Bourse . Les entreprises égyptiennes ne suivent toujours pas les règles de transparence les plus élémentaires. Deux nouvelles lois tentent cependant une timide avancée dans le domaine.

Assainir l’accès à l’information

Quelque temps après la révolution, plusieurs citoyens ont intenté des actions en justice contre des hauts responsables et leurs proches pour avoir acheté des parts d’entreprises privées et publiques, en violation de la loi régissant la fonction publique. Les règles d’information et de transparence en Bourse ont longtemps été défaillantes. Seul un nombre restreint de personnes avait accès aux informations sur la gestion des entreprises cotées. « Les entreprises sont sélectives dans les informations qu’elles divulguent. La tendance à la discrétion viole les exigences du régulateur financier », note une étude de Khaled Dahawy, professeur à l’Université américaine au Caire. « En conséquence, le niveau d’informations divulgué par les entreprises est considérablement plus bas que les exigences des règles comptables internationales », conclut la même étude publiée par l’International Research Journal of Finance and Economics. Cette conclusion remonte à l’année 2009 et prend en compte les entreprises égyptiennes cotées en Bourse.

En 2011, après une révolution contre la corruption et le népotisme, la situation a peu changé. « La période post-révolution a connu une amélioration dans l’application des règles de transparence et d’information. Mais il reste encore beaucoup à faire », avance Mohsen Adel, directeur général de la banque d’investissement Pioneers. Il souligne que les cinq derniers mois ont connu deux changements positifs vers plus de transparence, introduits par l’Autorité égyptienne de supervision financière (EFSA). Le plus important consiste en la promulgation d’une loi imposant aux entreprises cotées d’annoncer la structure de leur actionnariat. Cette loi intervient après les révélations de l’implication de certaines sociétés dans des affaires de corruption, à l’exemple de Sodic, Palm Hills (immobilier) et EFG-Hermès (placements boursiers). Un état des lieux qui a mené l’EFSA à rendre obligatoire la divulgation du nom des actionnaires si ceux-ci détiennent plus de 5 % de l’entreprise cotée.

La plainte avait été déposée par les investisseurs en raison d’une absence de données sur la structure des titres de propriété d’entreprises, une lacune qui a eu un impact négatif sur les échanges boursiers, pouvant mener à des délits d’initiés. Cette réforme reste cependant incomplète : la loi ne stipulant pas que les titres de propriétés soient publiés de manière régulière. Dans ce contexte, Waël Enaba, directeur général de la société Premiere de gestion de portefeuilles, note que la publication de la structure des titres de propriété doit être faite mensuellement afin de suivre les éventuels changements.

La seconde amélioration concerne la sanction des sociétés cotées, si celles-ci s’abstiennent de révéler d’importantes informations. Dans ce cas, une suspension des échanges des titres sera appliquée à la société mise en cause. « S’abstenir de publier des informations sur les sociétés cotées peut affecter les décisions des investisseurs », note Moustapha Badra, directeur général de la société Themar Brokerage. Cela a conduit l’EFSA à bloquer les sociétés qui ne respectent pas la publication des informations « à l’exemple d’Orascom hôtellerie et développement qui a manipulé la publication d’informations sur ses actions en annonçant de faux chiffres d’affaires. Ce qui a conduit les investisseurs à acheter des actions qui se sont par la suite écroulées suite à la divulgation de ces fausses informations. La société a écopé d’une amende de 200 millions de L.E. », rappelle Badra. Une amende toutefois faible au regard des actifs de la société.

Eviter les délits d’initiés

Le président de l’EFSA, Achraf Al-Charqawi, ajoute un autre élément important lié au devoir d’information. Il s’agit d’imposer aux hauts cadres l’annonce de leurs transactions sur les actions de la société cotée en Bourse. « Il y a eu des vagues d’achat planifiées par certains cadres et leurs partenaires pour pousser les prix à la hausse, incitant le marché à acheter davantage et parvenant ainsi à augmenter le prix de l’action », explique Al-Charqawi à Al-Ahram Hebdo. Waël Enaba insiste sur le fait que les opérations de ventes et d’achats effectuées par les membres des conseils d’administration de sociétés cotées doivent être publiées avant la mise en œuvre des transactions et non pas après. « Car cela contredit les règles de transparence dominant sur le marché et peut induire un délit d’initié », souligne-t-il. Moustapha Badra, lui, propose que les membres du conseil d’administration jugés coupables soient passibles de peines en prison, comme c’est le cas en Europe.

Si les grands actionnaires représentés dans les conseils d’administration peuvent obtenir certaines informations, les petits actionnaires sont touchés par une absence totale d’information. Moustapha Badra appelle à assurer un droit d’information aux petits actionnaires. Il souligne que l’EFSA doit intervenir pour que les services de relations aux investisseurs dans les sociétés cotées fournissent les informations requises par les actionnaires. « Les règlements doivent être modifiés dans ce sens pour inciter les services de relations aux investisseurs à révéler les informations exigéesOu faut-il que l’EFSA impose des amendes excessives au conseil d’administration ? », s’interroge-t-il. Waël Enaba, qui partage cette opinion, estime que les souscriptions, les offres publiques et les augmentations de capital doivent être soumises à de nouvelles règles pour garantir un contrôle accru de l’EFSA. « Parfois, ces sociétés abusent des sommes récupérées par le biais de ces opérations en les déposant dans des banques pour toucher les intérêts, au lieu de les utiliser pour le développement de l’entreprise comme annoncé aux actionnaires », souligne-t-il. Il critique l’EFSA qui, pour sanctionner, « impose des amendes excessives aux sociétés : cela nuit aux intérêts du reste des actionnaires. Il faut suivre le modèle européen qui condamne à la prison les acteurs de telles violations ».

Le rapport Doing Business 2010 de la Banque mondiale attribue à l’Egypte une note de 8 sur 10 en matière de règlements touchant le droit à l’information boursière. Il note cependant que le conseil d’administration des entreprises a le choix de ne pas publier de rapport annuel et le pouvoir de sélectionner les informations à inclure dans le rapport. Si les réformes pour améliorer la gouvernance des entreprises cotées en Bourse s’améliorent, elles sont encore loin d’être révolutionnaires : les petits actionnaires n’ont pas fini le combat.

Dahlia Réda