Al-Ahram Hebdo, Visages |  Randa Abu Bakr

  Président
Labib Al-Sebai
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

Nos Archives

 Semaine du 6 au 12 juillet 2011, numéro 878

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Nulle part ailleurs

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Idées

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Visages

Professeur de lettres anglaises, membre du mouvement du 9 Mars pour l’indépendance des universités, Randa Abu Bakr est la première doyenne élue à la faculté des lettres de l’Université du Caire. Elle prendra ses nouvelles fonctions en août prochain.

Madame la doyenne arrive

Dans les locaux de la faculté des lettres, les félicitations pleuvent. Et dans le bâtiment abritant la section lettres anglaises, un fonctionnaire presse le pas pour lui serrer la main et lancer : « Alf mabrouk » (mille félicitations). Souriante et émue, Randa Abu Bakr, professeur de littérature anglaise à l’Université du Caire, accueille tout le monde, reconnaissante. Elle apprécie le soutien de ses collègues, fière de voir aujourd’hui le changement au sein de la faculté, après les premières élections pour le poste de doyen. Des élections qu’elle a remportées à la mi-juin dernier. Allure et attitude modestes ne trahissent pas ses fonctions. Toujours de bonne humeur, elle est consciente de la rude tâche qui l’attend. « Les gens viennent me féliciter, surtout parce que c’est notre première expérience démocratique complète après la révolution », souligne-t-elle. Puis, d’ajouter : « On faisait des élections pour certains postes de responsabilité au sein de la faculté, jusqu’en 1993, mais c’était très limité. Après, c’était au président de l’université de désigner les doyens. Des années durant, plusieurs noms ont été imposés et de multiples décisions n’ont pas manqué de déplaire au corps enseignant ». Mais avec la révolution, tout est devenu possible. « Je rêvais de la révolution sans jamais savoir à quel moment elle interviendrait ». A partir du 25 janvier, Randa Abu Bakr se rendait tous les jours à la place Tahrir pour vivre la révolution au jour le jour. « Je voulais m’assurer que ces événements avaient vraiment lieu et qu’ils relevaient de faits réels. Je me disais même que si je ne rentrerais plus chez moi, je trouverais la mort ici », explique-t-elle avec beaucoup d’ardeur. Le rêve s’est donc concrétisé. Et pour la première fois, les agents de la sûreté de l’Etat, jusqu’ici très présents au sein des universités, ont disparu. « Après la révolution du 25 janvier, l’idée était de former un comité pour surveiller les affaires administratives de la faculté dans le but de redresser les choses. Il y avait aussi d’autres groupes formés par le corps enseignant et les administrateurs visant toujours une réforme donnée. Alors est née une coalition, issue de tous ces groupes, aspirant à des élections libres », explique-t-elle. Une campagne électorale a ainsi été organisée au mois de mars dernier. Randa Abu Bakr était parmi les sept candidats de la faculté des lettres. « Au départ, je ne pensais pas poser ma candidature. Je voulais simplement garantir l’intégrité des élections. Mais après de longues discussions avec des collègues et amis, je me suis résolue à la présenter ». Avec un programme électoral basé en premier lieu sur l’indépendance financière et administrative de la faculté des lettres, l’évolution de la bibliothèque, l’encouragement et le soutien des recherches et des échanges internationaux, la professeur l’a emporté.

Le combat électoral n’a pas été facile. Abu Bakr livrait bataille contre l’administration de l’université entière et non pas seulement au sein de sa propre faculté. Membre actif du mouvement du 9 Mars pour la réforme et l’indépendance des universités, les responsables la ciblaient plus que les autres. D’ailleurs, le résultat des élections a été très controversé. Certains ont rejeté la légitimité de ces élections. Et d’autres ont déclaré que la nomination à ce poste est une prorogative exclusive du président de l’université. Les propos du chef de l’Université du Caire, Hossam Kamel, révèlent sa prise de position. « La loi des universités accorde la nomination au poste de doyen au chef de l’université, mais ne nie cependant pas la possibilité d’élections. A travers elles, on offre au chef de l’université une sélection approuvée par le corps enseignant et on aspire à ce qu’il désigne le nom final. J’ai rencontré le président de l’université, il m’a dit qu’il ne rejetait pas les élections et qu’il approuvait le résultat, expliquant que ces propos étaient mal interprétés », explique-t-elle.

C’est donc une première dans l’histoire de la faculté des lettres du Caire. Une femme devient doyenne, mais c’est aussi la plus jeune doyenne de la faculté. Un défi ? Certes, mais Abu Bakr en a l’habitude. En fait, elle s’est toujours lancée dans ce genre d’expériences, tâchant d’en profiter au maximum.

Le baccalauréat en poche, elle a opté pour la faculté des lettres. « Mon père et mon grand-père étaient tous les deux diplômés de la faculté de Dar al-oloum, des spécialistes de littérature arabe. Mon père était poète. C’est grâce à lui que j’ai aimé la poésie. Sa bibliothèque regroupait des ouvrages littéraires et des traductions vers l’arabe. J’hésitais entre lettres arabes et psychologie, étant tentée par l’idée de mieux percer l’âme humaine et de comprendre autrui. Mon choix final fut l’étude des lettres anglaises ». En fait, ce dernier choix constituait un vrai tournant dans la vie de la jeune Randa. « Après une profonde réflexion, j’ai dit : la littérature arabe sera toujours présente à travers mes lectures. La psychologie aussi grâce aux différents essais. Mais les lettres anglaises constituaient un nouveau domaine à franchir, allant à la découverte d’un autre monde et à la maîtrise d’une autre langue ». Car la jeune Randa était formée dans une école publique où les langues étrangères n’étaient étudiées qu’au cycle secondaire.

Randa Abu Bakr se souvient parfaitement de son premier cours à la section des lettres anglaises. Une vraie catastrophe. « Au cours de cette première séance, j’ai constaté que je comprenais bien ce que le professeur disait en anglais, mais que je n’arrivais pas à parler l’anglais. J’étais entourée de jeunes formés dans des écoles de langues. Le lendemain, j’ai vu le professeur et je lui ai expliqué que je ne voulais plus faire partie de la section. Il m’a conseillé de patienter et d’assister aux cours jusqu’à la fin du premier semestre », raconte-t-elle, avec beaucoup de gratitude, se rappelant son professeur qui a tout de suite vu en elle une force et une persévérance qu’elle n’imaginait pas.

Première de sa promotion et enfin diplômée, elle a été choisie pour faire partie du corps enseignant. De quoi lui déplaire, car à l’époque elle voulait faire une carrière de traductrice. « J’aimais la traduction et je voulais devenir à la fois interprète et traductrice littéraire. J’ai présenté alors au chef du département, Abdel-Aziz Hammouda, des excuses écrites. Il a essayé de me convaincre, en vain », lance-t-elle. Sortie de son bureau, elle était heureuse d’avoir réalisé un exploit, saluant toutes les personnes qu’elle croisait sur son chemin vers la maison. Deux jours après, la nostalgie lui rongeait le cœur. « Tout me manquait et je me sentais incapable de quitter la faculté. C’était très émotionnel. Après avoir réfléchi, j’ai décidé d’exercer la traduction, d’accepter d’enseigner et de poursuivre des études supérieures », sourit-elle.

De nouveau, elle retrouve son chef de département qui l’a accueillie avec un grand sourire sur les lèvres, répétant : « J’en étais sûr. J’avais gardé ta lettre dans mon tiroir ».

Randa Abu Bakr s’est complètement adonnée à ses études et recherches académiques. Spécialiste de poésie, elle évoquait dans son master la poésie aux temps de la guerre mondiale. Et sa thèse comparait la littérature africaine, égyptienne et anglaise. En outre, elle a suivi des formations pour professeurs à l’Université américaine, bénéficié de bourses d’études aux Etats-Unis et dans d’autres pays. Les recherches et promotions se succédaient. Ainsi, Randa est devenue la plus jeune à se dédier au professorat.

En rapport direct avec les étudiants, Abu Bakr lance la revue poétique Muse, dans laquelle elle publie les poèmes anglais et arabes écrits par les jeunes. « Beaucoup d’étudiants me recherchaient pour me montrer leurs petits poèmes et me demandaient mon avis ». Muse était alors une tentative de mettre en valeur leurs œuvres et de les aider à mieux s’exprimer. Aujourd’hui, la revue s’est développée grâce aux contributions des étudiants. La professeur se contente de suivre son évolution, de loin.

En août prochain, Randa Abu Bakr doit prendre ses nouvelles responsabilités de doyenne. « Ma contribution dans la vie académique est reconnue, il est donc temps de s’adonner à l’administration et de faire quelque chose pour le bien de la faculté. A travers le mouvement du 9 Mars, j’ai eu la chance de bien étudier les lois des universités et d’accumuler de multiples expériences », souligne-t-elle. Sa tâche est assez ardue, puisqu’elle a engagé un plan de réforme, repensant les règlements de la faculté. S’ajoute à cela le défi de l’indépendance financière.

Et avec toutes ses nouvelles tâches, elle rêve toujours d’avoir du temps pour elle. « Le temps réservé aux loisirs, à ma famille, mes amis est très important. Je n’aime pas que les gens se perdent en travaillant », dit Randa, encore célibataire. Loin de l’enseignement, elle adore jouer du luth et a déjà suivi plusieurs cours au Centre du développement des talents à l’Opéra du Caire et à la Maison du luth avec Nassir Chamma. Ce sont ces moments de musique qui lui procurent d’autres moments de joie.

May Sélim

Retour au sommaire

Jalons

1966 : Naissance au Caire.

1988 : Diplôme de la faculté des lettres anglaises de l’Université du Caire.

1998 : Thèse de doctorat.

2005 : Membre du mouvement du 9 Mars pour l’indépendance des universités.

2007-2009 : Bourse en Allemagne.

2011 : Première doyenne élue à la faculté des lettres de l’Université du Caire.

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Héba Nasreddine
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.