Femmes Saoudiennes .
Une décision du roi Abdallah Al Séoud leur permet de voter
et de se présenter aux élections municipales. Une première
dans l’histoire du pays malgré les doutes qui planent sur
l’efficacité d’une telle mesure.
Premiers pas difficiles vers l’égalité
Pour
une fois, c’est la femme saoudienne qui est mise sur le
devant de la scène. Les hautes instances politiques du pays
ont décidé qu’elle serait désormais autorisée à participer
aux élections municipales. Doutes et suspicions sur cette
mesure continuent cependant de planer sur la société
saoudienne. « Le fait d’annoncer que les femmes ont
désormais le droit de participer à la vie politique est un
pas en avant. Mais il faut encore qu’elles puissent exercer
ce droit. Le changement social va prendre du temps, au moins
20 ans pour que la femme puisse jouir pleinement de ces
droits de manière normale », affirme Nehad Aboul-Qomsane,
présidente du Centre égyptien des droits de la femme. Elle
ajoute que beaucoup de Saoudiennes pourraient ne pas saisir
l’ampleur de cette déclaration ou penser qu’il est inutile
de perdre leur temps dans ces débats.
Il s’agit là d’une première dans l’histoire de la femme
saoudienne. Des activistes saoudiennes ont brisé des tabous
en suivant des stages dans des pays arabes, particulièrement
en Egypte où elles ont appris comment devenir des acteurs de
la vie politique. « Je suis une citoyenne saoudienne, ma
famille m’a envoyée aux Etats-Unis pour décrocher mon
diplôme comme tant d’autres familles qui ont confiance en
leur progéniture et l’éducation qu’elles ont reçues »,
relate Mayssoun Abdel-Aziz, activiste et professeur de
pédagogie à l’Université du roi Abdel-Aziz.
Beaucoup
de familles saoudiennes tentent de donner aux filles une
éducation similaire à celle des garçons. Elles les envoient
à l’étranger pour faire des études, ce qui les encourage à
défendre la cause féminine une fois rentrées dans leurs pays
d’origine. Elles ont obtenu des diplômes et ont appris
comment revendiquer leurs droits. Aujourd’hui, cela fait
plus de 10 ans que les féministes saoudiennes sont présentes
sur la scène sociale du pays. Tout a commencé par des
rencontres entre amies pour parler du statut de la femme
saoudienne. « Auparavant, ce qui pouvait angoisser la
Saoudienne, c’était la polygamie. Elle faisait tout pour
convaincre son mari de ne pas prendre une seconde épouse.
Aujourd’hui, tout a changé. La Saoudienne s’intéresse de
plus en plus à tous les aspects de la vie politique et veut
contribuer au développement de son pays », commente Salha,
professeur de mathématiques à Riyad.
Parallèlement, il y a une quinzaine d’années, les Saoudiens
ont pu découvrir à travers les chaînes privées un autre
monde à l’opposé de leur quotidien. Car avant cette «
invasion », les Saoudiens ne disposaient que de deux chaînes
qui ne diffusaient que des émissions religieuses, des
informations et des dessins animés à longueur de journée.
Aujourd’hui, Internet et les chaînes satellites sont une
source d’ouverture inspirant tous les foyers saoudiens. La
télé cosmopolite leur a permis de s’ouvrir aux autres
cultures qui pouvaient être biaisées dans leur perception
dans une société musulmane et fortement conservatrice.
En 1960, la femme saoudienne a réussi à arracher son droit à
l’éducation. Une des raisons qui fait qu’aujourd’hui, la
nouvelle génération est plus consciente de ses droits et de
ses devoirs. Elle a compris qu’elle est un partenaire
incontournable de l’homme et qu’elle n’avait plus à
s’effacer devant lui.
Un souverain ouvert aux évolutions
Dès
son intronisation, en 2005, le roi Abdallah a accordé un
intérêt inédit à la femme. Il a tenu à rencontrer des
intellectuelles et des professionnelles de tous bords. « Les
rencontres organisées par le roi chaque année à l’adresse
des femmes nous ont ouvert des horizons et nous ont
encouragées à présenter nos idées. Le roi est conscient du
progrès de la femme et de sa capacité à prendre part à tous
les domaines de la vie politique, sociale, économique ou
familiale », avance Amira Kachgary, éditorialiste. « Dans le
domaine de la santé par exemple, les femmes médecins et les
infirmières sont compétentes à tel point qu’elles sont
sollicitées par des hommes pour se faire soigner ! »,
explique Hatoun Al-Fassy, activiste et professeur d’histoire
à l’Université du roi Abdel-Aziz Al Séoud.
Pour Kachgary, « le grand défi qui pourra entraver le
progrès du pays, c’est le fait de changer la culture et
travailler sur le principe que la femme soit un partenaire
important dans tous les domaines ».
Avec un roi conscient du rôle de la femme dans le
développement et la présence de militantes « féministes »,
le terrain était mûr pour l’application de ce décret royal.
Les activistes saoudiennes espèrent que ce décret royal sera
un premier pas dans l’obtention d’autres droits. Hatoun Al-Fassy
est très positive quant aux effets de cette mesure. Elle
espère obtenir le droit de participer à la vie politique le
plus vite possible. Elle va même plus loin et souhaite que
la femme puisse représenter à 50 % à égalité avec l’homme au
Conseil consultatif. Une requête qui devra patienter
quelques années selon toute vraisemblance. « Nous avons
adressé nos requêtes aux médias afin de transmettre à
l’autorité notre vision consistant à proposer un mécanisme
solide pour la participation des femmes à la vie politique
».
Mais l’accès au Parlement et aux municipalités signifie
avant tout se débarrasser de l’esprit rigide qui règne sur
cette société conservatrice depuis des siècles.
« Ce décret va nous permettre d’avoir plus d’audace dans
l’expression de nos points de vue et de tenter de convaincre
les plus conservateurs de nos idées et ce, grâce aux médias
», explique Al-Fassy. Elle estime que les femmes doivent
d’abord s’intéresser aux municipalités afin de se mettre en
contact avec la vie politique, un contact qu’elles n’ont,
dans l’histoire du pays, jamais connu.
Madawi Al-Hassoun, femme d’affaires, craint malgré tout les
appareils exécutifs de l’Etat qui peuvent minimiser
l’importance de la décision du roi. Elle espère que sera mis
en place un mécanisme de surveillance pour s’assurer de la
bonne application des décisions en faveur de la femme.
Difficile changement de mentalité
Mohamad
Al-Qoaïed, fonctionnaire au ministère de l’Intérieur,
accepte que la femme puisse se lancer en politique. A
condition cependant d’être couverte de la tête aux pieds !
Il cite l’exemple de la princesse Al-Gohara Al Séoud, qui
occupait le poste de directrice à l’Université de la
princesse Nora en Arabie saoudite. Elle paraissait à l’écran
entièrement voilée, y compris lors des réunions avec le
corps éducatif. Personne, hormis sa famille, n’a jamais pu
voir les traits de son visage ...
Les craintes vis-à-vis des pressions que peuvent exercer les
hommes restent omniprésentes. « Il faut savoir que la
société saoudienne est une société machiste, ce qui aura un
impact sur ce décret royal. Les hommes auront du mal à
accepter qu’une femme puisse participer à la vie politique
ou travailler à leurs côtés », s’inquiète Hoda Badran,
présidente de l’Alliance de la femme arabe.
Une chose est sûre : le débat qui prend place actuellement
dans la société saoudienne a déjà commencé à inquiéter les
conservateurs. Abou-Taleb, écrivain dans le journal Okaz,
s’interroge : « Comment cette participation peut-elle être
efficace sans un contact direct avec l’homme ? Et par où les
femmes vont rentrer dans les salles de réunion pour éviter
les hommes ? ». Abou-Taleb considère que la décision
permettant à la femme de se présenter aux élections
municipales est très précoce. Il a publié un article dans le
quotidien Okaz pour critiquer « ces décisions qui ne se
basent que sur la forme et non sur le fond et qui servent de
façade pour embellir l’image du pays à l’étranger ».
« Je m’inquiète de l’inexpérience de la femme. Les débats
sont devenus enflammés à propos des femmes qui vont siéger
aux conseils municipaux. Avons-nous réglé tous nos problèmes
pour pouvoir nous permettre de perdre tout ce temps sur une
telle question ? », s’indigne Abou-Taleb. Des questions qui
peuvent paraître choquantes, mais qui reflètent la mentalité
de la plupart des citoyens.
Mohamad Kadam, un officier de police saoudien, pense que le
décret qui donne le droit à la femme de participer à la vie
politique doit être mûrement étudié. « Je n’arrive pas à
concevoir comment la femme saoudienne peut contribuer au
progrès de son pays sans un contact au quotidien avec
l’autre sexe », se demande-t-il.
Un islam particulièrement rigoureux
Si aujourd’hui le discours religieux a changé et a pris un
tournant avant-gardiste, il demeure dans le respect des
règles les plus strictes de l’islam. Le cheikh Abdallah
Al-Manie, membre de l’Organisation des oulémas musulmans, a
déjà fait plusieurs déclarations critiquant le décret royal.
Et il ne compte pas s’arrêter là ! Selon lui, la femme n’a
pas le droit d’afficher ses photos sur les murs. «
L’important pour les électeurs c’est son programme électoral
et non pas son visage », martèle-t-il avec force.
Pourtant, un nombre de Saoudiens tentent de s’adapter et
contribuent au développement de leur pays avec des goûts et
des manières qui ne dérogent pas à leurs principes, aussi
futiles soient-ils. Dans les universités de filles, les
professeurs hommes font cours via un écran. Si une étudiante
veut poser une question, elle le fait à travers un
microphone pour éviter tout contact direct avec l’autre
sexe. Pourquoi alors existe-t-il un tel fanatisme envers les
femmes si on accepte qu’elles travaillent et qu’elles
subviennent aux besoins de leurs familles au même titre que
leurs maris ? Le fanatisme resurgit de temps en temps comme
une réaction à l’athéisme des Saoudiens à la fin du XIXe
siècle et au début du XXe. Mohamad Bin Abdel-Wahab, leader
du mouvement wahhabite, a remis les Saoudiens sur les rails
de la religion « correcte ». Le royaume a choisi d’appliquer
la charia pour éviter toute « déviation ». Résultat : les
musulmans d’Arabie saoudite suivent la doctrine hanbalite,
la plus stricte comparée aux doctrines hanafite, malékite et
chaféïte.
Mais les activistes ne s’attardent pas sur ce point même si
elles savent bien qu’elles vont devoir affronter les plus
fanatiques. L’important pour elles est de débattre
ouvertement des vrais problèmes du pays et de les surmonter
pour aboutir à un développement durable, juste et équitable.
Cela prendra du temps .
Dina
Bakr