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Abdel-Fattah El Gibali
 
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 Semaine du 28 décembre 2011 au 3 janvier 2012, numéro 902

 

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Enquête

Armée . Sa position durant la révolution a scellé le sort du président Moubarak, mais pas de son régime. Le 11 février 2011, elle a assumé le pouvoir. Quand et comment elle l’abandonnera est une question qui reste en suspens. Analyse.

Scénarios d’exit

Dès le 11 février, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) à qui le président déchu Hosni Moubarak a cédé les rênes du pouvoir, a mis à son actif l’image dont l’institution militaire bénéficie dans l’imaginaire collectif des Egyptiens.

Dans cette atmosphère de confiance, le processus de la reconstruction des institutions étatiques, celles du parlement, de la présidence, de la police, … etc. a été défini et mis en marche. Aujourd’hui, onze mois après la révolution du 25 janvier, l’armée est accusée d’avoir procédé à des changements « cosmétiques » avec l’intention de reproduire le même régime autoritaire qui sévissait depuis des décennies. Comme sous Moubarak, la démocratie de façade avait servi à maintenir le statu quo. Aujourd’hui, dans le contexte de l’après-révolution, elle risque de reproduire le même effet.

Aujourd’hui, force est de constater que plusieurs piliers cruciaux pour le maintien du régime de Moubarak ont été gardés intacts par le CSFA : les gouverneurs recrutés parmi les anciens généraux pour assurer le contrôle des activités politiques dans leurs provinces respectives, la loi d’urgence qui favorise l’aspect militaire du régime, les tribunaux militaires qui sont — aujourd’hui encore — utilisés contre les activistes réformateurs, l’usage excessif de la force contre les manifestants, la torture des activistes et l’impunité des tortionnaires, le maintien du tristement célèbre ministère de l’Information et des fidèles de l’ancien régime à la tête des médias officiels … pour ne citer que quelques aspects.

Dans ce tumulte, les élections législatives, qui se déroulent globalement dans le calme et la transparence, ont propulsé les islamistes au devant de la scène. Alors que dans les coulisses, les militaires se trouvent engagés dans un processus de révision constitutionnelle dont l’objectif est de limiter la marge d’action des islamistes « que le peuple a choisis ». Des militaires rappellent déjà que selon la déclaration constitutionnelle, le futur Parlement n’aura pas la prérogative de former le gouvernement, ni d’ailleurs de retirer la confiance à celui formé par le CSFA. On s’attend donc à un Parlement dépourvu de ses capacités de contrôle sur l’exécutif.

Ainsi, le pacte classique qui permet aux islamistes une entrée en politique à condition de ne pas franchir certaines barrières semble toujours en vigueur. Si les calculs du CSFA s’avèrent mal fondés, en d’autres termes, si les islamistes utilisent le Parlement pour mener une attaque d’envergure contre les militaires, le risque d’une réaction radicale de la part de l’armée pour les exclure devient sérieux. Dans un tel contexte, la percée des islamistes aura éventuellement aidé l’armée à légitimer le processus de transition (en prétendant avoir respecté le choix de la population), à neutraliser les factions plus intransigeantes de l’opposition qui se revendiquent de la révolution et à se positionner en garante de la stabilité contre tout débordement intégriste.

Les élections présidentielles prévues mi-2012 que beaucoup de forces politiques veulent anticiper n’échapperont probablement pas au même schéma. Tout en se voulant être un signe de démocratisation, l’élection d’un président civil n’implique pas forcément un changement dans ce sens. Elle peut, au contraire, profiler un rôle politique plus accru de l’armée.

En effet, n’importe quel président civil devra composer avec l’armée et négocier avec les généraux ses prérogatives, notamment celles relatives aux dossiers de l’indépendance de l’establishment militaire et de la politique étrangère.

Si de récents faits historiques, comme la fin de la guerre froide, la chute des régimes communistes en Europe, la dislocation de l’ex-URSS ont permis d’établir le lien entre le retour aux baraques des militaires et la libéralisation politique dans les pays vivant une transition démocratique, la question qui se pose et s’impose en Egypte aujourd’hui est de savoir dans quelles circonstances et dans quelle mesure un tel retour s’opérera.

Quitter le pouvoir est-il envisageable ?

Le désengagement politique de l’armée dépendra d’un certain nombre de facteurs dont plusieurs — vu la réalité sociale, politique et économique du pays — tendent à le retarder.

Dès le début de la révolution, il était devenu évident qu’il s’agissait d’un mouvement populaire acéphale qu’aucune personnalité civile n’avait l’expérience et l’autorité de guider. 

Ce fait, sans doute le fruit d’une scène politique fragmentée, d’une classe moyenne érodée, d’un fossé socio-économique séparant une minorité riche et une majorité pauvre, produit un vide que les militaires continuent de remplir. A cette absence de leadership politique s’ajoute une autre absence non moins importante, celle d’un consensus sur le trajet que doit prendre le développement politique.

La situation renforce chez l’Egyptien ordinaire le sentiment que la seule alternative du pouvoir militaire est le chaos. Encore une fois un dilemme classique s’impose aux citoyens coincés entre un régime autoritaire et l’inconnu. Le CSFA n’hésite par ailleurs pas à nourrir ce sentiment au travers d’un discours truffé de mises en garde contre des complots, des menaces et des tentatives d’ingérence provenant de l’étranger et visant la stabilité du pays.

Quant aux raisons qui pourraient amener le CSFA à prolonger son pouvoir, même si elles sont toujours taboues, elles ne constituent plus un secret.

A l’instar de nombreuses armées à travers le monde, celle de l’Egypte est naturellement soucieuse de garder son indépendance dans la gestion de ses affaires intérieures comme les promotions, les nominations des commandants, la définition de sa part du budget de l’Etat, … et son mot à dire dans la politique étrangère. Les signaux envoyés par les islamistes vers Washington et Tel-Aviv n’en sont pas déconnectés. Pour les militaires, la paix avec Israël, largement impopulaire, est moins un choix politique qu’une réalité confortable qui leur assure annuellement 1,3 milliard de dollars d’aide américaine. Sans parler des relations militaires avec les Etats-Unis au niveau de l’armement et de l’entraînement.

Et à l’instar de nombreuses armées à travers le Moyen-Orient, l’armée égyptienne est passée d’une époque où elle était gardienne d’une idéologie et d’un programme de développement social et industriel, à une époque où elle est devenue un bastion du conservatisme et le pilier d’un régime autoritaire lequel lui assurait en retour sa place privilégiée dans la société.

Protégée par la loi 32/79 qui lui garantit une indépendance financière par rapport au budget du gouvernement, aujourd’hui l’armée est active dans plusieurs secteurs de l’économie, allant des travaux publics, à la bonification des terres, à la production agro-alimentaires. Un portefeuille largement protégé des critiques des parlements et des médias. Mais le rôle économique de l’armée ne se limite pas aux bénéfices corporatifs. Depuis la faillite de l’idéologie socialiste de Nasser et le début de l’ouverture économique « infitah », de son successeur Anouar Sadate, un lien s’est établi entre les intérêts de l’élite économique et l’armée à travers les contrats et les commissions occultes qui les accompagnent.

Les militaires sont également cooptés grâces à des salaires au-dessus de la moyenne et toute une panoplie d’avantages. De là, la préservation du régime (du statu quo) est une question existentielle pour les officiers : en 1977, l’armée a envoyé ses chars dans les rues pour mater les « manifestations de la faim », en 1986 elle a répondu à l’appel en intervenant contre les mutins des forces de la sécurité centrale, et en 1997 elle est intervenue encore lorsque la police a échoué à prévenir les attaques terroristes de Louqsor.

Le retour aux casernes est-il suffisant ?

Cependant, le maintien de son indépendance et la sauvegarde de ses privilèges, n’exigent pas de l’armée de se maintenir au pouvoir. D’ailleurs, depuis la fin de l’époque nassérienne, l’armée égyptienne n’a pas montré de symptômes d’ambitions politiques. Pour les généraux, un retour aux casernes peut simplement signifier une exemption des versatilités des tâches politiques quotidiennes et une réorientation des critiques vers d’autres acteurs politiques. Plus encore : si l’armée risque de devenir impopulaire à cause de ses mesures répressives, la perspective de devoir faire face à des manifestations de masse ou de voir les soldats et les officiers les moins gradés refuser d’exécuter les ordres, peut amener l’armée à envisager son retrait de la scène politique. De manière générale, le fait que l’armée prenne conscience de son intérêt à se retirer est déterminant. Rappelons à cet effet que la première phase de la démilitarisation du cabinet après la révolution de 1952 a été entamée par le président Nasser au lendemain de la défaite de 1967 lorsqu’il était devenu évident que l’implication de l’armée en politique  nuit à l’institution militaire.

Reste à savoir à quel point la démilitarisation du pouvoir pourrait annoncer l’établissement d’un régime libéral. Là encore, l’histoire récente nous apprend qu’un retour à la caserne ne signifie pas la fin du rôle politique de l’armée. Le degré du désengagement politique des militaires a toujours été un long processus intimement lié à l’établissement des institutions démocratiques. Et reste le risque de voir cette « sortie avec des garanties » offerte à l’armée se transformer en une compétition politique où chaque parti cherche à tirer son épingle du jeu aux dépens du processus de démocratisation .

Chérif Albert

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