Agriculture .
Pour la première fois en Egypte, un syndicat pour défendre
les droits des paysans voit le jour. Une lueur d’espoir pour
cette tranche longtemps marginalisée. Reportage.
Une vie à refaire
Pour la première fois dans l’histoire du pays, un syndicat
des Paysans se met en place. C’est Mohamad Abdel-Qader,
43 ans, qui en est le président. C’est un paysan qui a
toujours été préoccupé par l’avenir de l’agriculture en
Egypte et a toujours rêvé de défendre les droits de cette
tranche de la population. « Enfin, nous avons eu droit à un
syndicat des Paysans. Cette tranche, qui à mon avis est un
trésor national, a longtemps été négligée par l’ancien
régime », affirme Abdel-Qader.
Il espère atteindre son objectif prochainement, celui d’être
le porte-parole de tous les paysans d’Egypte.
Elu pour 5 ans, il ne cache pas son inquiétude face à
l’avenir de l’agriculture. Pratique, il travaille en chemise
et pantalon au lieu de porter sa djellaba, la tenue
traditionnelle. Il se déplace dans les villages des
alentours de la ville de Noubariya
avec un dossier à la main renfermant tous les documents
concernant les problèmes des paysans égyptiens version
électronique.
Le conseil d’administration de ce nouveau syndicat est
composé de 7 paysans, issus de divers gouvernorats du Delta
en attendant que d’autres membres de la Haute-Egypte y
adhérent.
Beaucoup de problèmes entravent la vie des paysans à
Noubariya tout comme dans
plusieurs régions rurales en Egypte. Mais la particularité
de Noubariya est que c’est une
région aride, ce qui rend la mission de ses paysans plus
ardue. Dans cette zone du Delta, l’Etat avait octroyé des
parcelles de terre dans le cadre d’un projet pour jeunes
diplômés, afin de cultiver et multiplier les terrains
agricoles.
Lorsque Abdel-Qader
a eu son diplôme, l’Etat lui a attribué 5
feddans. Il a été l’un des
premiers à s’installer à Noubariya
alors qu’il est originaire de Béheira,
au Delta. Tous ces jeunes diplômés ont dû s’installer dans
cette ville parfois avec leurs parents pour les aider à
cultiver leurs parcelles de terre.
Si aujourd’hui l’annonce de la création d’un syndicat pour
les paysans donne une lueur d’espoir, elle ne semble pas
leur faire oublier les jours amers. L’ancien régime —
surtout à l’époque de l’ancien ministre de l’Agriculture
Youssef Wali — a joué un rôle-clé dans la dégradation de
l’agriculture en Egypte. « Ce vieux renard a suivi
l’expérience israélienne, néfaste pour la santé des citoyens
», dit Hassan, un paysan, en levant les deux mains vers le
ciel pour implorer Dieu de punir ces responsables qui ont
mis en faillite l’agriculture en Egypte. « Insecticides,
engrais chimiques et grains avariés ont causé beaucoup de
tort à nos cultures », poursuit-il.
Son voisin partage son avis. Il n’hésite pas à aller
chercher un sac de jute rempli de grains verdâtres que les
paysans achètent à 120 L.E. les 5 kilos. En plus des frais,
ce qui chagrine ce paysan c’est qu’au moment de la moisson,
seul un tiers de la culture est consommable : tout le reste
est bon à jeter.
Que ce soit à Noubariya ou
ailleurs, de plus en plus de paysans ont du mal à subvenir à
leurs besoins. Au lieu de préparer leurs galettes de pain à
la maison, ils sont obligés d’en acheter ou de se procurer
de la farine à 3,5 L.E. le kilo et du riz à 4 L.E. pour
nourrir leurs familles.
Non loin de Hassan, penché sur sa
parcelle, Khadra, mère de 4
enfants, se plaint de la cherté de la vie. Pour cette pauvre
paysanne, il faut au moins 40 L.E. par jour pour acheter le
minimum de ses besoins en produits alimentaires. Elle jette
un regard triste vers la seule pièce de 50 m2 qu’occupe
toute sa famille. Son mari ne possède qu’un demi-feddan.
Il y cultive des oignons et de l’ail qui lui rapportent très
peu d’argent. Khadra aurait
préféré cultiver du blé, mais cela n’a pas été possible sous
le gouvernement d’Ahmad Nazif. «
Bien que le blé soit un produit essentiel, l’ex-gouvernement
a consacré la partie la plus importante du budget pour la
culture des bananes », affirme l’ingénieur en agriculture
Mohamad Abbass à la ville de
Noubariya.
En plus du budget modeste consacré à l’agriculture, d’autres
problèmes rendent la vie plus dure aux paysans égyptiens.
Hadj Mohamad Al-Ghali trouve que les prix des engrais
chimiques sont excessivement chers. « Le prix d’un kilo peut
atteindre 140 L.E. J’espère que l’on appliquera de nouveau
l’ancien système qui permettait à chaque paysan d’avoir un
quota fixe en engrais », confie Al-Ghali.
Ce vieux paysan se demande pourquoi le gouvernement
privilégie les grands investisseurs au détriment des petits
paysans. Une question que le nouveau président du syndicat
des Paysans considère comme étant une priorité. « Le
recyclage des ordures est une bonne source pour obtenir des
engrais naturels. Cela va réduire l’utilisation
d’insecticides et permettre en même temps de nettoyer
l’Egypte de ces ordures qui encombrent les rues », précise
Abdel-Qader qui a l’intention de
présenter ce projet au ministère de l’Environnement comme
premier pas pour améliorer la situation des paysans.
Ici, les paysans aspirent à ce que le président du syndicat
parvienne à créer des centres de recherche agricoles dans
les zones rurales et non pas dans la capitale où personne
n’est concerné, ce qui était le cas auparavant. « Nous
étions obligés d’attendre longtemps afin qu’un responsable
puisse nous recevoir et nous écouter. On n’a pas de
véritable centre de recherche qui puisse rendre service à la
fois à l’agriculteur et à l’agriculture », explique Abdel-Qader.
Pour la première fois, Abdel-Qader
a assisté à une réunion avec le premier ministre
Essam
Charaf et lui a fait part des tracas des paysans
égyptiens. Une réunion qui a porté ses fruits et qui a été
suivie par un grand nombre de décisions importantes en
faveur des paysans.
A Noubariya, les terres
sablonneuses nécessitent un arrosage continu suivant la
technique du goutte à goutte.
Hadj Al-Ghali a dû payer tout seul les frais de réparation
d’une pompe à eau, et cela lui a coûté 4 000 L.E. car si ses
plantes ne sont pas arrosées durant 2 jours, elles risquent
de mourir. Et ce, sans compter les factures exorbitantes
d’électricité. « Nous voulons que justice soit faite et ne
payer que 80 L.E. par an pour le feddan
comme les grands propriétaires agricoles », revendique Al-Atfy,
un paysan.
Manque d’eau pour irriguer les terres à l’exemple de
Ménoufiya et de
Daqahliya, terres salines à Al-Wadi
Al-Guédid, sans oublier
l’injustice dont font l’objet des paysans quant à la
distribution des engrais, la liste des soucis des paysans
est longue.
Ils évoquent encore les catastrophes naturelles qui les
empêchent de faire une bonne moisson. « Une fois, en plein
mois d’avril, il est tombé de la grêle, ce qui a abîmé les
fruits, comme le raisin et la pêche. Nous voulons que l’on
mette à notre disposition un fonds de dédommagement pour les
catastrophes naturelles », revendique Mahmoud, un autre
paysan. Abdel-Qader propose que
le gouvernement crée un fonds de solidarité tout en
sensibilisant les hommes d’affaires à ce sujet.
Laissés-pour-compte
La mission de ce premier président du syndicat va être
ardue. Il doit non seulement se concentrer sur les problèmes
de terrain mais aussi sur les conditions de vie des paysans.
Longtemps victimes de négligence, cette tranche de la
population aspire à ce que le nouveau gouvernement se penche
sur leurs problèmes quotidiens. « Ma fille a mis au monde
son fils dans un tok-tok
car l’hôpital est distant de 40 km de
Noubariya. Pour faire ce trajet, il faut au moins une
heure et demie de route », explique Oum
Kawsar.
Sa voisine Oum Ahmad s’entretient avec le pharmacien, dans
la seule pharmacie à Noubariya,
pour lui donner des médicaments. « Je remercie Dieu car
cette pharmacie est proche de chez nous », lance-t-elle tout
en précisant que l’école préparatoire et secondaire se
trouve dans la ville de Noubariya,
loin de son hameau. Une raison pour laquelle beaucoup de
familles préfèrent envoyer leurs enfants
travailler dans les champs au lieu d’aller à l’école.
Si l’Etat a consacré un terrain pour construire un hôpital
et une école, pas une brique n’a été posée pour ce but afin
de faciliter la vie à ces citoyens.
Une négligence qui a poussé les paysans à devenir plus
exigeants vis-à-vis de leurs représentants au Parlement. «
Celui qui va nous représenter ne doit être ni un officier ni
un conseiller mais un paysan comme nous. N’importe qui
possédant un terrain agricole pouvait présenter sa
candidature en tant que paysan alors qu’il ignorait tous nos
problèmes », affirme Abdel-Qader
qui confie n’avoir jamais vu un député rendre service aux
cultivateurs. Ces députés considéraient les problèmes des
paysans comme un casse-tête et ne voulaient jamais leur
prêter l’oreille.
Aujourd’hui, les rêves de ce président du syndicat sont sans
limites. Il tente, avec l’aide du ministère de
l’Agriculture, de former chaque année 50 paysans de chaque
gouvernorat pour les mettre au courant des dernières
techniques en matière d’agriculture et de commercialisation
de leurs produits agricoles.
Il arrive en effet souvent que la moisson soit bonne, mais
les paysans éprouvent des difficultés à l’écouler. « Nous
voulons des points de vente dans tous les gouvernorats pour
alléger le fardeau du transport », commente
Hamdi, membre du conseil
d’administration du syndicat des Paysans. « L’agriculture
est notre seule ressource, on pourrait être plus qualifiés
que les hommes d’affaires qui monopolisent l’exportation
afin de servir leurs propres intérêts et non pas ceux de la
population », conclut Mohamad, le regard plein d’espoir.
Dina
Ibrahim