Coupures de presse.
A lire la presse, l’heure est à la déprime. Beaucoup
d’éditos crient à la perte de la révolution, ou appellent à
retourner place Tahrir. L’appel au sit-in ouvert le 8
juillet dans toute l’Egypte fait boule-de-neige malgré les
divergences autour de ses revendications. L’été s’annonce
chaud, et surtout inquiétant.
Le changement a du mal à se conjuguer au présent
« Y a-t-il quelque chose qui a changé ? », questionne le
philosophe et penseur Hassan Hanafi dans son article publié
dans l’hebdomadaire Al-Arabi de tendance nassérienne. Il
revient sur le jour où les télévisions ont diffusé les
images du premier Conseil des ministres après la chute de
Moubarak, lorsque le grand portrait de ce dernier a été
décroché du mur et remplacé par un tableau portant le nom
d’Allah (Allah Galla Galalouhou : Au-dessus de tous,
incomparable). « Le président Dieu a été remplacé par le
Dieu président … Rien n’a changé ni dans la structure de la
pensée ni dans la psychologie du citoyen. La forme a changé,
mais pas le fond. Le Dieu est personnifié tout comme la
prophétie a été personnifiée en la personne du prophète. La
personnification s’est étendue à toutes les facettes de la
vie, l’administration est le directeur et le ministère est
le ministre, l’école est le proviseur, la rue est le
policier, le bus est le chauffeur et la famille est le père.
Et si le président est fini, tout se termine avec lui ».
Pour lui, cette structure mentale qui n’a pas changé a
oublié que Dieu, selon le Coran, est justice, égalité,
développement et libération des peuples des jougs de
l’oppression. « Et si on avait mis un tableau avec
l’inscription : La justice est le fondement de la
gouvernance (al-adl assas al-hokm), on aurait pu dire à ce
moment qu’il y a un changement dans la structure culturelle
de la compréhension du concept de la gouvernance. Et comme
rien n’a changé dans la structure politico-culturelle, il y
a encore de la torture dans les postes de police, et les
anciens conseils municipaux sont toujours actifs, ni le
peuple ni la révolution n’ont pu les changer. Les cours
militaires sont toujours là et n’ont pas été affectées par
les notions de citoyenneté et d’Etat de droit. Et les sbires
de l’ancien régime espèrent toujours reconquérir le pouvoir
et l’argent. Les mêmes chansons et publicités médiocres
envahissent encore les médias comme si rien n’avait changé.
L’art spontané et nouveau, généré par la révolution sur la
place Tahrir, ne s’est pas transformé en art populaire
médiatisé par lequel l’esprit de la révolution se transmet à
l’esprit de l’Etat ». Il en conclut que si la révolution de
janvier a connu le succès sans idéologie préalable, elle a
besoin maintenant d’une pensée révolutionnaire qui
transforme l’expérience vivante en culture politique, pour
ne pas perdre tout espoir de continuité.
Dans un édito sur les pages du quotidien Al-Shorouk,
l’écrivain Waël Qandil titre : « Toutes les routes mènent à
Tahrir ». Il juge que « de gros nuages sombres s’accumulent
dans le ciel de l’Egypte et il est à craindre que l’on soit
dans l’attente d’un ouragan ». Pourquoi ? Selon l’auteur, la
révolution a été spoliée et n’a pas eu le temps de mûrir, «
ce fut une opération d’endiguement réussie et ceux qui l’ont
exécutée ont eu l’air de dire aux révolutionnaires : rentrez
chez vous et nous donnerons ce que vous réclamez. Or, les
jours ont passé et les mois aussi sans que les gens sentent
un changement qui égale le prix consenti ». Il va plus loin
en affirmant que la scène actuellement ressemble beaucoup à
ce qui prévalait avant le 25 janvier. « Le thermomètre s’est
remis à chauffer par le fait de la colère au point où nous
arrivons au point de l’explosion encore une fois. Toutes les
demandes de nettoyage du régime ont été ou détournées ou
bloquées. Les hommes de Gamal et Suzanne Moubarak sont
toujours là et bénéficient de la priorité dans les
nominations gouvernementales. Il suffit de mentionner le
nouveau ministre des Affaires étrangères. Sans oublier les
conseils municipaux et autres … ». Il écrit également que
les hommes de Moubarak se sont mis au service du Conseil
militaire et jouent les mêmes rôles.
Et la colère gronde du côté des jeunes de la révolution qui
ont lancé un appel il y a quelques semaines à un sit-in
ouvert le 8 juillet prochain. « Les jeunes de la 2e
révolution de la colère ont annoncé que la manifestation
aurait pour nom Le vendredi des martyrs et pauvres de
l’Egypte et que l’objectif premier est de sauver la
révolution au moment où il y a un recul visible dans la
réalisation des demandes de la révolution. Le pays vit
actuellement des événements qui montrent que la révolution
va se perdre. Des voix s’élèvent pour dire que la révolution
n’a rien réalisé au moment où il n’y a pas de volonté
politique de la part de ceux qui dirigent le pays de vouloir
le changement total. On nous pousse à accepter des moitiés
de solutions alors que les forces politiques sont dispersées
», rapporte Al-Masry Al-Youm.
Loin de ce tumulte autour de l’avenir de la révolution, un
prisonnier dans la prison de Wadi Al-Natroun a pris le
devant en entamant une grève de la faim, pour réclamer
d’obtenir le même traitement que Hosni Moubarak et d’être
transféré à l’hôpital de la prison de Torah ou à celui de
Charm Al-Cheikh. « Le prisonnier souffre, selon sa sœur, de
maux dans le dos et de problèmes cardiaques et a subi une
opération. Elle affirme avoir demandé le transfert de son
frère à l’hôpital, ce que l’administration carcérale a
refusé. Le prisonnier a commencé la grève de la faim le 24
mai dernier et se nourrit de jus seulement », rapporte Al-Shorouk.
Les jeunes membres de la confrérie des Frères musulmans ont
eux aussi décidé de faire leur révolution en créant une page
Facebook pour s’opposer « au despotisme des dirigeants de la
confrérie ». Ils ont appelé leur page Ne discute pas et ne
polémique pas, écrit Al-Masry Al-Youm. Comme quoi la
révolution a, malgré tout, semé des germes …
Najet
Belhatem