Charte al-selmi .
A l’approche des élections, le débat s’échauffe sur une
énième tentative de faire adopter une charte
supraconstitutionnelle destinée à établir les principes de
la future Constitution ainsi que les critères de choix des
membres de l’Assemblée constituante.
Protéger l’armée ... à huis clos
Le document en question a pris le surnom de « la charte
d’Al-Selmi », en référence à Ali Al-Selmi, vice-premier
ministre, qui l’a proposé au débat. Comme son prédécesseur,
Yéhia Al-Gamal, Al-Selmi a préparé à son tour un projet de
texte intitulé « Principes supra-constitutionnels » avant
d’inviter les représentants des diverses forces politiques à
le discuter. Assez classiquement, les libéraux, les
islamistes et les candidats à la présidentielle essayent,
chacun de son côté, de justifier leurs positions respectives
vis-à-vis du texte en question, dans un débat qui ne tarde
pas à tourner à la querelle.
La charte d’Al-Selmi ne s’est pas limitée à confirmer les
libertés des citoyens et leur droit à vivre dans un pays
démocratique mais a notamment réservé à l’armée une position
spéciale dans la nouvelle Constitution. Ainsi les articles 9
et 10 du texte parlent de l’armée comme garante de la
légitimité constitutionnelle, s’inspirant ainsi du modèle
turc qui permettait à l’armée d’intervenir dans la vie
politique et que l’actuel premier ministre, Recep Tayyip
Erdogan, a réussi à modifier.
Le texte assure également au budget de l’institution
militaire une confidentialité et une immunité contre toute
révision par le Parlement. En outre, les rédacteurs du texte
ont tenté d’établir les critères de choix des 100 membres de
l’Assemblée constituante en suggérant que 80 % parmi eux
seront désignés alors que 20 % seulement seront choisis par
le Parlement. Cette dernière disposition va à l’encontre de
la Déclaration constitutionnelle actuellement en vigueur et
qui stipule que les membres élus du Parlement choisiront
ceux de l’Assemblée constituante, soit 100 % des membres.
Dina Chéhata, du Centre des Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, estime que le vrai problème
réside dans le fait que Ali Al-Selmi a adopté le même style
que son prédécesseur. « Il a préparé un document à huis
clos, en l’absence de tout dialogue ou débat politique,
avant de le proposer aux dirigeants politiques pour prendre
ou laisser », souligne-t-elle. « Personne ne s’attend à ce
que la prochaine Constitution soit adoptée sans assurer à
l’armée un certain degré d’immunité. Sauf que celle-ci
serait mieux acceptée si elle est le fruit d’un compromis
plutôt que d’être imposée par le gouvernement », ajoute la
chercheuse.
Cet avis, largement partagé par les courants libéraux, est
également avancé par les islamistes. Dimanche 13 novembre,
la Coalition démocratique qui regroupe plusieurs partis,
notamment celui des Frères musulmans, Liberté et justice,
s’est réunie avec plusieurs candidats aux présidentielles.
Les personnalités réunies ont affirmé leur rejet des
principes inclus dans la charte d’Al-Selmi et exprimé leur
préférence de ceux émis quelques semaines plus tôt par la
prestigieuse instance islamique Al-Azhar.
Cette « Charte d’Al-Azhar » qui reprend au pied de la lettre
l’article 2 de la Constitution de 1971, modifié sous le
président Sadate et plaçant la charia comme principale
source de législation, met en avant la « représentativité »
de l’Assemblée constituante. Celle-ci devra inclure des
membres appartenant à tous les courants et communautés de la
société (y compris les islamistes). Elle prévoit finalement
un degré de confidentialité pour les questions militaires «
touchant à la sécurité nationale ».
Le leader du parti de tendance islamiste Al-Wassat,
Aboul-Ela Madi, qui a participé à la réunion de la Coalition
démocratique, a affirmé que les personnes réunies ont émis
les mêmes réserves sur les articles 9 et 10 de la charte. «
Les forces armées comme branche du pouvoir exécutif doivent
être soumises à la Constitution. Leur budget doit être
discuté au Parlement au sein d’un comité spécial comme c’est
le cas dans tous les pays démocratiques ».
Si le texte d’Al-Selmi a suscité le mécontentement des
forces politiques toutes tendances confondues, les
différentes objections ne reposent toutefois pas sur les
mêmes principes. « Les libéraux craignent, de leur côté, un
régime opaque et peu démocratique qu’ils voient se profiler,
alors que les islamistes, eux, s’ils tiennent le même
discours que les libéraux, craignent en effet une
restriction des prérogatives du prochain Parlement — qu’ils
souhaitent dominer — dans le processus de rédaction de la
nouvelle Constitution », analyse le politologue Hicham
Hassan, de l’Université du Caire .