Al-Ahram Hebdo, Visages | George Ishak, Le rebelle rêveur

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 Semaine du 30 mars au 5 avril 2011, numéro 864

 

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Visages

Fondateur du mouvement d’opposition Kéfaya, membre actif au sein de l’Association égyptienne pour le changement, George Ishak, qui soutient ElBaradei, est une figure de proue de la politique égyptienne.

Le rebelle rêveur

Le rêve semble être le moteur de son âme. George Ishak contemple pour rêver et rêve pour réaliser ses vœux. Le temps s’écoule vite et l’homme ne vieillit jamais. Les années font de lui un homme plus ferme, plus résolu et toujours rêveur. « La politique sans rêve, sans imagination, ne vaut rien. Et la vie dans son ensemble ne vaut rien sans le rêve », souligne-t-il, enthousiasmé et sur un ton déterminé.

Il a, peut-être, dans les veines, ce gène de persévérance commun à tous les originaires de Port-Saïd, sa ville natale. « Port-Saïd avait joué un rôle important dans la résistance pendant l’agression tripartite déclenchée contre l’Egypte en 1956. Malheureusement, elle n’a pas été mentionnée comme il se doit dans les livres d’histoire ».

Né en 1938 dans cette ville cosmopolite, dans une famille de classe moyenne, Ishak a appris très jeune le sens de la dignité et de la liberté. Ces deux mots étaient sur toutes les lèvres à l’époque, dans les rues comme dans les maisons, sans que l’enfant ne se rende vraiment compte de leur signification. « C’est grâce à mon professeur d’anglais du cycle préparatoire, monsieur Charaf, que j’ai appris le vrai sens du patriotisme », raconte Ishak en toute gratitude, se rappelant toujours son professeur, et ajoutant : « Ce professeur avait l’habitude de nous parler des circonstances politiques que traverse le pays. Alors, je lui ai exprimé mon rêve de quitter Port-Saïd pour se rendre au Caire dans le but de fuir le mal et la terreur qui nous assiégeaient à l’époque. Il m’a répondu par une phrase simple, courte, mêlant à la fois fermeté et amour : si tout le monde quitte Port-Saïd, qui va donc la défendre ? ». Une interrogation qui passe pour une leçon de vie aux yeux de ce garçon dont le désir de fuir s’était transformé, depuis, en un rêve de défendre son pays. « Ce jour-là, en rentrant chez moi, je n’ai pas cessé de raconter à tout le monde ce que m’a dit mon professeur. Et j’ai dit à ma mère qu’on ne quittera jamais Port-Saïd ».

Cette idée de faire face à l’ennemi plutôt que de céder en quittant sa ville l’a hanté depuis toujours. Il avait cette conscience d’être capable d’agir, ou peut-être était-il obsédé tout simplement par le rêve de la résistance. Mais le rêve s’est transformé en réalité grâce à un ami de ses parents. « Ibrahim Gouda était un ancien communiste, un ami très proche de la famille, dont les opinions étaient très appréciées. Il venait souvent nous rendre visite. J’éprouvais toujours un grand plaisir à écouter ses avis et à contempler sa façon de s’exprimer. Une fois, on parlait du grand marché de la ville où les grossistes n’arrêtaient pas d’acheter les légumes et les fruits des fournisseurs français et anglais malgré la guerre. Il voyait là une trahison ». Ishak s’arrête pour ajouter, avec un petit sourire qui se dessine sur son visage radieux : « Très convaincu par cette perspective, je me mettais à distribuer partout des tracts expliquant l’idée. Et j’ai eu un bonheur fou quand on a réussi à convaincre les gens. Ceux-ci avaient boycotté tous les produits venant de l’étranger », raconte-t-il. Il ajoute en riant : « J’ai été obligé de manger des pommes de terre que je haïssais tant pendant des mois à cause de cela. Mais il faut dire que j’ai appris ce que signifiaient dignité et liberté. J’ai vu ces mots dans les yeux de mes compatriotes, surtout le jour où les étrangers ont quitté Port-Saïd ». Il continue sur un ton fier : « C’était la première fois de ma vie que je m’impliquais dans une affaire politique ».

Et ce n’était pas bien sûr la dernière. A l’université, la politique avait un autre goût.

Le baccalauréat en poche, le jeune George n’a pas pu s’inscrire à la faculté d’ingénierie comme il l’avait tant souhaité, à cause de ses mauvaises notes. « J’ai réussi à m’inscrire dans une faculté en Allemagne, mais de nouveau, les circonstances étaient contre moi. Je n’ai pas pu partir. Je me suis finalement inscrit à la faculté des lettres au département d’histoire de l’Université du Caire ». Ces études étaient un préambule pour la compréhension de la politique, « une expérience humaine » qui donne des leçons à apprendre pour l’avenir. « Je n’ai pas voulu terminer mes études à la fac, car la vie politique était très animée par des mouvements estudiantins à l’instar des Frères musulmans, des communistes, des Nassériens, des libéraux, etc. On a connu à l’université une liberté qui n’existait pas dans la rue égyptienne à l’époque ».

George Ishak reste reconnaissant face à ses professeurs qui l’ont influencé tant sur le plan humain que professionnel. « J’avais de la chance d’avoir des professeurs — à l’instar d’Ahmad Abdel-Latif — qui enseignaient l’histoire gréco-romaine et qui décrivaient les guerres et les combats de manière à nous faire croire qu’on faisait partie de la scène. Le professeur Mohamad Anis n’a jamais hésité à critiquer Nasser au moment où tout le monde parlait d’un manque de liberté d’expression ».

L’un des anciens élèves d’Ishak à l’école maronite Saint-Joseph se rappelle : « Il ne lisait jamais les cours d’histoire du livre scolaire. Et il n’hésitait jamais à gronder un élève qui jetait un coup d’œil sur le livre pendant l’explication ». Il poursuit : « Il nous racontait les événements historiques comme s’il les avait vécus et décrivait les personnalités comme s’il les avait connues. Il n’hésitait pas, par exemple, à appeler un leader génie et un autre débile, etc. ».

George Ishak a toujours répété et affirmé à ses étudiants que le pays était en état de gestation. Pourquoi ? « D’abord, parce que Nasser a réussi à réaliser une justice sociale, mais pas une justice politique … ». Mais les deux ne sont-elles pas corrélatives ? « Si, mais le charisme de Nasser et ses réalisations ont fait oublier le chemin à suivre. Et puis, sous Sadate, les gens souffraient encore et la situation allait de mal en pis ».

La politique était-elle inhérente à ce professeur ? Membre du parti de gauche Al-Tagammoe (rassemblement), ensuite du parti Al-Amal (le travail) après avoir adhéré à des affaires clandestines avec les communistes, Ishak est parmi les fondateurs du mouvement Kéfaya (ça suffit). Ce mouvement, né en 2004, a le mérite d’être le premier mouvement à s’opposer à la prolongation du mandat du président Moubarak et à la transmission du pouvoir à son fils Gamal. Le slogan Kéfaya étant audacieux et sans précédent. « Grâce à Kéfaya, nous avons pu réaliser trois choses importantes dans l’histoire égyptienne, à savoir mettre fin à la culture de la peur, avoir le droit de manifester et critiquer ouvertement le président de la République, un vrai tabou ! ». Mais en créant Kéfaya, a-t-il jamais imaginé que Moubarak allait vraiment partir un jour ? « C’était un rêve auquel on aspirait. Et ce sont les jeunes qui l’ont réalisé. En outre, j’ose dire que ces jeunes sont nourris par la vision de Kéfaya. De même, ils avaient l’intelligence d’apprendre de notre expérience et de nos fautes. Par exemple, on faisait simultanément des manifestations dans plusieurs gouvernorats. Pourtant, l’affaire se terminait toujours par un cordon monstre de policiers qui réussissaient à nous malmener. Mais le jour de la révolution du 25 janvier, les manifestations sont arrivées partout sur les grandes places comme dans les grandes artères et les ruelles ».

Le septuagénaire engagé a connu deux facettes de la résistance. « La résistance contre un ennemi externe avec des occupants étrangers et la résistance contre l’ennemi interne avec Moubarak et son régime ». En quoi consiste la différence entre les deux ? « La résistance contre l’ennemi interne est beaucoup plus difficile. Car cet ennemi est implicite », affirme Ishak, qui ne s’est pas contenté du mouvement Kéfaya. Il a rejoint l’Association nationale pour le changement qui assure la coopération entre les différents mouvements politiques. Il soutient Mohamad ElBaradei dans sa candidature aux élections présidentielles. Pourquoi ElBaradei ? « C’est une personne dotée d’un esprit équilibré, qui a une vision politique et des relations importantes avec plusieurs pays. Il a de la détermination, de la grandeur, et surtout de l’imagination, du rêve … il a osé revendiquer le changement politique en Egypte au moment où personne n’a osé le faire ».

Les opinions de George Ishak ne sont pas partagées par tout le monde. Son nom figure en deuxième place sur une liste renfermant dix personnes à assassiner, avec ElBaradei en premier et l’écrivain Alaa Al-Aswani en troisième. « C’était un document appartenant aux services de Sûreté de l’Etat. Et, j’ai reçu un message me demandant de faire attention, car je suis ciblé. Mais, je n’ai pas peur, ma femme et mes enfants non plus ».

Ishak n’a-t-il pas peur d’une autre sorte de menace : les fondamentalistes islamistes, surtout après un regain de pouvoir ressenti, notamment après le référendum approuvant les amendements constitutionnels ? « Non. D’abord, il faut souligner que ceux qui ont dit oui aux amendements ne sont pas tous des fondamentalistes. Et puis, si 18 millions seulement ont voté, cela nous impose le devoir de travailler sur le reste qui constitue la masse silencieuse. Je réfute complètement cette attitude négative qui ne fait que propager la peur : une fois contre les Frères et une autre contre les fondamentalistes ».

Ishak n’aime pas perdre de temps. Une journée à Port-Saïd pour rassembler des signatures soutenant ElBaradei, une autre à Atfih (dans le gouvernement de Hélouan, au sud du Caire) avec des représentants de la société civile, pour mettre fin aux conflits déclenchés entre musulmans et chrétiens, sans oublier aussi une visite rapide à Minya (dans le sud) pour discuter avec les étudiants universitaires. Il poursuit ses convictions avec tout l’optimisme du monde. D’où émane cet optimisme ? « De la révolution du 25 janvier, et surtout, n’oublions jamais le rêve ! ».

Lamiaa Al-Sadaty

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Jalons

20 août 1938 : Naissance à Port-Saïd.

1960-1964 : Licence en histoire de la faculté des lettres, Université du Caire.

1970 : Diplôme en pédagogie.

1986-1990 : Directeur de l’école maronite Saint-Joseph.

1991-1993 : Directeur de l’école Al-Tewfiq.

2004 : Fondation du mouvement Kéfaya

 




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