Al-Ahram Hebdo,Société | Premiers pas difficiles vers l’égalité

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 Semaine du 26 octobre au 1er novembre 2011, numéro 894

 

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Société

Femmes Saoudiennes . Une décision du roi Abdallah Al Séoud leur permet de voter et de se présenter aux élections municipales. Une première dans l’histoire du pays malgré les doutes qui planent sur l’efficacité d’une telle mesure.

Premiers pas difficiles vers l’égalité

Pour une fois, c’est la femme saoudienne qui est mise sur le devant de la scène. Les hautes instances politiques du pays ont décidé qu’elle serait désormais autorisée à participer aux élections municipales. Doutes et suspicions sur cette mesure continuent cependant de planer sur la société saoudienne. « Le fait d’annoncer que les femmes ont désormais le droit de participer à la vie politique est un pas en avant. Mais il faut encore qu’elles puissent exercer ce droit. Le changement social va prendre du temps, au moins 20 ans pour que la femme puisse jouir pleinement de ces droits de manière normale », affirme Nehad Aboul-Qomsane, présidente du Centre égyptien des droits de la femme. Elle ajoute que beaucoup de Saoudiennes pourraient ne pas saisir l’ampleur de cette déclaration ou penser qu’il est inutile de perdre leur temps dans ces débats.

Il s’agit là d’une première dans l’histoire de la femme saoudienne. Des activistes saoudiennes ont brisé des tabous en suivant des stages dans des pays arabes, particulièrement en Egypte où elles ont appris comment devenir des acteurs de la vie politique. « Je suis une citoyenne saoudienne, ma famille m’a envoyée aux Etats-Unis pour décrocher mon diplôme comme tant d’autres familles qui ont confiance en leur progéniture et l’éducation qu’elles ont reçues », relate Mayssoun Abdel-Aziz, activiste et professeur de pédagogie à l’Université du roi Abdel-Aziz.

Beaucoup de familles saoudiennes tentent de donner aux filles une éducation similaire à celle des garçons. Elles les envoient à l’étranger pour faire des études, ce qui les encourage à défendre la cause féminine une fois rentrées dans leurs pays d’origine. Elles ont obtenu des diplômes et ont appris comment revendiquer leurs droits. Aujourd’hui, cela fait plus de 10 ans que les féministes saoudiennes sont présentes sur la scène sociale du pays. Tout a commencé par des rencontres entre amies pour parler du statut de la femme saoudienne. « Auparavant, ce qui pouvait angoisser la Saoudienne, c’était la polygamie. Elle faisait tout pour convaincre son mari de ne pas prendre une seconde épouse. Aujourd’hui, tout a changé. La Saoudienne s’intéresse de plus en plus à tous les aspects de la vie politique et veut contribuer au développement de son pays », commente Salha, professeur de mathématiques à Riyad.

Parallèlement, il y a une quinzaine d’années, les Saoudiens ont pu découvrir à travers les chaînes privées un autre monde à l’opposé de leur quotidien. Car avant cette « invasion », les Saoudiens ne disposaient que de deux chaînes qui ne diffusaient que des émissions religieuses, des informations et des dessins animés à longueur de journée.

Aujourd’hui, Internet et les chaînes satellites sont une source d’ouverture inspirant tous les foyers saoudiens. La télé cosmopolite leur a permis de s’ouvrir aux autres cultures qui pouvaient être biaisées dans leur perception dans une société musulmane et fortement conservatrice.

En 1960, la femme saoudienne a réussi à arracher son droit à l’éducation. Une des raisons qui fait qu’aujourd’hui, la nouvelle génération est plus consciente de ses droits et de ses devoirs. Elle a compris qu’elle est un partenaire incontournable de l’homme et qu’elle n’avait plus à s’effacer devant lui.

Un souverain ouvert aux évolutions

Dès son intronisation, en 2005, le roi Abdallah a accordé un intérêt inédit à la femme. Il a tenu à rencontrer des intellectuelles et des professionnelles de tous bords. « Les rencontres organisées par le roi chaque année à l’adresse des femmes nous ont ouvert des horizons et nous ont encouragées à présenter nos idées. Le roi est conscient du progrès de la femme et de sa capacité à prendre part à tous les domaines de la vie politique, sociale, économique ou familiale », avance Amira Kachgary, éditorialiste. « Dans le domaine de la santé par exemple, les femmes médecins et les infirmières sont compétentes à tel point qu’elles sont sollicitées par des hommes pour se faire soigner ! », explique Hatoun Al-Fassy, activiste et professeur d’histoire à l’Université du roi Abdel-Aziz Al Séoud.

Pour Kachgary, « le grand défi qui pourra entraver le progrès du pays, c’est le fait de changer la culture et travailler sur le principe que la femme soit un partenaire important dans tous les domaines ».

Avec un roi conscient du rôle de la femme dans le développement et la présence de militantes « féministes », le terrain était mûr pour l’application de ce décret royal.

Les activistes saoudiennes espèrent que ce décret royal sera un premier pas dans l’obtention d’autres droits. Hatoun Al-Fassy est très positive quant aux effets de cette mesure. Elle espère obtenir le droit de participer à la vie politique le plus vite possible. Elle va même plus loin et souhaite que la femme puisse représenter à 50 % à égalité avec l’homme au Conseil consultatif. Une requête qui devra patienter quelques années selon toute vraisemblance. « Nous avons adressé nos requêtes aux médias afin de transmettre à l’autorité notre vision consistant à proposer un mécanisme solide pour la participation des femmes à la vie politique ».

Mais l’accès au Parlement et aux municipalités signifie avant tout se débarrasser de l’esprit rigide qui règne sur cette société conservatrice depuis des siècles.

« Ce décret va nous permettre d’avoir plus d’audace dans l’expression de nos points de vue et de tenter de convaincre les plus conservateurs de nos idées et ce, grâce aux médias », explique Al-Fassy. Elle estime que les femmes doivent d’abord s’intéresser aux municipalités afin de se mettre en contact avec la vie politique, un contact qu’elles n’ont, dans l’histoire du pays, jamais connu.

Madawi Al-Hassoun, femme d’affaires, craint malgré tout les appareils exécutifs de l’Etat qui peuvent minimiser l’importance de la décision du roi. Elle espère que sera mis en place un mécanisme de surveillance pour s’assurer de la bonne application des décisions en faveur de la femme.

Difficile changement de mentalité

Mohamad Al-Qoaïed, fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, accepte que la femme puisse se lancer en politique. A condition cependant d’être couverte de la tête aux pieds ! Il cite l’exemple de la princesse Al-Gohara Al Séoud, qui occupait le poste de directrice à l’Université de la princesse Nora en Arabie saoudite. Elle paraissait à l’écran entièrement voilée, y compris lors des réunions avec le corps éducatif. Personne, hormis sa famille, n’a jamais pu voir les traits de son visage ...

Les craintes vis-à-vis des pressions que peuvent exercer les hommes restent omniprésentes. « Il faut savoir que la société saoudienne est une société machiste, ce qui aura un impact sur ce décret royal. Les hommes auront du mal à accepter qu’une femme puisse participer à la vie politique ou travailler à leurs côtés », s’inquiète Hoda Badran, présidente de l’Alliance de la femme arabe.

Une chose est sûre : le débat qui prend place actuellement dans la société saoudienne a déjà commencé à inquiéter les conservateurs. Abou-Taleb, écrivain dans le journal Okaz, s’interroge : « Comment cette participation peut-elle être efficace sans un contact direct avec l’homme ? Et par où les femmes vont rentrer dans les salles de réunion pour éviter les hommes ? ». Abou-Taleb considère que la décision permettant à la femme de se présenter aux élections municipales est très précoce. Il a publié un article dans le quotidien Okaz pour critiquer « ces décisions qui ne se basent que sur la forme et non sur le fond et qui servent de façade pour embellir l’image du pays à l’étranger ».

« Je m’inquiète de l’inexpérience de la femme. Les débats sont devenus enflammés à propos des femmes qui vont siéger aux conseils municipaux. Avons-nous réglé tous nos problèmes pour pouvoir nous permettre de perdre tout ce temps sur une telle question ? », s’indigne Abou-Taleb. Des questions qui peuvent paraître choquantes, mais qui reflètent la mentalité de la plupart des citoyens.

Mohamad Kadam, un officier de police saoudien, pense que le décret qui donne le droit à la femme de participer à la vie politique doit être mûrement étudié. « Je n’arrive pas à concevoir comment la femme saoudienne peut contribuer au progrès de son pays sans un contact au quotidien avec l’autre sexe », se demande-t-il.

Un islam particulièrement rigoureux

Si aujourd’hui le discours religieux a changé et a pris un tournant avant-gardiste, il demeure dans le respect des règles les plus strictes de l’islam. Le cheikh Abdallah Al-Manie, membre de l’Organisation des oulémas musulmans, a déjà fait plusieurs déclarations critiquant le décret royal. Et il ne compte pas s’arrêter là ! Selon lui, la femme n’a pas le droit d’afficher ses photos sur les murs. « L’important pour les électeurs c’est son programme électoral et non pas son visage », martèle-t-il avec force.

Pourtant, un nombre de Saoudiens tentent de s’adapter et contribuent au développement de leur pays avec des goûts et des manières qui ne dérogent pas à leurs principes, aussi futiles soient-ils. Dans les universités de filles, les professeurs hommes font cours via un écran. Si une étudiante veut poser une question, elle le fait à travers un microphone pour éviter tout contact direct avec l’autre sexe. Pourquoi alors existe-t-il un tel fanatisme envers les femmes si on accepte qu’elles travaillent et qu’elles subviennent aux besoins de leurs familles au même titre que leurs maris ? Le fanatisme resurgit de temps en temps comme une réaction à l’athéisme des Saoudiens à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Mohamad Bin Abdel-Wahab, leader du mouvement wahhabite, a remis les Saoudiens sur les rails de la religion « correcte ». Le royaume a choisi d’appliquer la charia pour éviter toute « déviation ». Résultat : les musulmans d’Arabie saoudite suivent la doctrine hanbalite, la plus stricte comparée aux doctrines hanafite, malékite et chaféïte.

Mais les activistes ne s’attardent pas sur ce point même si elles savent bien qu’elles vont devoir affronter les plus fanatiques. L’important pour elles est de débattre ouvertement des vrais problèmes du pays et de les surmonter pour aboutir à un développement durable, juste et équitable. Cela prendra du temps .

Dina Bakr


 

Baladi ou la volonté de briser les stéréotypes

Un groupe d’activistes saoudiennes a lancé il y a un an et demi une campagne intitulée Baladi (mon pays). Une initiative indépendante constituée de femmes issues des différentes villes d’Arabie saoudite. Le groupe réclame la participation de la femme à tous les aspects de la vie politique.

Actuellement, le sexe faible saoudien occupe des postes-clés dans l’enseignement, la santé et dans les médias. « On perçoit déjà la petite victoire de cette makrama, le décret royal. Mais il ne faut pas oublier le rôle de l’homme pour que la femme puisse se consacrer à la fois à la vie politique ou économique et à son foyer », souligne Hatoun Al-Fassy, coordinatrice générale de la campagne.

Al-Fassy est tellement enthousiasmée par ce nouveau décret qu’elle propose que son application soit immédiate. Elle souhaite ne pas attendre la prochaine session parlementaire et réclame que les femmes puissent présenter leur candidature à l’actuel Conseil consultatif. « Et pourquoi ne pas saisir l’occasion et se présenter aux élections municipales qui auront lieu dans un mois ? », s’emporte Al-Fassy, pour qui les mentalités conservatrices, voire parfois nettement extrémistes, ne semblent pas poser de problème.

« Ces élections municipales sont une belle opportunité pour la femme. Elle est la plus concernée par les détails de la vie quotidienne, sur des sujets comme les écoles, les rues et les jardins publics », commente Dr Maysoun Abdel-Aziz, activiste et professeur à l’Université du roi Abdel-Aziz.

Autre objectif : sensibiliser les citoyens des deux sexes à l’importance d’encourager la femme à se lancer en politique. Les responsables de la campagne Baladi proposent ainsi des stages de formation pour les futures candidates.

Cette campagne, qui rassemble 2 131 membres sur Facebook, a réussi à gagner la sympathie de l’opinion publique. Elle a également fait pression sur le pouvoir politique qui a fini par céder en accordant aux citoyennes des droits élémentaires depuis longtemps revendiqués.

Les activistes de Baladi surfent sur la vague de changements qui déferle sur certains pays arabes pour revendiquer leurs droits. Elles ont pris conscience que la femme doit avoir les mêmes droits que l’homme sans discrimination aucune. Un rêve intenable dans ce pays aux normes sociales qui semblent être figées dans un béton rigide et indestructible ? Pas forcément ...

Si aujourd’hui les Saoudiennes réclament le droit de participer aux élections, c’est qu’elles considèrent qu’il s’agit d’un droit légitime et conforme aux conventions internationales que le Royaume a ratifiées. De plus, ce droit ne transgresse en aucun cas les préceptes de l’islam, malgré les dires de certains cheikhs saoudiens.

Côté politique, la participation de la femme va faire augmenter le taux de participation des citoyens aux élections. Une participation qui va avoir son impact sur la conscience politique des Saoudiens.

Mais la plus grande avancée serait de changer l’image de la femme saoudienne : une image de femme passive, marginalisée et incapable de prendre des décisions. L’objectif est de prouver que la femme saoudienne peut s’exprimer et briser ces stéréotypes centenaires .

D. B.

 

 




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