Al-Ahram Hebdo, Evénement | Un décompte à l’égyptienne

  Président
Abdel-Fattah El Gibali
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

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 Semaine du 7 au 13 décembre 2011, numéro 899

 

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Élections. Ce sont les premiers pas de la démocratie après la révolution du 25 janvier. Mais beaucoup d’entraves et d’infractions ont été signalées, et les conditions de travail n’étaient pas idéales. Reportage.

Un décompte à l’égyptienne

28 novembre, 7h du matin. Le jour J est arrivé. Comme prévu, Amira se dirige vers l’école « industrielle » secondaire du quartier de Madinet Nasr, où est installé un des bureaux de vote de la région de l’est du Caire, pour superviser les élections. Une fois devant l’école, à 8h pile, Amira se trouve accueillie par une file d’attente d’une centaine de femmes. Pourtant, il reste encore une heure avant le début de l’opération de vote. Ici, jeunes filles, voilées et non voilées, des femmes âgées et même des handicapées. En attendant, Amira, qui avait pour mission non pas seulement de voter mais surtout de surveiller l’opération électorale en tant que représentante de la coalition Al-Kotla al-masriya (bloc égyptien), l’une des 14 listes de candidats dans cette zone, a fait la connaissance de cinq représentantes des partis rivaux, des mouvements islamiques des Frères musulmans ou des salafistes. Le temps passe, il est 10 heures passées et pourtant rien n’a encore commencé. La raison : les bulletins de vote ne sont pas encore distribués. A l’intérieur de l’école, on commençait à sentir la panique : des appels téléphoniques des juges, la police et aussi les membres de l’armée pour tenter de régler ce problème. Mais apparemment, notre cas n’était pas une exception. En effet, cette école n’était pas la seule en retard, toutes les autres de la zone l’étaient aussi.

Il est midi, la situation en dehors de l’école commence à devenir catastrophique, la queue s’allonge de plus en plus, les femmes crient et commencent même à insulter l’Etat. « Rien n’a changé, ils ne veulent pas qu’on vote, on ne va pas partir », lance Safi, une femme de quarante ans. Puis elle commence à passer entre les femmes en leur demandant de ne pas désespérer. Elle ajoute qu’il s’agit d’une astuce du gouvernement pour faire partir les gens, mais tout le monde répond en même temps : « On ne partira pas, on va rester ». Face à ces cris, un des juges responsables des élections essaye de les calmer en leur expliquant que les fonctionnaires chargés d’amener les bulletins de vote manifestent devant le poste de police et ont même bloqué la route. Mais personne ne le croit, surtout qu’elles ont appelé leurs amies et épouses et appris que toutes les écoles des alentours ont commencé à voter depuis des heures. Ce n’est que vers 13h30 que les fonctionnaires commencent enfin à arriver et rentrent dans les bureaux accompagnés des youyous des femmes. Quelques minutes après, le travail commence. Un état de chaos règne face à ce retard de six heures. Mais il manque la cire pour sceller les urnes et les stylos pour que les électeurs fassent leur choix. Quelques secondes après, tout est en place. Le parti Al-Horriya wal-adala (liberté et justice) des Frères musulmans affirme être là soi-disant pour régler tout problème qui pourrait entraver l’opération électorale. Devant les bureaux de vote, ils se sont installés sur des tables avec leurs ordinateurs pour aider les femmes à trouver leurs numéros d’inscription sur les listes de vote. Un travail qui, en apparence, est utile mais qui dans le fond constitue une propagande électorale pour leurs partis car ils enregistrent du même coup les informations sur du papier où sont imprimés au verso les seuls noms et symboles de leurs candidats. Ce qui représente une infraction au code électoral, puisque la campagne doit cesser 48 heures avant l’opération électorale. Mais personne ne cherche à les empêcher et ils continuent. Dans cette école, il existe sept bureaux de vote sous la responsabilité de trois juges. Le temps passe et les queues diminuent sauf devant un bureau. Là se trouve un juge qui n’accepte l’aide de personne, même les fonctionnaires chargés de cette tâche. Mais des femmes commencent à hurler et demandent de changer le juge. Ce dernier, qui entend son insulte, interrompt le processus électoral pendant une demi-heure et ne le reprend qu’à l’arrivée des hauts responsables de l’armée. Mais la journée ne semblait pas vouloir prendre fin en paix. Voilà qu’un autre problème vient perturber l’opération électorale lorsque cinq filles non voilées commencent à insulter un des représentants du parti Al-Horriya wal-adala qui leur affirme qu’elles ne sont pas inscrites sur les listes et « qu’il faut aller dans un autre bureau loin d’ici ». Elles se rendent à l’adresse indiquée mais découvrent avoir été trompées pour les empêcher de voter, puisque non voilées. Résultat : une plainte a été déposée contre le représentant. Le lendemain, la situation est beaucoup plus calme et le nombre d’électrices moins important. Vers 19h, les bureaux ont fermé leurs portes et les urnes commencent à être transférées pour être comptées.

Tables, chaises et puissant éclairage

Amira est toujours là, dans sa voiture, elle suit le bus jusqu’au siège de l’école Mostaqbal (futur). Des blindés entourent l’établissement de tous les côtés, des barrières sont posées par la police pour interdire l’entrée aux intrus. Personne n’est autorisé à entrer sauf les candidats et leurs représentants. Là, dans la cour, des tables, chaises, tapis et un puissant éclairage sont installés. On se croirait dans un stade de foot. Tout se passe bien, à part la fatigue des fonctionnaires et des juges. Dehors, des centaines de partisans du mouvement islamique forment des cercles et chantent des airs religieux avec du tissu vert en main. Des cris qui tuent le silence et suscitent l’étonnement des étrangers à ce mouvement.

Amira décide alors d’aller jeter un coup d’œil dans un autre centre de décompte à Madinet Al-Salam, à une heure de Madinet Nasr. A 4h du matin, il commence à faire froid. Après un quart d’heure de recherche, elle arrive sur place. Mais ici, la situation est plus surprenante. Dans une grande cour non asphaltée, des juges et fonctionnaires sont installés avec quelques chaises et tables insuffisantes pour plus de 1 000 personnes présentes. Des gouttes de pluie commencent à tomber, alors les bulletins de vote sont protégés dans la précipitation. Face au manque de chaises et tables, tout le monde y compris les juges s’installent par terre. « Comment voulez-vous me demander de me concentrer dans ces circonstances ? », se plaint l’un des juges. Et un fonctionnaire de poursuivre : « On n’a pas dormi depuis hier, c’est-à-dire qu’on travaille depuis 48 heures et en plus sans chaises ni tables. Il fait froid et il commence même à pleuvoir. Comment avoir un décompte juste avec le manque d’éclairage ? ».

Pour d’autres, il n’était pas question d’accepter cette situation. Au vu du spectacle, quelques juges ont quitté les lieux et sont rentrés chez eux en laissant les urnes avec les fonctionnaires responsables. Ces derniers, ne pouvant pas les ouvrir sans la présence des juges, ont décidé à leur tour de dormir sur les urnes. Une image incroyable. « On a faim », crie un fonctionnaire. Il explique ne pas avoir mangé depuis la veille. Pour les calmer, le juge paye de sa poche l’achat de quelques aliments. Vers l’aube, des vendeurs de sandwiches et cigarettes arrivent, mais vendent leurs marchandises à double prix. Aux lueurs du matin, Amira remarque partout des documents déchirés et jetés par terre, mais renonce à émettre toute remarque .

Chérine Abdel-Azim

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