Moubarak .
Des centaines d’établissements publics portent le nom de
l’ancien président ou de membres de sa famille. La plupart
sont en passe d’être rebaptisés.
Une page est tournée
«
Si vous ne décrochez pas cette enseigne portant le nom de
Suzanne Moubarak, on va l’incendier ... Si demain ses
portraits sont encore là, nous allons les casser en mille
morceaux … », lancent avec colère les parents d’élèves de
l’école préparatoire Suzanne Moubarak, située au quartier de
Wayli. Le lendemain, madame Attiyate, la directrice, a
ordonné aux plantons de retirer les enseignes.
A l’école de Wayli, tout comme dans d’autres établissements
scolaires, toutes les photos du raïs déchu ont été enlevées
ou recouvertes. Dans ce même quartier de Wayli, il existe
plusieurs établissements scolaires situés à une distance de
quelques mètres les uns des autres et portant le nom de
l’ex-président ou de son épouse : l’école primaire Suzanne
Moubarak, l’école préparatoire Suzanne Moubarak, l’école
secondaire expérimentale Moubarak, l’école Moubarak pour
l’enseignement technique. « On compte aujourd’hui 549 écoles
portant le nom de Moubarak ou de Suzanne, contre 314 pour
les trois ex-présidents, Mahamad Naguib, Gamal Abdel-Nasser
et Anouar Al-Sadate », affirme un responsable du ministère
de l’Education.
Autre exemple : à l’Université de Zagazig, au gouvernorat de
Charqiya, dans le Delta du Nil, les étudiants ont rassemblé
10 000 signatures pour rebaptiser l’Institut Moubarak pour
le cancer en l’Institut de l’Université de Zagazig.
Les programmes aussi changent
Le ministère de l’Education a, par ailleurs, donné des
ordres à toutes les écoles de supprimer des programmes
scolaires tout ce qui a trait à l’ancien président. « En 3e
préparatoire, un chapitre des manuels d’histoire a été
supprimé. On a également supprimé un chapitre sur les partis
politiques, l’Assemblée du peuple et le Conseil consultatif
et un chapitre sur le rôle de la femme dans la vie politique
qui mentionne le rôle de Suzanne Moubarak », précise Amer,
professeur dans une école de langues située à Al-Tagammoe
Al-Khamès.
Et ce n’est pas tout ! En 2e secondaire, on a retiré la 13e
leçon, parce qu’elle comprenait des mensonges du genre : «
La démocratie et l’équité existent à l’époque de Moubarak
... ». Une aberration, signale Monsieur Ibrahim, le
professeur d’histoire. Pourtant, avant le 25 janvier, il
était impossible de mettre en doute ces affirmations ...
Ignorer l’ère Moubarak est une bonne idée pour le moment
mais, dans les années à venir, ce ne sera pas la bonne
solution. « L’élève doit étudier les points positifs et
négatifs de cette époque et tout ce qui se rapporte à
l’ex-président. Bien sûr, il ne faut pas présenter cette
époque comme un âge d’or pour l’Egypte, mais il faut dire la
vérité car on ne peut pas supprimer 30 ans d’histoire
égyptienne. On ne pourra plus demander aux élèves, par
contre, de disserter sur le rôle du président Moubarak dans
la lutte contre le terrorisme ou en matière de justice
sociale et d’aide aux pauvres », note Abir, la maman de
Farida, en dernière année préparatoire.
Il faut aussi rappeler les aspects positifs des trente
dernières années. Il serait dangereux d’apprendre aux
enfants que tout était négatif. D’après la psychologue
Omayma Salah, cela risquerait de déstabiliser les enfants.
En tout cas, les récents événements ne se sont pas passés
sous silence. Les enfants, même les plus jeunes, les ont
suivis heure par heure. Il faut éviter qu’ils aient
l’impression que ce qu’ils apprennent à l’école est
déconnecté de la réalité. On ne peut pas mettre sous silence
la victoire d’Octobre 1973 et les frappes aériennes
déclenchées par Hosni Moubarak, commandant de l’armée de
l’air à cette époque.
Un nom omniprésent
Le
nom de Moubarak est partout, dans les écoles, les stations
de métro, les rues, les places publiques, les parcs, les
bâtiments, les bibliothèques, les hôpitaux, les cliniques,
les ponts et les aéroports. Certains disent qu’il faut un
effort considérable, aussi grand que celui qui a permis la
construction des Pyramides, pour retirer le nom de Moubarak
des lieux publics ! Plusieurs procès ont été intentés pour
rebaptiser les établissements portant le nom Moubarak.
Dans les rues du Caire, comme partout en Egypte, les
portraits du raïs ont disparu, et pas question d’en laisser
un seul ! Des activistes ont changé les noms des stations du
métro souterrain, Station des martyrs dans certaines,
station de la révolution dans d’autres ou encore 25 janvier
ou Station de la liberté. « Il ne faut pas rendre hommage à
Moubarak et à sa femme sous quelque forme que ce soit. Lui
et sa bande de corrompus ont ruiné notre pays », lance un
des manifestants anti-Moubarak. Il est clair que l’heure
n’est pas au pardon et à l’oubli.
A la station Moubarak, dans le métro, on découvre que
quelques manifestants ont rayé le nom de Moubarak. La
station a été rebaptisée d’un coup de marqueur noir
Révolution du 25 janvier.
Mais Am Chawqi, le surveillant de la gare, a effacé ce que
les activistes ont fait il y a quelques semaines. « Pour
changer le nom de la station, il faut l’accord du ministère
du Transport parce que tous les passagers qui veulent se
rendre à la rue Ramsès descendent à la station Moubarak. Si
on change le nom, le passager va s’égarer », dit-il.
Ce qui est valable pour les adultes l’est aussi pour les
plus jeunes. Le Musée Suzanne Moubarak d’Héliopolis est un
repère pour beaucoup d’entre eux. C’est pour cette raison
que les dirigeants ont décidé de garder ce nom afin de
garder l’excitation que ce nom suscite lorsqu’il est
prononcé. En effet, des confusions ont eu lieu quand les
dirigeants ont souhaité l’appeler « Musée de l’enfant ». Les
enfants se sont égarés et n’ont pas compris qu’il s’agissait
du même musée.
A Gaza, l’un des principaux hôpitaux nommé Hosni Moubarak,
en raison des relations étroites entre l’Autorité
palestinienne et le régime égyptien, va être rebaptisé en
Tahrir (liberté). Là-bas, c’est surtout le silence de
l’Egypte lors du massacre de l’opération israélienne Plomb
durci qui est critiqué. Et que dire du blocus imposé aux
Palestiniens et de la construction, en Egypte, d’un mur
destiné à empêcher le ravitaillement par les tunnels ?
Culte de la personnalité
« En mettant son nom partout, Moubarak voulait ressembler
aux pharaons de la 9e dynastie qui inscrivaient leurs noms
et dressaient leurs statues partout. Ainsi Moubarak désirait
se faire idolâtrer comme un dieu et être la seule personne à
qui l’on doit attribuer toutes les réalisations. Comme s’il
s’agissait là d’un héritage culturel », analyse le
sociologue Ahmad Yéhia Abdel-Hamid. Il ajoute que Moubarak
imaginait que le pouvoir lui était destiné comme un cadeau
de Dieu. Sa famille est une dynastie qui détient un bien :
le pouvoir. Ce patrimoine familial devient un objet
transmissible de père en fils. Durant 30 ans, Moubarak est
resté au pouvoir sans nommer de vice-président. Cette
situation d’homme seul au pouvoir fait que les Egyptiens
voyaient en lui un pharaon, celui qui n’accepte pas l’idée
d’être un jour succédé par un homme du peuple.
Le citoyen égyptien veut effacer le nom de Moubarak,
exactement comme ce qui s’est passé en Iraq pour Saddam
Hussein. Il est convaincu que la corruption a ruiné le pays
au temps de Moubarak. Mais seul Moubarak est concerné : les
stations de métro qui portent le nom d’autres ex-leaders
(Nasser, Sadate, Saad Zaghloul et Orabi) ne sont pas
concernées par le phénomène. Il faut dire que seul Moubarak
a été contraint de quitter le pouvoir sous la pression
populaire.
Aujourd’hui, le citoyen est saturé par trente ans de
propagande. Il ne supporte plus ces grandes affiches, alors
omniprésentes, à la gloire d’un leader chassé. Mais qu’en
sera-t-il à l’avenir ? Le futur président fera-t-il, lui
aussi, imprimer des milliers d’affiches à sa gloire ? Et
lorsqu’il inaugurera une école, la baptisera-t-il de son
patronyme ? C’est l’ensemble du culte de la personnalité du
président qu’il faut remettre en cause, et pas seulement le
rôle de Moubarak. Nasser n’avait-il pas, d’ailleurs, la même
manie ?
Costume à rayures
Le narcissisme de l’ancien dirigeant Hosni Moubarak bat tous
les records, comme le dit le psychiatre Ahmad Okacha. Son
costume à rayures (sur chaque rayure on peut lire Hosni
Mubarak, Hosni Mubarak ...) est l’exemple même d’un amour de
soi poussé à l’extrême. Ce costume a d’ailleurs fait la une
des journaux. De loin, les rayures ressemblent à de simples
lignes blanches mais, en faisant un zoom avec la caméra, le
nom de Hosni Mubarak apparaît nettement.
Un blogueur ironise : « Et dire que, pendant tout ce temps,
nous nous sommes trompés en écrivant son nom avec un O au
lieu d’un U ! ».
Pendant que son peuple attendait des aides, il dépensait de
l’argent pour des caprices de mauvais goût dont le prix
s’élève entre 13 000 et 25 000 dollars par costume. « Tout
cela montre le mépris, l’arrogance et le narcissisme de
Moubarak », affirme un sociologue. Peut-on pour autant
généraliser et comparer ses caprices personnels à sa
politique ? Il est évident que les deux ont des liens.
Manar Attiya