Transition Politique .Deux
millions d’enfants abandonnés vivent en marge de la société.
Certains d’entre eux ont trouvé refuge place
Tahrir. Ils se retrouvent
aujourd’hui accusés dans des actes de violence et de
sabotage. Coupables ou victimes ?
Les enfants des molotov
De petites mains se tendent en l’air, jetant avec toute
force des bouteilles de molotov
en direction du bâtiment de l’Institut d’Egypte en lançant
des cris de joie, qui se font difficilement entendre à cause
de la voix retentissante des explosions. Cette image a été
diffusée en direct la semaine dernière sur toutes les
chaînes locales et internationales. Un incident qui a
fortement secoué le monde entier qui a vu l’Institut
d’Egypte en train d’être incendié. Mais ce qui était aussi
choquant, c’est le fait de voir et en grand nombre de petits
enfants portant des molotov, des
pierres et des barres de fer, occupant seuls les écrans et
commettant des actes de violence. Ce sont des enfants
abandonnés vivant dans la rue. Ils étaient visiblement au
premier rang dans ces affrontements dans la rue Qasr Al-Aïni.
Ils font partie des « saboteurs payés et armés » que pointe
du doigt le Conseil militaire avec « des casseurs et des
drogués ». Le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) a
projeté, lors d’une conférence de presse, les vidéos
d’interrogatoires de mineurs qui, le visage tuméfié,
avouaient avoir été payés pour fabriquer des cocktails
molotov ou jeter des pierres sur
les forces armées. Allant toujours dans le même sens,
Ganzouri, premier ministre,
s’interroge avec ironie : « Peut-on considérer un enfant qui
a 12 ans comme un révolutionnaire ? ».
En fait, ce n’était pas la première fois qu’on relève la
présence de groupes de mineurs parmi les manifestants. Ils
ont été aussi présents lors des attaques contre l’ambassade
d’Israël, aux affrontements de Maspero, à la rue Mohamad
Mahmoud ou jetant des pierres sur le ministère de
l’Intérieur.
Des sonnettes d’alarme ont été à maintes fois tirées par les
spécialistes, avertissant que ces mineurs ne sont que des
bombes à retardement. L’explosion s’est produite. Cela a
coûté cher à l’Egypte : une catastrophe culturelle.
Selon les statistiques des ONG, le nombre de ces enfants est
d’environ 2 millions. Ils constituent un lourd héritage de
l’ancien régime. Vivant pendant des décennies en marge de la
société qui préfère les ignorer, et des gouvernements qui
font les sourds-muets à leur égard, ces mineurs sont devenus
des nervis sur commande. Un problème qui s’aggrave, d’autant
plus que beaucoup d’ONG travaillant dans ce domaine ont
fermé leurs portes par manque de financement à cause de la
situation instable que vit actuellement l’Egypte.
Des accusés ou des victimes
Ces derniers incidents ouvrent le dossier de ces enfants. On
se demande : quel sort les attend après la révolution ?
Sont-ils des accusés ou des victimes ?
Selon un rapport publié par l’Association égyptienne pour
aider les mineurs, les enfants place
Tahrir sont divisés en deux types : les écoliers qui
ont été éblouis par la révolution et qui ont décidé d’être
sur le terrain afin d’aider les révolutionnaires. L’autre
genre, ce sont les enfants abandonnés qui ont été exploités
pour commettre des actes de violence planifiés en
contrepartie d’argent et de repas. L’instrumentalisation
politique des mineurs comme boucliers humains dans les
affrontements est un nouveau genre de trafic d’enfants qui
vient s’ajouter à la longue liste de souffrances
qu’encouraient ces mineurs depuis des décennies.
Le nombre d’enfants tués, blessés et détenus a atteint des
niveaux alarmants. Au cours de la
semaine dernière, au moins 2 enfants sont morts, des
dizaines blessés et 69 ont été incarcérés. Des chiffres qui
ont poussé l’Unicef à lancer un appel pour protéger les
droits des enfants en Egypte.
L’incompétence des associations civiles
Abla
Al-Badri, directrice du « Village de l’espoir pour les
enfants de la rue », dénonce cette campagne vindicative
menée par les médias contre ces enfants en leur imputant la
responsabilité de tous les actes de sabotage. Selon des
études menées par le village, ces enfants ont joué un rôle
très positif durant la révolution. Al-Badri affirme que
durant les premiers jours de la révolution, les centres
d’accueil ouverts par le village pour présenter des aides et
des aliments quotidiens à ces mineurs ont été désertés
pendant quelques jours. « On a eu tellement peur qu’ils
soient abattus ou arrêtés par les policiers. Une fois sur la
place, on a découvert qu’ils ont installé leur tente et se
sont mêlés aux révolutionnaires », lance Al-Badri.
Les enfants de la rue partagent la cause des manifestants.
Quand ils scandaient : « Justice sociale », ces mineurs
sentaient qu’ils étaient concernés. Ils rêvaient : cette
révolution va peut-être mettre fin à leur misère.
Durant cette période, ils ont délaissé volontairement
certaines de leurs mauvaises habitudes. « Pourquoi prendre
de la drogue ? Je ne sens plus de douleur ici. Pourquoi
voler puisque je mange avec les révolutionnaires et je me
fais soigner même dans les hôpitaux de campagne de
Tahrir ? ». Des mots répétés par
la plupart de ces enfants. Abla
explique : « Sur la place, les enfants sentaient pour la
première fois qu’ils font partie de la société. Pour eux,
c’est l’Egypte dont ils rêvaient. Ici, il n’y a pas de
distinction ».
Abla
justifie les actes de violence commis par ces enfants comme
pour « défendre leur révolution ». Ils suivent les pas des
manifestants. Mais, parfois, par ignorance, ils imitent les
voyous sans faire la distinction entre ces derniers et les
vrais révolutionnaires.
Le fait d’être payé n’est pas à exclure : « Ces mineurs sont
des proies faciles à manipuler. Ils n’ont aucune valeur
religieuse, culturelle ou sociale. Si on les laisse sans
réhabilitation et sans surveillance, ils pourraient détruire
toute la société ». Cela nous renvoie au manque de
financement qui fait défaut à des dizaines d’associations
civiles. Selon Abla, même si ces
ONG fonctionnent bien, elles restent toujours inefficaces vu
l’absence d’un système public adéquat. « Après la
révolution, le rôle du Conseil de la maternité et de
l’enfance est devenu ambigu, après avoir été sous la tutelle
du ministère de la Santé. Son rôle, sous la présidence de
Suzanne Moubarak, n’avait abouti qu’à une loi sur le travail
des mineurs qui a été même promulguée sous la pression des
ONG. Même la ligne verte 16 000 pour le secours des enfants
ne fonctionne pas tout le temps », s’indigne
Abla.
Pour l’activiste Nazli Hussein,
les enfants abandonnés et les révolutionnaires étaient très
unis durant la révolution. Elle a même beaucoup d’amis parmi
eux. « Ce sont ces enfants qui nous ont bien accueillis
puisque la rue leur appartenait. Ils nous défendent et
beaucoup d’entre eux sont des martyrs », dit-elle.
Nazli, qui était sur le terrain
lors des affrontements de Qasr Al-Aïni,
assure que ce ne sont pas ces pauvres enfants qui ont
incendié l’Institut d’Egypte. « L’incendie a été déclenché
du deuxième étage. Comment ces petites mains pouvaient-elles
y parvenir ? », s’interroge-t-elle.
Lancer des cocktails molotov en
direction de l’Institut d’Egypte pour ces enfants c’est
attaquer le gouvernement. Ils ignorent l’importance de ce
lieu. « Ils ont une rancune personnelle envers le régime et
le pouvoir qui est sans doute plus profonde que celle des
révolutionnaires », conclut-elle.
Aliaa
Al-Korachi