Al-Ahram Hebdo, Evénement | Les enfants des molotov

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Abdel-Fattah El Gibali
 
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 Semaine du 28 décembre 2011 au 3 janvier 2012, numéro 902

 

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Transition Politique .Deux millions d’enfants abandonnés vivent en marge de la société. Certains d’entre eux ont trouvé refuge place Tahrir. Ils se retrouvent aujourd’hui accusés dans des actes de violence et de sabotage. Coupables ou victimes ?

Les enfants des molotov

De petites mains se tendent en l’air, jetant avec toute force des bouteilles de molotov en direction du bâtiment de l’Institut d’Egypte en lançant des cris de joie, qui se font difficilement entendre à cause de la voix retentissante des explosions. Cette image a été diffusée en direct la semaine dernière sur toutes les chaînes locales et internationales. Un incident qui a fortement secoué le monde entier qui a vu l’Institut d’Egypte en train d’être incendié. Mais ce qui était aussi choquant, c’est le fait de voir et en grand nombre de petits enfants portant des molotov, des pierres et des barres de fer, occupant seuls les écrans et commettant des actes de violence. Ce sont des enfants abandonnés vivant dans la rue. Ils étaient visiblement au premier rang dans ces affrontements dans la rue Qasr Al-Aïni. Ils font partie des « saboteurs payés et armés » que pointe du doigt le Conseil militaire avec « des casseurs et des drogués ». Le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) a projeté, lors d’une conférence de presse, les vidéos d’interrogatoires de mineurs qui, le visage tuméfié, avouaient avoir été payés pour fabriquer des cocktails molotov ou jeter des pierres sur les forces armées. Allant toujours dans le même sens, Ganzouri, premier ministre, s’interroge avec ironie : « Peut-on considérer un enfant qui a 12 ans comme un révolutionnaire ? ».

En fait, ce n’était pas la première fois qu’on relève la présence de groupes de mineurs parmi les manifestants. Ils ont été aussi présents lors des attaques contre l’ambassade d’Israël, aux affrontements de Maspero, à la rue Mohamad Mahmoud ou jetant des pierres sur le ministère de l’Intérieur.

Des sonnettes d’alarme ont été à maintes fois tirées par les spécialistes, avertissant que ces mineurs ne sont que des bombes à retardement. L’explosion s’est produite. Cela a coûté cher à l’Egypte : une catastrophe culturelle.

Selon les statistiques des ONG, le nombre de ces enfants est d’environ 2 millions. Ils constituent un lourd héritage de l’ancien régime. Vivant pendant des décennies en marge de la société qui préfère les ignorer, et des gouvernements qui font les sourds-muets à leur égard, ces mineurs sont devenus des nervis sur commande. Un problème qui s’aggrave, d’autant plus que beaucoup d’ONG travaillant dans ce domaine ont fermé leurs portes par manque de financement à cause de la situation instable que vit actuellement l’Egypte.

Des accusés ou des victimes

Ces derniers incidents ouvrent le dossier de ces enfants. On se demande : quel sort les attend après la révolution ? Sont-ils des accusés ou des victimes ?

Selon un rapport publié par l’Association égyptienne pour aider les mineurs, les enfants place Tahrir sont divisés en deux types : les écoliers qui ont été éblouis par la révolution et qui ont décidé d’être sur le terrain afin d’aider les révolutionnaires. L’autre genre, ce sont les enfants abandonnés qui ont été exploités pour commettre des actes de violence planifiés en contrepartie d’argent et de repas. L’instrumentalisation politique des mineurs comme boucliers humains dans les affrontements est un nouveau genre de trafic d’enfants qui vient s’ajouter à la longue liste de souffrances qu’encouraient ces mineurs depuis des décennies.

Le nombre d’enfants tués, blessés et détenus a atteint des niveaux alarmants. Au cours de la semaine dernière, au moins 2 enfants sont morts, des dizaines blessés et 69 ont été incarcérés. Des chiffres qui ont poussé l’Unicef à lancer un appel pour protéger les droits des enfants en Egypte.

 

L’incompétence des associations civiles

Abla Al-Badri, directrice du « Village de l’espoir pour les enfants de la rue », dénonce cette campagne vindicative menée par les médias contre ces enfants en leur imputant la responsabilité de tous les actes de sabotage. Selon des études menées par le village, ces enfants ont joué un rôle très positif durant la révolution. Al-Badri affirme que durant les premiers jours de la révolution, les centres d’accueil ouverts par le village pour présenter des aides et des aliments quotidiens à ces mineurs ont été désertés pendant quelques jours. « On a eu tellement peur qu’ils soient abattus ou arrêtés par les policiers. Une fois sur la place, on a découvert qu’ils ont installé leur tente et se sont mêlés aux révolutionnaires », lance Al-Badri.

Les enfants de la rue partagent la cause des manifestants. Quand ils scandaient : « Justice sociale », ces mineurs sentaient qu’ils étaient concernés. Ils rêvaient : cette révolution va peut-être mettre fin à leur misère.

Durant cette période, ils ont délaissé volontairement certaines de leurs mauvaises habitudes. « Pourquoi prendre de la drogue ? Je ne sens plus de douleur ici. Pourquoi voler puisque je mange avec les révolutionnaires et je me fais soigner même dans les hôpitaux de campagne de Tahrir ? ». Des mots répétés par la plupart de ces enfants. Abla explique : « Sur la place, les enfants sentaient pour la première fois qu’ils font partie de la société. Pour eux, c’est l’Egypte dont ils rêvaient. Ici, il n’y a pas de distinction ».

Abla justifie les actes de violence commis par ces enfants comme pour « défendre leur révolution ». Ils suivent les pas des manifestants. Mais, parfois, par ignorance, ils imitent les voyous sans faire la distinction entre ces derniers et les vrais révolutionnaires.

Le fait d’être payé n’est pas à exclure : « Ces mineurs sont des proies faciles à manipuler. Ils n’ont aucune valeur religieuse, culturelle ou sociale. Si on les laisse sans réhabilitation et sans surveillance, ils pourraient détruire toute la société ». Cela nous renvoie au manque de financement qui fait défaut à des dizaines d’associations civiles. Selon Abla, même si ces ONG fonctionnent bien, elles restent toujours inefficaces vu l’absence d’un système public adéquat. « Après la révolution, le rôle du Conseil de la maternité et de l’enfance est devenu ambigu, après avoir été sous la tutelle du ministère de la Santé. Son rôle, sous la présidence de Suzanne Moubarak, n’avait abouti qu’à une loi sur le travail des mineurs qui a été même promulguée sous la pression des ONG. Même la ligne verte 16 000 pour le secours des enfants ne fonctionne pas tout le temps », s’indigne Abla.

Pour l’activiste Nazli Hussein, les enfants abandonnés et les révolutionnaires étaient très unis durant la révolution. Elle a même beaucoup d’amis parmi eux. « Ce sont ces enfants qui nous ont bien accueillis puisque la rue leur appartenait. Ils nous défendent et beaucoup d’entre eux sont des martyrs », dit-elle. Nazli, qui était sur le terrain lors des affrontements de Qasr Al-Aïni, assure que ce ne sont pas ces pauvres enfants qui ont incendié l’Institut d’Egypte. « L’incendie a été déclenché du deuxième étage. Comment ces petites mains pouvaient-elles y parvenir ? », s’interroge-t-elle.

Lancer des cocktails molotov en direction de l’Institut d’Egypte pour ces enfants c’est attaquer le gouvernement. Ils ignorent l’importance de ce lieu. « Ils ont une rancune personnelle envers le régime et le pouvoir qui est sans doute plus profonde que celle des révolutionnaires », conclut-elle.

Aliaa Al-Korachi

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