Élections.
Ce sont les premiers pas de la démocratie après la
révolution du 25 janvier. Mais beaucoup d’entraves et
d’infractions ont été signalées, et les conditions de
travail n’étaient pas idéales. Reportage.
Un
décompte à l’égyptienne
28
novembre, 7h du matin. Le jour J est arrivé. Comme prévu,
Amira se dirige vers l’école « industrielle » secondaire du
quartier de Madinet Nasr, où est installé un des bureaux de
vote de la région de l’est du Caire, pour superviser les
élections. Une fois devant l’école, à 8h pile, Amira se
trouve accueillie par une file d’attente d’une centaine de
femmes. Pourtant, il reste encore une heure avant le début
de l’opération de vote. Ici, jeunes filles, voilées et non
voilées, des femmes âgées et même des handicapées. En
attendant, Amira, qui avait pour mission non pas seulement
de voter mais surtout de surveiller l’opération électorale
en tant que représentante de la coalition Al-Kotla al-masriya
(bloc égyptien), l’une des 14 listes de candidats dans cette
zone, a fait la connaissance de cinq représentantes des
partis rivaux, des mouvements islamiques des Frères
musulmans ou des salafistes. Le temps passe, il est 10
heures passées et pourtant rien n’a encore commencé. La
raison : les bulletins de vote ne sont pas encore distribués.
A l’intérieur de l’école, on commençait à sentir la panique
: des appels téléphoniques des juges, la police et aussi les
membres de l’armée pour tenter de régler ce problème. Mais
apparemment, notre cas n’était pas une exception. En effet,
cette école n’était pas la seule en retard, toutes les
autres de la zone l’étaient aussi.
Il est
midi, la situation en dehors de l’école commence à devenir
catastrophique, la queue s’allonge de plus en plus, les
femmes crient et commencent même à insulter l’Etat. « Rien
n’a changé, ils ne veulent pas qu’on vote, on ne va pas
partir », lance Safi, une femme de quarante ans. Puis elle
commence à passer entre les femmes en leur demandant de ne
pas désespérer. Elle ajoute qu’il s’agit d’une astuce du
gouvernement pour faire partir les gens, mais tout le monde
répond en même temps : « On ne partira pas, on va rester ».
Face à ces cris, un des juges responsables des élections
essaye de les calmer en leur expliquant que les
fonctionnaires chargés d’amener les bulletins de vote
manifestent devant le poste de police et ont même bloqué la
route. Mais personne ne le croit, surtout qu’elles ont
appelé leurs amies et épouses et appris que toutes les
écoles des alentours ont commencé à voter depuis des heures.
Ce n’est que vers 13h30 que les fonctionnaires commencent
enfin à arriver et rentrent dans les bureaux accompagnés des
youyous des femmes. Quelques minutes après, le travail
commence. Un état de chaos règne face à ce retard de six
heures. Mais il manque la cire pour sceller les urnes et les
stylos pour que les électeurs fassent leur choix. Quelques
secondes après, tout est en place. Le parti Al-Horriya
wal-adala (liberté et justice) des Frères musulmans affirme
être là soi-disant pour régler tout problème qui pourrait
entraver l’opération électorale. Devant les bureaux de vote,
ils se sont installés sur des tables avec leurs ordinateurs
pour aider les femmes à trouver leurs numéros d’inscription
sur les listes de vote. Un travail qui, en apparence, est
utile mais qui dans le fond constitue une propagande
électorale pour leurs partis car ils enregistrent du même
coup les informations sur du papier où sont imprimés au
verso les seuls noms et symboles de leurs candidats. Ce qui
représente une infraction au code électoral, puisque la
campagne doit cesser 48 heures avant l’opération électorale.
Mais personne ne cherche à les empêcher et ils continuent.
Dans cette école, il existe sept bureaux de vote sous la
responsabilité de trois juges. Le temps passe et les queues
diminuent sauf devant un bureau. Là se trouve un juge qui
n’accepte l’aide de personne, même les fonctionnaires
chargés de cette tâche. Mais des femmes commencent à hurler
et demandent de changer le juge. Ce dernier, qui entend son
insulte, interrompt le processus électoral pendant une
demi-heure et ne le reprend qu’à l’arrivée des hauts
responsables de l’armée. Mais la journée ne semblait pas
vouloir prendre fin en paix. Voilà qu’un autre problème
vient perturber l’opération électorale lorsque cinq filles
non voilées commencent à insulter un des représentants du
parti Al-Horriya wal-adala qui leur affirme qu’elles ne sont
pas inscrites sur les listes et « qu’il faut aller dans un
autre bureau loin d’ici ». Elles se rendent à l’adresse
indiquée mais découvrent avoir été trompées pour les
empêcher de voter, puisque non voilées. Résultat : une
plainte a été déposée contre le représentant. Le lendemain,
la situation est beaucoup plus calme et le nombre
d’électrices moins important. Vers 19h, les bureaux ont
fermé leurs portes et les urnes commencent à être
transférées pour être comptées.
Tables,
chaises et puissant éclairage
Amira
est toujours là, dans sa voiture, elle suit le bus jusqu’au
siège de l’école Mostaqbal (futur). Des blindés entourent
l’établissement de tous les côtés, des barrières sont posées
par la police pour interdire l’entrée aux intrus. Personne
n’est autorisé à entrer sauf les candidats et leurs
représentants. Là, dans la cour, des tables, chaises, tapis
et un puissant éclairage sont installés. On se croirait dans
un stade de foot. Tout se passe bien, à part la fatigue des
fonctionnaires et des juges. Dehors, des centaines de
partisans du mouvement islamique forment des cercles et
chantent des airs religieux avec du tissu vert en main. Des
cris qui tuent le silence et suscitent l’étonnement des
étrangers à ce mouvement.
Amira
décide alors d’aller jeter un coup d’œil dans un autre
centre de décompte à Madinet Al-Salam, à une heure de
Madinet Nasr. A 4h du matin, il commence à faire froid.
Après un quart d’heure de recherche, elle arrive sur place.
Mais ici, la situation est plus surprenante. Dans une grande
cour non asphaltée, des juges et fonctionnaires sont
installés avec quelques chaises et tables insuffisantes pour
plus de 1 000 personnes présentes. Des gouttes de pluie
commencent à tomber, alors les bulletins de vote sont
protégés dans la précipitation. Face au manque de chaises et
tables, tout le monde y compris les juges s’installent par
terre. « Comment voulez-vous me demander de me concentrer
dans ces circonstances ? », se plaint l’un des juges. Et un
fonctionnaire de poursuivre : « On n’a pas dormi depuis hier,
c’est-à-dire qu’on travaille depuis 48 heures et en plus
sans chaises ni tables. Il fait froid et il commence même à
pleuvoir. Comment avoir un décompte juste avec le manque
d’éclairage ? ».
Pour
d’autres, il n’était pas question d’accepter cette
situation. Au vu du spectacle, quelques juges ont quitté les
lieux et sont rentrés chez eux en laissant les urnes avec
les fonctionnaires responsables. Ces derniers, ne pouvant
pas les ouvrir sans la présence des juges, ont décidé à leur
tour de dormir sur les urnes. Une image incroyable. « On a
faim », crie un fonctionnaire. Il explique ne pas avoir
mangé depuis la veille. Pour les calmer, le juge paye de sa
poche l’achat de quelques aliments. Vers l’aube, des
vendeurs de sandwiches et cigarettes arrivent, mais vendent
leurs marchandises à double prix. Aux lueurs du matin, Amira
remarque partout des documents déchirés et jetés par terre,
mais renonce à émettre toute remarque .
Chérine Abdel-Azim