Archéologie .
L’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture
(Unesco) a envoyé une mission spéciale au Caire pour aider les Egyptiens à
lutter contre le trafic des biens culturels et mettre sur la liste rouge les
objets volés.
Une sonnette d’alarme face aux pillages
Le
bilan total des pillages des antiquités en Egypte, qui est à ce jour encore
inconnu, est déjà assez lourd. Rien qu’au Musée du Caire, 37 objets manquent
toujours après la récupération de 17 pièces au cours des dernières semaines. Mais
aussi des sites archéologiques à travers le pays ont témoigné des opérations
organisées de pillage. Suite au colloque international pour célébrer le 40e
anniversaire de la Convention sur le trafic illicite des biens culturels qui s’est
tenue à Paris les 15 et 16 mars, l’Unesco a officiellement appelé donc à la
mobilisation internationale pour sauver ces trésors et tenter de retrouver les
œuvres volées avant qu’elles ne soient vendues. « D’un côté, il faut protéger
les sites archéologiques contre les pilleurs et, de l’autre, il faut pister les
antiquités volées avant qu’elles ne soient vendues sur le marché de l’art »,
indique Irina Bokova, la directrice générale de l’Unesco, qui s’est déclarée
inquiète et a fait part « d’informations alarmantes » concernant les pillages
des sites archéologiques et des musées égyptiens. Elle a, entre autres,
encouragé les autorités égyptiennes à prendre des mesures concrètes, afin de
protéger les sites archéologiques.
Et
c’était lors de ce colloque international que l’on a décidé d’envoyer une
mission d’experts au Caire pour travailler avec les Egyptiens.
Outre
la directrice générale de l’Unesco, cette réunion a regroupé des experts de
l’Organisation mondiale des douanes, l’Interpol, le Centre international
d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM),
le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), le Conseil
international des musées (ICOM), le World Monuments Fund et de nombreux experts
indépendants.
Ainsi,
une mission spéciale d’experts s’est rendue sur place au Caire, afin de
s’informer de la situation, rencontrer les responsables des ministères de la
Culture, évaluer le besoin d’aide, notamment en matière de lutte contre le
trafic de biens culturels, et élaborer un plan d’action global à moyen et à
long termes pour la protection du patrimoine culturel. Cette mission d’experts
a regroupé Christian Manhart, du bureau de l’Unesco de Paris, Costanza de
Simone, du bureau du Caire dirigé par Dr Tareq Chawqi, et France Desmarais,
représentant le Conseil international des musées (ICOM). Des experts égyptiens
ont aussi accompagné la mission de l’Unesco dans sa visite aux sites
archéologiques et aux musées du Caire. Citons, entre autres, Mohamad
Abdel-Fattah, directeur du département des musées, Tareq Al-Awadi, directeur du
Musée égyptien, et Gihane Zaki, du Fonds des antiquités de la Nubie. Cette
dernière a aussi participé au Colloque international de Paris. « Nous avons
besoin d’une intervention d’urgence pour protéger le patrimoine, un peu comme
cela s’est fait dans les années 1960 au moment de la construction du
Haut-Barrage à Assouan. Il faut aussi sensibiliser les gens et les former,
notamment les gardiens », explique Gihane Zaki.
En
passant en revue la situation du patrimoine culturel en Egypte, les experts ont
souligné que les principales difficultés tenaient au manque d’informations
fiables à propos des sites et institutions du patrimoine culturel, à
l’interruption des relations de travail établies antérieurement avec les
institutions et personnes-clés au plan local, au risque de voir le patrimoine
culturel négligé, compte tenu des urgences économiques et sociales, et aux
changements encore en cours. Guillemette Andreu-Lanoë, directrice du
département des antiquités égyptiennes du Louvre, a souligné, de son côté, que
les pillards vont dans les endroits reculés, comme les sites sauvages des
pyramides de Dahchour, Abou-Sir et Saqqarah, où il n’y a personne. D’où la
difficulté d’intercepter les voleurs.
Le
ministère d’Etat pour les Affaires des antiquités a publié le 15 mars 2011 une
liste définitive des objets volés au Musée du Caire, en janvier dernier, lors
des manifestations politiques. Statues, vases, sculptures en bronze ou en bois
doré. Une enquête officielle est actuellement en cours, pour dénouer l’écheveau
récit de ce vol et savoir ce qui s’est passé, dont gardiens et policiers sont
soupçonnés.
L’Unesco
a également énuméré les nombreux sites qui ont été pillés depuis les
manifestations politiques. Des bas-reliefs ont été découpés à la scie à
Saqqarah, des vols ont été commis à Kafr Al-Cheikh, à Saqqarah, à Qantara
Charq, à Abou-Sir, à Mit Rahina, à Louqsor et à Assouan, sans que le total du
butin ne soit connu. Dans d’autres endroits, les objets volés ont été retrouvés
et les habitants veillent sur leur patrimoine.
La
mission de l’Unesco a donc trouvé une bonne coopération du côté égyptien, selon
Costanza de Simone. Mais il paraît que certains archéologues égyptiens, dont
Abdel-Halim Noureddine, l’ex-secrétaire général du Conseil Suprême des
Antiquités égyptiennes (CSA), refusent ce rôle de l’Unesco. « L’Egypte n’a pas
besoin d’une intervention extérieure pour protéger ses antiquités, soit de la
part de l’Unesco, soit de la part de n’importe quelle organisation étrangère. L’Egypte
est capable de protéger ses antiquités », estime Noureddine.
Selon
Costanza de Simone, le défi consiste à sensibiliser les populations locales à
la sauvegarde des biens qui leur appartiennent. Costanza a proposé de
travailler en étroite collaboration avec la jeunesse, afin de faire passer
l’idée que le patrimoine culturel d’Egypte est leur patrimoine, qu’il est
intimement lié à leur identité, qu’il représente un soutien potentiel de la
démocratie et de la compréhension entre les cultures. Devant le Musée du Caire,
la barrière humaine que les manifestants ont opposée aux pillards a été la
meilleure preuve de la prise de conscience, par le peuple égyptien, de
l’importance de son patrimoine. En effet, jeunes et vieux se sont réunis afin
de protéger leur patrimoine lors des moments d’incertitude et de changement qui
ont trop souvent dégénéré en violences. « J’ai été très touchée et très fière
par la réaction qui a poussé les citoyens de Tunisie, d’Egypte et de Libye à
protéger leur patrimoine lors des moments d’incertitude et de changement qui
ont trop souvent dégénéré en violences », a déclaré la directrice générale de
l’Unesco. Elle a annoncé aussi que l’organisation et ses partenaires
soutiennent « fermement » tous ceux qui défendent leur patrimoine et entendent
réunir toute l’expertise possible en vue de contribuer à cette démarche.
Amira Samir