Al-Ahram Hebdo, Visages | Nelly Hanna

  Président
Labib Al-Sebai
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad
  Conseiller de la rédaction
  Mohamed Salmawy

Nos Archives

 Semaine du 6 au 12 avril 2011, numéro 865

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Opinion

  Société

  Arts

  Idées

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Visages

Chef du département des civilisations arabe et islamique à l’Université américaine du Caire, Nelly Hanna est historienne des « gens » qui créent la culture des peuples et des nations. Elle révèle un savoir diversifié pour nous expliquer les articulations d’une société en marche.

Les rois ne font pas l’Histoire !

Au numéro 5 de la rue Mohamad Anis, l’une des rues les plus calmes à l’est du quartier chic de Zamalek, se trouve un magnifique immeuble cossu en briques rouges, de style italo-égyptien, à la manière des mélanges architecturaux modernes des années 1930. Sur la façade, une inscription en latin dit à peu près combien il fait bon vivre en dehors de la ville, mais toutefois à proximité du centre. Un jardinet sépare la grille métallique sur le trottoir de l’entrée du bâtiment. C’est là qu’habite Nelly Hanna.

Avant d’être une éminente professeure d’histoire dont la recherche est consacrée notamment aux XVIIe et XVIIIe siècles au Caire, Nelly Hanna se distingue par une modestie sans pareil (n’est-ce pas celle inhérente aux véritables savants ?), un franc-parler doté d’une exceptionnelle courtoisie, digne de sa classe. Cette femme au grand cœur est issue d’une grande famille bourgeoise, terrienne, originaire de Louqsor. Son père était membre du Sénat. Avec quatre sœurs et deux frères, elle est la seule à avoir fréquenté un établissement scolaire laïque anglophone, l’English School. A la maison, on parlait français avec la mère. Dans cette famille nombreuse, les enfants étaient élevés de manière très conventionnelle, pour ne pas dire stricte : rares sont les permissions de sortie, rares encore ou presque interdites les soirées entre amis ; on leur inculque surtout le respect des traditions. Les us et coutumes fournissent les règles de la bienséance, du « ce qui se fait et ce qui ne se fait pas ». Au début des années 1950, leurs terres sont confisquées, mais la famille maintient néanmoins un train de vie respectable. « De toute manière, je fais partie de la génération de la révolution », aime-t-elle affirmer.

Après avoir subi ce genre d’éducation, on pourrait croire que l’imagination tient peu de place dans la tête des jeunes filles. C’est ainsi qu’à l’âge de seize ans, ayant terminé ses études scolaires, Nelly se dirige, plutôt suit-elle (why not, s’était-elle dit) les pas de son aînée à la section de langue et littérature anglaises à l’Université du Caire. Elle part ensuite pour les Etats-Unis où elle obtient son « MA ». Rentrée au Caire, elle constate que la littérature ne mène à rien. Nous sommes en 1973, c’est la guerre. Engagée auprès du Croissant Rouge, elle y découvre un autre monde ; elle comprend de façon pratique ce qu’elle lisait dans les journaux : la nature du conflit israélo-arabe, ses aspects politiques, mais surtout humains : échanges de prisonniers, détenus politiques, torture dans les prisons de l’Etat hébreu. Entre-temps, elle reprend ses études à l’Université américaine et présente un exposé sur le quartier de Boulaq qui constituera plus tard le sujet de sa thèse de magistère (publiée par l’IFAO). Comment et pourquoi cette zone éloignée du Caire en 1300, acquerra une importance primordiale et deviendra, au niveau commercial, la zone la plus importante de la ville ? Boulaq jouera un rôle économique crucial avec son port et ses impressionnantes bâtisses édifiées par les gouverneurs ottomans en 1517. Nelly Hanna traite le sujet à travers ses dimensions historiques, sociologiques et urbaines. « Je ne me suis jamais intéressée à l’histoire chronologique », dit-elle, pour expliquer son parti pris et justifier sa démarche thématique.

Elle partira ensuite à Aix-en-Provence pour préparer sa thèse de doctorat. Elle y rencontre André Raymond (professeur émérite à l’Université de Provence, spécialiste de l’histoire de l’Empire ottoman et de l’histoire des villes arabes). Cette rencontre académique marquera autant sa vie de chercheuse que sa vie personnelle. « L’amitié, qui se crée entre élève et professeur et qui perdure au-delà de la rédaction de la thèse, est un rapport exceptionnel. J’ai gardé de même de profonds liens avec mes collègues ». Quand elle parle ainsi, Nelly dévoile sa générosité affective et son penchant pour le travail collectif. Son sujet, elle l’avait esquissé durant ses longues marches dans le quartier de Boulaq : « J’y avais découvert des maisons mignonnes, belles et modestes. Des maisons de famille, inconnues, qui ne figurent pas dans le registre des maisons classées, qui n’ont rien à voir avec le grand palais de Taz ou la demeure de Gayer Anderson ». Hanna leur rend hommage dans Habiter au Caire : La maison moyenne et ses habitants aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elle y décrit le lieu, la fonctionnalité de l’espace, le type de voisins, et surtout l’existence de W.C. « L’architecture exprime beaucoup de choses : fermeture, ouverture, porte communicante, hauteur des fenêtres, accès vers l’extérieur … sont autant de points de repères pour reconstituer la vie de ces familles moyennes, probablement de petits commerçants ou de grands artisans ». Et c’est en fouillant dans les archives peu fournies, à la recherche d’éventuels propriétaires, que lui apparaît à maintes reprises le nom de Abou-Takiya. Ainsi, de fil en aiguille, ce dernier, comme sa femme et ses enfants, seront l’objet d’une étude sur la saga d’une famille, celle d’un grand commerçant d’épices et d’étoffes (lin et coton de tous genres, exportés jusqu’aux Amériques, en passant par la France !). Ce sera aussi l’occasion de mieux comprendre la situation commerciale, financière et économique de l’époque. « Une façon de connaître l’Egypte, quand ce pays était l’un des plus grands exportateurs de sucre et de cuir ». Il est évident que Nelly Hanna s’intéresse aux gens qui font l’Histoire et non pas aux rois qui tyrannisent les gens. En 2004, elle obtient le prix d’Excellence in Research and Creative Endeavors de l’Université américaine au Caire.

Bientôt va paraître son dernier opus Les artisans … sur ses deux siècles de prédilection (XVIIe et XVIIIe). Mais il ne faut pas croire que Nelly Hanna est tout le temps à son bureau à rédiger des articles, préparer ses cours, corriger les épreuves de ses livres et que son activité intellectuelle la garde le plus souvent à l’intérieur de son élégant appartement tapissé de livres. Dans sa cuisine, qui est aussi avenante et paisible que le reste de la maison, nous dégustons une glace au yaourt couverte d’un coulis de mûres : « J’ai été tous les jours à la révolution ». Tous les jours à la place Tahrir.

Nelly Hanna est une « indépendante », elle n’est affiliée à aucun groupe ; cependant, elle a toujours participé aux manifestations appelées par Kéfaya, le Mouvement du 6 Avril ou encore Nous sommes tous Khaled Saïd. Quand elle arrive le 25 janvier devant l’ordre des Médecins rue Qasr Al-Aïni, elle ne se doute de rien. Une manifestation comme les autres. Mais petit à petit, elle commence à réaliser que les activistes, ce jour-là, organisent la coordination avec d’autres manifestants à Guiza en utilisant leurs portables qu’ils ont enfoncé les barricades de la police. « J’entendais autour de moi un nouveau langage : Cassez les barrières de la peur ». Le lendemain, elle commence son périple à partir de la place Moustapha Mahmoud. La situation a l’air d’être bien plus ordonnée que d’habitude, même si les dirigeants contestataires ne sont pas visibles. Très vite, tout le monde contourne les barrières humaines composées de flics abasourdis. Nelly n’arrive pas à courir aussi vite que les autres ni à sauter les petites grilles qui entourent les trottoirs. On la porte. Elle rejoint la foule sur le pont Qasr Al-Nil. C’est le massacre. « Je ne pensais pas encore que c’était possible (la révolution et la chute du régime). Tous les soirs, vers 23h, Moubarak battait retraite, faisait des concessions. Et je pensais, de plus en plus, qu’il fallait continuer à résister, à occuper la place Tahrir ». Ainsi, elle a été là, durant 18 jours, avec ces gens qui étaient en train de changer la face de l’histoire de l’Egypte. Une deuxième République naissait.

Aujourd’hui, « même si j’ai des inquiétudes à l’égard de l’ancien régime vaincu, de leur business, des islamistes, plus que les Frères musulmans, ce qui me donne de l’espoir, dit Nelly Hanna, c’est que les principes de la révolution sont en train de s’intégrer aux différentes institutions, que ce soit à l’intérieur de l’université ou de la télévision. Même dans les écoles où les élèves crient A bas les devoirs ! J’ai confiance dans l’avenir quand je sais que les candidats pour la présidence sont des gens comme Bastauissi ou Baradei ».

Aurions-nous négligé une question ? « J’aimerais insister sur le fait que j’aime travailler avec les jeunes. Avec eux, on a organisé un séminaire mensuel. Cet échange me donne pleine satisfaction ».

Menha el Batraoui

Retour au sommaire

 Jalons

1981 : Rencontre avec André Raymond qui lui ouvre de nouvelles perspectives.

1991 : Entrée à l’Université américaine comme professeure, qui lui donne l’opportunité de travailler avec les jeunes.

 

 

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.