvel esprit dans leur discours religieux, qui correspond aujourd’hui aux changements survenus dans notre pays », explique Ahmad.

Changement d’époque oblige. De plus, les personnes qui n’osaient plus mettre les pieds dans les lieux de culte, de peur d’être à nouveau filmées par les caméras et sanctionnées, assistent de nouveau aux prêches, même si certains hésitent encore à le faire.

Ahmad est un exemple de ces citoyens à qui la révolution du 25 janvier a offert un avant-goût de liberté. Torturé dans les geôles de Habib Al-Adely, ex-ministre de l’Intérieur, Ahmad vient de sortir après avoir purgé trois ans et huit mois de prison. Son crime : prier cinq fois par jour à la mosquée ! Aujourd’hui, il est libre, mais porte les marques des sévices subis en détention. Il ne peut pas oublier cette cellule d’un mètre sur deux, sombre le jour comme la nuit afin d’oublier toute notion du temps. « On m’interrogeait tous les jours, durant des heures. Et l’on me posait toujours les mêmes questions : Fais-tu la prière ? Depuis quand ? Dans quelle mosquée ? Combien de fois par jour ? Combien de temps ? De quelle manière ? Avec qui ? Qui prie dans ta famille ? », relate péniblement ce jeune homme qui souffre de nombreux troubles. C’est l’heure de la prière, mais pour Ahmad, il n’est plus question d’aller dans une mosquée. « Si je m’y rends, on va encore me jeter en prison », dit-il.

Des musulmans plus à l’aise

Autre signe évident de l’esprit de liberté qui prévaut après la révolution égyptienne : le retour de certains prédicateurs, autrefois interdits par l’ancien régime, au minbar des grandes mosquées, tels que Amr Khaled à la mosquée Al-Hossary, à la ville du 6 Octobre, et Omar Abdel-Kafi dans les mosquées de Mohandessine et de Madinet Nasr. Ce dernier est retourné au pays après 12 ans d’exil. Avant la révolution, ces deux prédicateurs étaient interdits de prêche dans les mosquées.

Levant les bras au ciel, des milliers de fidèles scandent « Oh Dieu » à l’unisson pendant les tarawih dirigés par le célèbre prédicateur Amr Khaled à la mosquée Al-Hossary. Des femmes, des hommes, des adolescents et même des enfants, tous à genoux et pleins d’espoir, récitent des prières pleines de gratitude. Autrefois installé à Londres, pour échapper aux pressions du régime, jaloux de sa popularité, Khaled, « ce prêcheur cool », est retourné à ses fidèles et les appelle à soutenir l’élan démocratique. Il dénonce le despotisme et l’injustice, et parle des libertés et de la manière de les préserver. « L’islam est une religion de dévotion, de paix et de tolérance. Ce n’est pas une religion d’extrémisme, contrairement à ce que certains laissent penser. Il a été révélé pour réaliser le bien-être de l’humanité et pour répandre les véritables valeurs de justice entre les gens », affirme-t-il. Celui-ci n’oublie pas de préciser que le Ramadan de cette année s’annonce particulièrement austère et difficile. D’abord, parce qu’il arrive en plein été, où les jours sont longs et où la soif se fait particulièrement sentir. Mais il y a aussi la guerre en Libye et la famine dans les pays de la Corne de l’Afrique qui rendent sa signification particulièrement plus forte, plus réaliste. « Face à la famine qui touche plus de 12 millions de personnes victimes de la plus grande sécheresse depuis soixante ans dans la Corne de l’Afrique, il est demandé à tout musulman de faire ressusciter l’esprit de ce mois, empreint de solidarité et de générosité, en apportant son soutien aux ONG mobilisées pour ce drame », explique-t-il. Avant de terminer son prêche, Khaled a fait, comme d’habitude, un discours qui a ému les fidèles. A l’entendre, plusieurs fidèles n’ont pu retenir leurs larmes, tant l’émotion était grande. A la fin de la prière, la plupart des fidèles rencontrés sur place se réjouissent de ce vent de liberté qui, pour eux, est un miracle. « Nous sommes enfin libres. Nous souhaitons que le gouvernement applique la justice », dit Samira, une étudiante à l’université qui, malgré sa décision de prendre congé de la politique durant le mois du Ramadan, a été obligée d’en discuter, surtout après avoir rencontré tous les jeunes de Tahrir à la mosquée. « Je pensais que la politique allait les occuper et qu’ils n’allaient pas se rendre à la mosquée, cela n’a pas été le cas », souligne-t-elle, tout en ajoutant que les tarawih de cette année revêtent un autre sens pour elle. Une certaine dose sentimentale positive. Quant à Nadia, elle confie que la prière collective des tarawih est une nouveauté pour elle. Cette fille, âgée de 17 ans, qui n’a jamais fait ces prières, a décidé de les respecter. Elle compte aussi participer à des actes de charité au sein de la mosquée. « Après la révolution, j’ai compris que chacun devait changer et j’ai commencé par moi-même durant ce mois de ferveur », précise-t-elle.

 

Une arme à double tranchant

Cependant, Dr Nadia Radwane, sociologue, pense que si les musulmans ont retrouvé une liberté de culte sans surveillance et sans obligations, et les imams aussi, ils doivent affronter à présent le danger des groupes religieux les plus conservateurs, qui viennent prier dans les mosquées. Certains sont violents. Ils veulent imposer leur vision de l’islam. Autrement dit, le mot « Dégage » a atteint, dès le 25 janvier 2011, les mosquées. De nombreux imams ont été « priés » de vider les lieux pour laisser leur place à d’autres. Ce n’est le choix ni du peuple ni de ceux qui fréquentent les mosquées. Ce sont les minorités islamistes agissantes qui ont pu imposer leur volonté à « la majorité silencieuse », souvent prise de court par les événements. En effet, les imams, comme tous les corps socioprofessionnels de l’Egypte, étaient sous les ordres du pouvoir despotique de Moubarak. Il y a même ceux qui dans leurs prêches ont qualifié la révolution égyptienne de « fitna » (discorde) et ont dit que le devoir religieux impliquait une obéissance aveugle au président (wali al-amr). Ces gens-là n’ont plus leur place dans la guidance spirituelle des musulmans. Mais cela ne donne aucun droit aux groupes politisés de mettre le grappin sur les lieux de culte, propriété de tous les Egyptiens. « Le phénomène de la politisation des mosquées est en train de prendre de l’ampleur. Après la vague de destitution des imams au début de la révolution, voilà que ces derniers annoncent la couleur en transformant les lieux de culte en des espaces de propagande politique, face au mutisme des autorités », explique Radwane.

Une mosquée située dans le quartier d’Imbaba a vu le nombre de ses fidèles régresser d’un jour à l’autre. L’imam de cette mosquée en est bien conscient et dans son prêche des tarawih, il s’étonne de cette désertion. Son ambition est de reconquérir de nouveau la sympathie des fidèles. Ce cheikh dit qu’il est contre la politisation des mosquées, mais il est aussi contre la dépolitisation de la religion. Cela se sent dans son prêche fortement politisé.

Hamed, ingénieur, a décidé de boycotter cette mosquée à cause du discours de cet imam salafiste. Chercher une mosquée dans laquelle il peut seulement pratiquer sa religion est devenu pour lui un calvaire. « J’en ai marre des débats sur la laïcité et sur la Constitution ... Il y a les médias pour ça. J’en ai marre de me sentir obligé de soutenir un parti politique en particulier et de m’imposer divinement, moyennant un verset du Coran à gauche et un hadith à droite, la position politique du même parti. C’est quoi ce terrorisme intellectuel ? », s’indigne Hamed. Et d’ajouter : « Aucune démocratie n’est viable dans un climat de rigueur religieuse. Les libertés  individuelles et collectives seront ses premières victimes. C’est pour cela que je ne voterai pas spécialement pour un parti islamique. Bien au contraire, l’islam ne se réduit pas à un parti ». Selon lui, rendre les mosquées à Dieu, et à lui seul, est une exigence démocratique. L’Egypte de demain se jouera, aussi, dans les mosquées.

Chahinaz Gheith

 




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